DÉCOLONISER TAHITI : "MAUVAISE BLAGUE" OU PETIT JEU POLITIQUE ?

temaru.flosse.jpg DÉCOLONISER TAHITI 

J’ai contacté nos riverains en Polynésie française pour connaître leur réaction à la décision des Nations unies de placer à nouveau la région sur la liste des territoires à décoloniser. Portée par le camp indépendantiste, rejetée par Gaston Flosse, à nouveau élu président de la collectivité début mai, la revendication n’a pas l’air de mettre la collectivité à feu et à sang.

 

Alors qu’on aurait pu s’attendre à des tensions entre les deux camps, l’ambiance était à la fête dans le hall de l’Assemblée locale ce vendredi. « Il y avait des gens heureux, des vêtus en bleu, les indépendantistes ; des vêtus en orange, les Tahoeeraa... », raconte Martine D.. « Les uns fêtaient la décision de l’ONU, les autres l’élection de Flosse. »

Sergueï, journaliste installé sur l’ile, a eu le même sentiment : chants tahitiens d’un côté, Marseillaise de l’autre, « mais aucune animosité », un « très beau moment ». « L’ambiance était plutôt conviviale, on est à Tahiti ! », renchérit Martine D.

« La vraie indépendance est économique »

Malgré cette atmosphère bon enfant, les riverains des antipodes me rappellent presque tous la sévère crise économique que traverse la collectivité d’outre-mer. Totara explique son désarroi :

« Beaucoup de Polynésiens, si ce n’est la majorité, sont conscients que la vraie indépendance est économique : c’est elle qui ouvre l’indépendance politique.

Mais que faire quand la France gère notre territoire comme un comptoir ? Que faire quand nous constatons que certains de nos élus refusent d’ouvrir le pays sur le monde ? »

Dans une tribune sur Rue89, Oscar Leaba estime lui aussi que « la relation à Paris sur le long terme dépendra de la capacité de l’Etat à mettre un terme au processus d’appauvrissement dans laquelle la Polynésie est entrée ».

« Tout peuple a droit à l’autodétermination »

Beaucoup doutent que la résolution de l’ONU, soutenue par plusieurs petits Etats du Pacifique et qui ouvre en théorie la voie à un référendum sur l’indépendance, ait de réelles conséquences sur le statut du territoire. Bioskop, professeure :

« La Polynésie française se retrouve aux côtés des seize territoires présents sur cette liste, dont la Nouvelle-Calédonie, qui poursuit actuellement un processus d’autodétermination.

Je suis absolument convaincue que l’inscription est une excellente chose. Quoi de plus normal que d’accorder à tout peuple le droit à l’autodétermination ?

Mais la Polynésie n’a jamais signé l’équivalent de l’accord de Nouméa : en ce sens, le processus n’est pas encore enclenché, et donc loin d’être abouti. »

Pas « débiles » de réélire Gaston Flosse

A peine son siège de président retrouvé, Gaston Flosse, fort des 45% des suffrages obtenus le 5 mai (contre 30% pour Oscar Temaru l’indépendantiste) s’est d’ailleurs empressé de faire voter un « vœu » par l’Assemblée afin de dénoncer le choix de l’ONU.

Plus que la décision onusienne – « une mauvaise blague », conclut Martine D. –, c’est bien l’affrontement entre les deux figures politiques de la Polynésie qui retient l’attention :

« Il est difficile pour les Français (de métropole) de comprendre que nous ayons réélu Gaston Flosse, un “repris de justice”. Vu d’ici, cela parait plutôt logique. Non pas que nous soyons débiles, sous-éduqués politiquement (comme j’ai pu le lire sur certains forums). Mais nous n’avons tout simplement pas eu le choix !

Depuis des mois, Temaru se baladait dans tout le Pacifique et à New York pour faire aboutir son projet. On était exaspérés, la situation économique est catastrophique : pas de travail, pauvreté qui gagne du terrain, incapacité de construire des logements sociaux alors que l’argent est disponible – ce gouvernement n’a utilisé que 5% de l’enveloppe donnée par la France.

On aurait voulu que le président soit là, et au travail avec son gouvernement ! »

« Dérives racistes des indépendantistes »

Stephdetahiti, prof de philo, a lui aussi la dent dure : 

« Le nationaliste Oscar Temaru avait été élu en 2004 en fondant toute sa campagne contre les magouilles, le clientélisme et les divers emplois fictifs créés par son prédécesseur. Des malversations bien réelles, mais les Polynésiens avaient voté plus pour un changement que pour l’idée d’indépendance.

Les dérives racistes des indépendantistes se sont vite révélées [...] Effrayés, les touristes se sont fait rares, le chômage a explosé, sans que cela n’inquiète Temaru, uniquement focalisé sur cette demande de réinscription.

Peu lui importait que le salaire moyen des pays indépendants voisins (Vanuatu, îles Cook, Samoa…) soit dix fois inférieur à celui de la Polynésie française : “Ils ne sont pas moins heureux”, répondait-il.

Un tel discours ne pouvait être longtemps accepté par les Polynésiens, extrêmement métissés, les Van Bastolaer, Robson, Fritch, Lehartel, Vivish..., vieilles familles Tahitiennes, comme l’immense majorité de la population qui compte un ancêtre européen ont compris le danger de ce discours ethnique. »

« Le peuple sera interrogé sur son avenir »

Attention à ne pas « museler la voix de 25% de l’électorat polynésien favorable à l’indépendance », rétorque Cielserein. « En ce sens, le président sortant Oscar Temaru a fait preuve d’une immense maturité, mais il faudra de très nombreuses années avant que cela ne soit reconnu. »

La procédure enclenchée lui semble saine :

« Cette réinscription a le mérite d’imposer un nouveau processus, avec une enquête sur le passé colonial de la France. [...] Elle impose aussi l’organisation d’un référendum d’auto-détermination sur le devenir institutionnel, référendum qui aura lieu dans quinze ou vingt ans.

C’est la première fois que le peuple sera interrogé officiellement sur son devenir institutionnel. Il est regrettable à mon sens que le gouvernement central ait refusé d’accompagner le processus, cela aurait évité des tensions inutiles.

Ce qui est intéressant, c’est que l’autonomisme » de Gaston Flosse s’est souvent présenté comme un rempart à l’indépendantisme d’Oscar Temaru, et inversement. Avec la réinscription, ce débat n’aura bientôt plus lieu d’être.

Les deux grands caciques de la politique locale devront alors se positionner par rapport aux réels problèmes économiques, sociaux, environnementaux et culturels que nous rencontrons. »

SOURCE : Rue89