« La situation socio-économique des Congolais est loin d’être brillante », affirme Fons Verplaetse, gouverneur honoraire de la Banque Nationale de Belgique. Pendant de nombreuses années, Fons Verplaetse a été le conseiller du gouverneur de la Banque Nationale du Congo et, par conséquent, un témoin privilégié du développement socio-économique de l’ancienne colonie belge. Il n’ignore donc rien des défis auxquels le Congo doit faire face. « Avec 298 dollars par an (environ 225 euros), le pouvoir d’achat d’un habitant du Congo est le plus faible parmi les 182 pays membres de l’ONU dont les statistiques sont disponibles.
La situation congolaise est donc extrêmement alarmante. Le pouvoir d’achat d’un Belge, quant à lui, s’élève à environ 35 000 dollars (26 500 euros). Le pouvoir d’achat d’un Congolais représente ainsi moins de 1 % de celui d’un Belge moyen. »
« Au-delà du pouvoir d’achat, le Congo est aussi à la traîne dans beaucoup de domaines, note Fons Verplaetse. En ce qui concerne l’espérance de vie par exemple, le Congo est classé 178e. L’éducation est en revanche un domaine qui va sensiblement mieux, mais qui se trouve tout de même à la 161e place. Le dernier Index du développement humain de l’ONU, qui recense les indicateurs santé, enseignement et prospérité économique, place le Congo à la 176e place. Une situation économique plus défavorable serait difficilement envisageable.
Le problème est qu’il ne dispose que d’un littoral réduit et, par conséquent, de peu d’eaux territoriales et de ressources pétrolières en mer. Le Congo doit donc importer la majorité de son pétrole et est particulièrement vulnérable aux hausses de prix. Ce pays est toutefois très riche en matières premières comme le diamant, l’or, l’uranium et toute une série de minerais rares, très recherchés aujourd’hui pour la fabrication de produits de haute technologie. »
Le Vif : Avec un tel potentiel démographique et une telle richesse en matières premières, pourquoi le Congo occupe-t-il toujours les dernières places?
FONS VERPLAETSE : Commençons par la population. Celle du Congo croît à un rythme effréné. Ces cinquante dernières années, la population a en moyenne augmenté de 3 % par an : de 16 millions d’habitants, elle est passée à 64 millions. La population s’est multipliée par quatre en un demi-siècle. L’augmentation de la population congolaise est entièrement due à une croissance naturelle alors qu’en Afrique subsaharienne, environ 0,3 % de la croissance est attribuée à l’immigration. En Belgique, celle-ci s’élève à 0,4 %, soit deux tiers de la croissance totale.
Et l’espérance de vie au Congo?
En 2007, elle était de 47,6 ans. En Afrique subsaharienne, elle est de 51,5 ans tandis qu’elle est de 79,5 ans en Belgique. La population congolaise est très jeune: 47 % des habitants ont 15 ans ou moins.
La population congolaise croît rapidement ainsi que la demande alimentaire. L’économie suit-elle?
En 2000, le pouvoir d’achat du peuple congolais était encore plus faible qu’en 1960. Si on analyse la situation par tête d’habitant, on constate que le pouvoir d’achat a fortement diminué pendant ces quarante dernières années : la population augmentant de 3 % chaque année, le pouvoir d’achat par habitant équivalait en 2000 à seulement 25 % de celui d’un Congolais avant 1960.
En 2000, le pouvoir d’achat de la population congolaise était-il plus faible qu’aujourd’hui?
Il s’élevait alors en effet à 260 dollars. Si la situation socio-économique s’est sensiblement améliorée depuis, c’est dû au plan de rétablissement économique inauguré en mai 2001 et prônant une dévaluation de la monnaie congolaise de 85 % ainsi que la promulgation d’une série de mesures d’accompagnement.
Quelle est la situation socio-économique actuelle?
Les améliorations apportées à la situation économique suite à l’introduction du plan de rétablissement, ne se sont plus fait sentir ces dernières années. Pourtant, les défis restent colossaux. L’inflation annuelle avoisine aujourd’hui les 17 %. C’est beaucoup moins qu’avant 2001 mais cela reste relativement élevé par rapport à d’autres pays africains et par rapport aux pays non-industrialisés. L’inflation annuelle devrait donc se réduire davantage et être inférieure à la croissance économique annuelle qui, comme dit précédemment, s’élève aujourd’hui à 6 %. Cela n’est possible qu’en appliquant des politiques monétaires et budgétaires rigoureuses.
Au sein du gouvernement congolais, les dépenses courantes et celles de la défense sont trop importantes. Il serait préférable d’investir dans les routes ou les soins de santé. Le Congo consacre aujourd’hui 2,5 % du PIB aux dépenses militaires, alors qu’1,1 % à peine est destiné aux soins de santé. Une réorientation de la politique des dépenses s’impose donc.
