Car il faut se souvenir qu’il y a
une dizaine d’années, le Conseil Régional avait racheté les bassins de
Séguineau (à la frontière des communes du Marigot et du Lorrain) afin
de les mettre à la disposition de jeunes aquaculteurs. Mais jamais ces
bassins ne purent être mis en exploitation parce qu’ils étaient gorgés
de chlordécone, se trouvant en effet, sur le bassin versant de grosses
habitations bananières. Le Nord de la Martinique n’est-il pas qualifié,
par nos politiques, de « royaume de la banane » ?
Souvenons-nous aussi qu’après 30 ans d’utilisation massive, le chlordécone fut définitivement interdit en Martinique et en Guadeloupe en 1993. Cela fait donc 14 ans !!! Or, aujourd’hui, en 2007, les services de l’Etat viennent contraindre un pauvre pisciculteur de fermer boutique, ce qui sera le cas, à n’en pas douter, dans les prochains mois, de la quasi-totalité de ses confrères. Lorsque Louis Boutrin et moi-même avions écrit dans notre livre, « Chronique d’un empoisonnement annoncé », que la rémanence (persistance dans les sols) de ce pesticide était, selon l’ « American Cancer Institute » de 150 ans, on nous avait ri au nez. On nous avait traités de menteurs, d’affabulateurs, de fossoyeurs de l’économie martiniquaise. Nous n’avions pourtant fait que traduire des passages d’une enquête scientifique menée par des savants étasuniens ! Comme quoi un préfet colonial, deux-trois latifundiaires békés et un président de Chambre d’Agriculture nègre en savent plus que les docteurs en chimie et toxicologie de Washington ! D’autant que ce sont les Etasuniens qui avaient « inventé » le chlordécone en 1976 et l’avaient définitivement interdit en 1979…
N’oublions pas non plus que juste avant l’interdiction faite au pisciculteur de Saint-Esprit, ces messieurs avaient pris déjà une première claque en pleine figure : le 10 juillet dernier, la Cour Européenne de Justice interdisait, en effet, l’usage du « paraquat », puissant (et dangereux) herbicide vendu dans le commerce sous le nom de « R-Bix ». Motif : il intervient dans le déclenchement de la maladie de Parkinson. L. Boutrin et moi en avions dénoncé l’utilisation massive et incontrôlée dans notre livre, pointant dans le même temps du doigt le chlodécone bien sûr, mais aussi le DDT, le Perchlordécone et la Dieldrine. Là, les services de l’Etat, les Békés et leurs affidés furent contraints de s’écraser : Bruxelles avait parlé. Ils ne pouvaient donc que s’exécuter. Pourtant, M. Louis Bertome, président de la Chambre d’Agriculture de la Martinique, avait cloué au pilori, dans un communiqué publié en avril, « ceux qui veulent entraîner la Martinique dans une guerre contre l’utilisation des produits chimiques dans l’agriculture », nous qualifiant lui aussi de fossoyeurs de notre agriculture. Aujourd’hui, ses amis et lui ont été obligés de pondre un pitoyable communiqué demandant…le retrait du paraquat. Si la situation n’était pas tragique, il y aurait là de quoi mourir de rire !
N’oublions pas encore les déclarations du professeur Belpomme, venu en Martinique, il y a trois mois, à l’invitation d’une association écologique, le PUMA, qui se bat depuis longtemps contre le chlordécone mais s’est toujours refusée à porter l’affaire sur le plan politique, ce qui est dommage : « Là où il n’ a pas ou peu de bananeraies, il n’y a pas de contamination possible au chlordécone ». Avec tout le respect que nous avons pour cet éminent cancérologue français (que nous citons d’ailleurs à plusieurs reprises dans notre livre), L. Boutrin et moi avancions le contraire : pour nous, le château d’eau de la Martinique se situant dans le Nord et le Nord étant « le royaume de la banane », présence de bananeraies ou pas, toute personne qui pendant 30 ans a bu l’eau du robinet a été forcément contaminée. Tout agriculteur ou pisciculteur qui s’en est servie pour l’irrigation a forcément contaminé ses champs et ses bassins. On nous avait rit au nez ! Un benêt de journaliste, qui ferait mieux de s’occuper de la « Star Académie » ou du championnat de foot de Ligue 1, avait même ironisé sur « ces non-spécialistes qui se permettent de contredire un spécialiste » ! Or, aujourd’hui, la fermeture de l’exploitation de « ouassous » du Saint-Esprit nous donne raison, d’autant que le professeur Belpomme avait pris l’exemple du…Saint-Esprit, situé au Sud de la Martinique, pour asseoir son argumentation.
