Bordeaux assume son passé de port négrier
Ville d'accueil de la journéenationale de commémoration de l'abolition de l'esclavage, Bordeaux a pour la premièrefois dimanche assumé solennellement son passé de port négrier en inaugurant aumusée d'Aquitaine un espace permanent consacré à l'esclavage.
A l'occasion de la Journée nationale en mémoire des victimes de l'esclavage instituée en 2006, trois membres du gouvernement, dont la ministre de l'Intérieur, sont venus assister à ce ces cérémonies sans précédent. Michèle Alliot-Marie a estimé que la démarche allait au-delà d'une simple reconnaissance des fautes et souhaité faire de Bordeaux le "symbole de l'espoir et de la réconciliation". Notoirement hostile à la démarche consistant à reconnaître un passé historique obscur, quel qu'il soit, ce qu'il fustige comme une "repentance", le président Nicolas Sarkozy n'a pas participé aux cérémonies, ni à Bordeaux, ni ailleurs. Parlant de "faute politique", le Conseil représentatif des associations noires (Cran) s'est interrogé dans un communiqué sur la signification de cette absence et "sur le refus systématiquement opposé par l'Etat à sa demande d'une grande action culturelle populaire en mémoire de l'esclavage". "Le président de la République ne peut pas être partout", a dit son conseiller spécial Henri Guaino sur France 5, jugeant ce débat "vain". Pour le port prospère que fut Bordeaux entre le XVIIe et le XIXe siècle, le commerce dit "triangulaire" représenta un apport non négligeable à la richesse de ces familles dont certaines ont donné leur nom à des artères de la ville. Il consistait pour les marchands à se rendre d'abord en Afrique pour y embarquer des esclaves africains, de gagner de là l'Amérique pour les vendre, avant de revenir en Europe avec des navires chargés de denrées négociables. Depuis son arrivée à la mairie en 1995, l'UMP Alain Juppé a avait engagé ce qu'il a baptisé ""la politique de la juste mémoire" et pris diverses initiatives, inaugurant un buste de Toussaint Louverture, premier Noir devenu chef d'Etat d'un pays à s'être libéré de l'esclavage à Haïti sous Napoléon 1er. "JUSTE MÉMOIRE" L'inauguration de l'exposition permanente du musée d'Aquitaine consacrée au "commerce triangulaire" et à l'esclavage, avec Michèle Alliot-Marie, Christine Albanel, ministre de la Culture, et Yves Jego, secrétaire d'Etat chargé de l'Outre-mer, se voulait comme un aboutissement. "L'histoire a placé la capitale d'Aquitaine, comme d'autres ports de la façade Atlantique, au coeur du commerce triangulaire. Aujourd'hui, Bordeaux est synonyme et symbole de l'espoir et de la réconciliation", a dit Michèle Alliot-Marie. "La mémoire des injustices passées ne se réduit pas à la reconnaissance des fautes, aux regrets tardifs. La mémoire n'est rien si elle n'est pas dans le même temps une prise de conscience. On se grandit à regarder son passé en face, en assumant ses parts d'ombre, en rejetant la tentation de l'oubli", a-t-elle ajouté. Le musée d'Aquitaine a consacré 750 m2 et quatre salles au sujet, un premier résultat approuvé par DiversCités, une association bordelaise. Son président, Karfa Diallo, continue cependant de militer pour la création d'un véritable "Mémorial de la traite des noirs. Les historiens estiment à au moins 4.220 le nombre d'expéditions négrières organisées par la France sur l'ensemble de la période historique. Le premier port négrier fut, non pas Bordeaux, mais Nantes avec 1.744 expéditions, soit plus de 41% du total. Bordeaux a pris la deuxième place avec 419 navires transportant entre 130.000 et 150.000 Africains vers les Antilles, La Rochelle (Charente-Maritime) et Le Havre (Seine-Maritime) complétant "le quatuor majeur de la traite", selon l'historien Eric Saugera. Dix-huit autres ports de la Manche, de la Méditerranée et de l'Atlantique, participèrent à ce commerce. Source : Reuters