Quel rôle la Belgique joue-t-elle?
Nous donnons annuellement 200 millions d’euros – presque 300 millions de dollars – au Congo. Ce n’est donc qu’une infime partie de ce dont le Congo a besoin. La Chine, elle, donne annuellement 5 milliards de dollars. Ses réserves financières impressionnantes le lui permettent : fin 2008, les réserves externes chinoises, l’or non compris, s’élevaient à 2 400 milliards de dollars. La Chine finance également des investissements publics au Congo, comme la construction d’autoroutes et d’habitations sociales. En échange, elle est approvisionnée en matières premières. Dans ces joint-ventures (associations économiques) sino-congolaises, les Chinois disposent des deux tiers des voix. La Belgique, du moins sur le plan socio-économique, joue dès lors un rôle très modeste. Les performances sont relativement meilleures dans le domaine de l’éducation où la Belgique reste très présente.
En attendant le Mandela congolais
Cinquante ans. Le Congo des Kasa-Vubu, Lumumba, Mobutu et autres Kabila célèbre le 30 juin un demi-siècle d'existence. Moment symbolique de réjouissance populaire et d'affirmation de la souveraineté de la Nation. Indépendance tcha tcha...
Par Gérald Papy
PHOTO : La RDC est très riche en matières premières très recherchées aujourd'hui
C'est aussi l'occasion de scruter le chemin parcouru. Or, à comparer la République démocratique du Congo d'aujourd'hui au Congo de 1960, s'impose le diagnostic d'un grand fiasco et d'un immense gâchis. Pourquoi ce pays décrit comme un « scandale géologique », en raison de ses colossales ressources minières, est-il encore aujourd'hui parmi les plus pauvres au monde (176e sur 182 au classement selon l'indice de développement humain du Programme des Nations unies pour le développement, PNUD) ?
La responsabilité du colonisateur belge ne peut pas être éludée. Dans la balance, d'un côté, l'édification des infrastructures d'un Etat moderne (administration, santé, enseignement, communications, industrie...), de l'autre, l'asservissement de la population, un apartheid de fait, le racisme... Pour les Congolais, le bilan de la colonisation ne fut pas « globalement positif ». Celui de la décolonisation fut catastrophique. Absence de formation d'une élite congolaise, néocolonialisme économique de l'ancienne métropole, exacerbation des luttes intestines... Là aussi, les Belges ont failli.
Pour autant, les déficits de la colonisation n'expliquent pas, seuls, l'échec du développement. Il est temps aussi pour les Congolais d'exercer leur droit d'inventaire à l'égard de leurs dirigeants. Et l'aller-retour entre 1960 et 2010, que le jubilé du 30 juin invite à mener, ne doit pas occulter la période la plus sombre de l'histoire du Congo : les 32 ans de dictature du maréchal Mobutu. Prédation, corruption, fait du prince : la longue descente aux enfers du Congo-Zaïre s'est accomplie sous l'oeil complice d'un Occident trop heureux de pouvoir se reposer sur un « rempart contre le communisme ». Ensuite, une démocratisation en trompe-l'oeil a précipité le renversement de pouvoir par la violence et a conduit, paroxysme du drame congolais, aux guerres sanglantes, à dimension régionale, de 1996-1997 et de 1998-2002. On l'aura compris : le bilan de 50 ans d'indépendance du Congo n'est pas le bilan de Joseph Kabila.
Son accession au pouvoir, en novembre 2006, a même suscité de l'optimisme, mâtiné depuis d'inquiétudes. Kabila Jr a mis fin aux conflits ouverts dans l'est du pays, a assis son pouvoir par une légitimité démocratique et a attiré les investisseurs chinois. Mais il n'a pas éteint tous les foyers potentiels d'insurrection armée, il a muselé l'opposition politique et il peine à engranger des résultats sur les grands objectifs de rétablissement d'un Etat de droit qu'il s'est fixés. Pis, la répression des défenseurs des droits de l'homme, qu'illustre l'assassinat de Floribert Chebeya, fait craindre un retour à des pratiques dignes du... mobutisme.
L'actualité se montre parfois cruelle. Alors que les célébrations du 50e anniversaire jettent un regard sur la réalité souvent douloureuse de la population du Congo, le Mondial de football en Afrique du Sud vante l'harmonie d'une nation arc-en-ciel qui, sans vivre un quotidien toujours idyllique, jouit d'une certaine prospérité. Les Congolais, qui endurent la misère depuis des années, mériteraient, eux aussi, leur Mandela.