Mais bon, nous ne tirons aucune gloire d’avoir eu raison. Ce qui nous intéresse, c’est que l’Etat et ses services déconcentrés, que nos politiques, que les directeurs des Chambres d’agriculture de la Martinique et de la Guadeloupe prennent les choses à bras le corps et cessent de tergiverser. Il faut déclarer nos deux pays « en situation de catastrophe sanitaire ». Hors de cela, point de salut ! Sinon on continuera à faire du cosmétique, du symbolique : interdire quelques exploitations piscicoles ici et là, interdire à tel ou tel agriculteur de vendre ses ignames ou ses patates douces parce que les résultats de l’analyse de sa terre, effectués par le laboratoire de la Drôme, se seront révélés positifs au chlordécone etc…Ce que nous exigeons, c’est une prise en compte globale du problème et non du coup par coup. Ce que nous exigeons, c’est une cartographie précise des terres contaminées et la mise en place d’un système de traçabilité des légumes qui se retrouvent dans nos assiettes.
Ce n’est quand même pas la mer à boire pour la 5è puissance économique du monde (la France) et pour le 1er bloc économique du monde (L’Europe). Surtout que les premiers à trinquer ne sont pas les vrais responsables ! Les premiers à trinquer sont les petits et moyens agriculteurs, les pisciculteurs et les marchandes de légumes. Pas les gros propriétaires fonciers ni les négociants en pesticides (qui sont souvent les mêmes d‘ailleurs !). On se souvient encore de l’épisode lamentable de cette association-bidon de marchandes de légumes, « Machann Foyal », montée de toutes pièces en trois jours, que l’on a fait défiler dans les rues de Fort-de-France pour dénoncer « les fossoyeurs de l’agriculture martiniquaise » et qu’un certain préfet-yoleur avait reçu en grandes pompes. « Machann Foyal » avait té bricolée à la hâte pour contrer une manifestation prévue par l’ANC (Association Non au Chlordécone), dont le président est Georges-Emmanuel Germany, manifestation qui fut bloquée devant la Préfecture par un imposant cortège de policiers, le préfet-yoleur refusant cette fois d’en recevoir une délégation ! On se souvient enfin des tracasseries inadmissibles faites en Guadeloupe à Me Durimel, avocat et grand pourfendeur du chlordécone dans l’île-sœur.
