CONSEIL CONSTITUTIONNEL : CENSURE DES PEINES AUTOMATIQUES EN CAS DE DELIT FINANCIER

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L'art. L.7. du Code électoral non conforme à la Constitution.

 

Le Conseil constitutionnel a censuré vendredi la radiation automatique des listes électorales des hauts fonctionnaires ou élus condamnés pour délits financiers, l'estimant contraire au principe de l'individualisation des peines.



Le Conseil constitutionnel a déclaré non conforme à la Constitution l'article L.7 du code électoral qui rend automatique la radiation des listes électorales pendant cinq ans des élus et des hauts fonctionnaires condamnés pour corruption passive ou active, trafic d'influence, prise illégale d'intérêt, concussion, fraude dans l'attribution des marchés publics ou détournement de biens publics. Jusqu'alors, la condamnation d'un élu ou d'un haut fonctionnaire pour un de ces délits financiers entraînait sa radiation automatique des listes électorales pendant cinq ans, ce qui interdisait à l'intéressé de voter et de briguer des mandats électoraux.

Le Conseil constitutionnel a considéré que l'automaticité de cette sanction était contraire au principe de l'individualisation des peines garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, qui proclame que « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Les Sages ont maintenu la possibilité d'assortir la condamnation d'un haut fonctionnaire ou d'un élu pour un délit financier d'une radiation des listes électorales. Le Conseil constitutionnel a en revanche considéré qu'il appartenait aux juridictions de décider expressément cette peine accessoire au cas par cas lors de leur jugement.

La décision du Conseil constitutionnel a un effet rétroactif et s'applique aux radiations des listes électorales déjà intervenues en vertu de l'article du code électoral censuré. Les élus et les hauts fonctionnaires qui ont été condamnés à cette peine automatique recouvrent donc le droit de s'inscrire sur les listes électorales et de briguer le cas échéant des mandats électifs.

 

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Le Conseil constitutionnel censure les peines automatiques en cas de délit financier 

Pour la deuxième fois en moins d'un mois, les sages de la rue de Montpensier ont utilisé les nouvelles possibilités que leur offre la Constitution : à la demande d'un justiciable, ils ont fait disparaître de l'ordre juridique français une loi qui prévoyait des peines automatiques pour les personnes condamnées pour corruption, prise illégale d'intérêt, concussion ou trafic d'influence. En imposant des peines automatiques, ce texte méconnaît, selon le Conseil, le principe constitutionnel de l'individualisation des peines.

Le Conseil s'est prononcé dans le cadre d'une nouvelle procédure : la question prioritaire de constitutionnalité. Il y a encore quelques mois, les sages ne pouvaient être saisis que par des autorités politiques – le président de la République, le premier ministre, les présidents de l'Assemblée nationale ou du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs –, avant la promulgation d'un texte. Depuis le 1er mars, tout justiciable peut, au cours d'une instance, interroger le Conseil au sujet d'une disposition législative qui lui est opposée.

C'est ce qu'ont fait deux élus, l'un de Saint-Pierre-et-Miquelon, l'autre de métropole. Ils dénonçaient l'article 7 du code électoral qui prévoit que tout élu ou fonctionnaire est automatiquement radié des listes électorales pour cinq ans s'il est condamné pour concussion, corruption, trafic d'influence, prise illégale d'intérêts ou détournement de biens. Une disposition qui s'applique également aux citoyens condamnés pour corruption, trafic d'influence ou menaces contre des personnes exerçant une fonction publique.

Dans une décision rendue vendredi 11 juin, le Conseil constitutionnel constate que cette radiation automatique des listes électorales entraîne de facto l'impossibilité d'exercer un mandat électif pendant cinq ans : toute personne qui se présente à une élection doit en effet être inscrite sur les listes électorales. En conséquence, la radiation automatique des listes électorales pour cinq ans constitue "une sanction ayant le caractère d'une punition".

PEINE ACCESSOIRE

Cette sanction n'est pas prononcée par le juge au regard de la gravité des faits ou de la personnalité du prévenu, "elle est attachée de plein droit à diverses condamnations pénales sans que le juge qui décide de ces mesures ait à la prononcer expressément, constate le Conseil. Il ne peut davantage en faire varier la durée."

Le condamné peut certes demander à la justice de le relever de cette incapacité mais cette possibilité "ne saurait, à elle seule, assurer le respect des exigences qui découlent du principe d'individualisation des peines". Les sages de la rue de Montpensier ont estimé que cette peine accessoire, "à la fois automatique et insusceptible d'être individualisée", était contraire à la Constitution.

L'article 7 du code électoral est donc abrogé à compter de la publication de l'arrêt. Cette décision est d'application immédiate: toutes les personnes radiées ces dernières années des listes électorales au nom de cet article peuvent demander dès aujourd'hui leur inscription immédiate sur les listes électorales.

Cette décision se situe dans le droit fil de la jurisprudence du Conseil sur les peines automatiques. En 1999, les sages avaient abrogé un texte en vigueur en Nouvelle-Calédonie qui interdisait à toute personne condamnée pour faillite personnelle ou liquidation judiciaire d'exercer une fonction publique élective pendant cinq ans "sans que le juge qui décide de ces mesures ait à prononcer expressément ladite incapacité". Ce texte, selon le Conseil, "méconnaissait le principe de nécessité des peines".

Lors de la réforme du code pénal, en 1992, le législateur avait supprimé toutes les peines automatiques au nom du principe de l'individualisation des peines aujourd'hui invoquée par le Conseil. Mais à l'époque, il n'avait pas toiletté l'ensemble des textes en vigueur : il reste donc, disséminées dans d'autres codes que le code pénal, des peines automatiques qui seront peut-être un jour soumises au Conseil dans le cadre de la question prioritaire de constitutionnalité.

Dans une autre décision, rendue également vendredi 11 juin, le Conseil constitutionnel a estimé que la loi dite "anti-Perruche" était, elle, conforme à la Constitution. Adopté en 2002, ce texte précise que lorsque les parents d'un bébé né handicapé ont été privés de leur droit à l'avortement à la suite d'un diagnostic anténatal erroné, l'enfant ne peut demander réparation à titre personnel.

Selon les sages, qui se prononçaient aussi sur une question prioritaire de constitutionnalité, le législateur "n'a fait qu'exercer la compétence que lui reconnaît la Constitution sans porter atteinte au principe de responsabilité ou au droit à un recours juridictionnel". L'application de ces nouvelles règles aux instances en cours au moment du vote de la loi a en revanche été jugée contraire à la Constitution.

Anne Chemin