Mais passons…car aujourd’hui, il y a plus grave. L’Etat et ses services déconcentrés révèlent enfin leur vrai visage avec l’affaire du pisciculteur du Saint-Esprit. En effet, le communiqué de la Direction des Services Vétérinaires écrit noir sur blanc que la présence de chlordécone dans les bassins de cet exploitant « …dépasse les normes ». On est en pleine science-fiction. Ou en pleine tragi-comédie si l’on préfère. Et nous posons à ces messieurs-dames la seule question qui vaille :
« Depuis quand établit-on des normes d’utilisation pour un poison ? »
Un poison est un poison et doit être interdit. Point barre. La santé de la population doit prévaloir sur la logique économique. C’est tout. Jamais on ne dirait aux gens de consommer ne serait-ce qu’un milligramme d’arsenic, par exemple. Et le chlordécone, le paraquat, la dieldrine et consorts sont pire que l’arsenic car au moins ce dernier agit-il immédiatement et la personne atteinte peut être rapidement soignée, tandis que les pesticides susnommés agissent sournoisement, pendant des années et des années, et sont, au bout de 30 ans, comme nous l’avons écrit dans notre livre, L. Boutrin et moi, responsables de l’explosion des cancers de toute nature que l’on constate aux Antilles, du développement exponentiel des maladies d’Alzheimer et de Parkinson, des malformations congénitales, de l’infertilité féminine cet masculine etc…Evidemment, là encore, on nous avait traité d’affabulateurs lorsque nous avions déclaré que la Martinique était le deuxième pays au monde le plus touché par le cancer de la prostate après les USA lequel, soit dit en passant est le plus gros utilisateur de pesticides au monde. Le numéro 1814 du magazine « LE POINT », en date du jeudi 21 juin 2007, vient nous donner raison. Il est intitulé « Hôpitaux : le palmarès 2007. 700 établissements au banc d’essai. Les meilleurs, ville par ville pour 400 spécialistes. ». Que découvre-t-on dans cette étude ? Que La Meynard à Fort-de-France et le C.H.U de Pointe-à-Pitre ne figurent pas dans la liste des 50 meilleurs hôpitaux français, ce qui n’est pas choquant vu le manque criant de matériel et de personnel régulièrement dénoncé par les syndicats locaux. Mais ce qui est beaucoup plus intéressant, c’est qu’il n’y figurent pas non plus pour les 50 meilleurs hôpitaux traitant de l’infarctus du myocarde, des accidents vasculaires cérébraux, des stimulateurs cardiaques, de la chirurgie des artères, de la chirurgie des testicules, des calculs urinaires, de la thyroïde etc…Et savez-vous dans quelles spécialités nos deux centres hospitaliers antillais figurent dans ce palmarès ?
Dans celui du cancer de la…prostate. Le CHU de Pointe-à-Pitre est classé 10è et La Meynard 26è. Pas mal non ? Surtout que si l’on tenait compte de notre faible population par rapport aux départements français de l’Hexagone, notre classement serait nettement meilleur. Exemple : l’hôpital Cochin à Paris traite 313 cas par an et le CHU de Pointe-à-Pitre 184. Même s’il n’y a pas que Cochin comme hôpital à Paris, cette ville compte tout de même 8 millions d’habitants contre 400.000 dans toute la Guadeloupe. Pas besoin d’être un grand arithméticien pour comprendre qu’aux Antilles, ce cancer explose. Le problème, c’est que l’enquête du « POINT » ne traite pas de cancers normalement rares comme celui du « myelum », mais hélas, point du tout rares au « royaume de la banane » comme le constatent, effarés, divers médecins généralistes du Lorrain, du Marigot, de Basse-Pointe et de Sainte-Marie. Nos détracteurs avaient rétorqué que le cancer de la prostate était d’origine génétique, en clair qu’il frappait surtout les Nègres. Nous diront-ils maintenant que le cancer du myelum frappe surtout les chabens ou les Koulis ?
On serait en plein vaudeville, en pleine bouffonnerie, si ce n’était pas l’avenir même des peuples martiniquais et guadeloupéens qui étaient concerné. En fait, l’Etat, les Békés et les Chambres d’agriculture font tout pour dissimuler leur responsabilité et empêcher la constitution d’une commission d’enquête parlementaire qui seule serait habilitée à éclaircir les choses, bénéficiant il est vrai de l’incurie de la plupart nos politiques, de la pleutrerie de la plupart de nos journalistes et de l’inertie de nos populations auxquelles sont offerts, jour après jour, des dérivatifs. C’est à qui, par exemple, cherchera, ces jours-ci, à gagner le concours « Digicel » pour avoir un « Hummer », cette sorte de petit frère du tank que l’on voit mal rouler sur nos routes surencombrées.
En attendant, que l’on nous permette de reposer notre question à l’Etat et à ses services déconcentrés :
« Depuis quand établit-on des normes pour l’utilisation d’un poison ? »