Alfred Marie-Jeanne : "Maintenant, il reste tout le reste, c'est-à-dire le marathon de la mise en oeuvre, dépouillé de toute prétention délirante".
Assemblée Nationale. Paris - Jeudi 9 juin 2011. La Proposition de Loi du Député Serge Letchimy sur "Habitat informel et lutte contre l'Habitat indigne en Outre-Mer" arrive en débat devant l'Assemblée Nationale (seconde lecture). Hémicycle quasi-désertique, peu de représentants de l'Outre-Mer pour un texte qui concerne pourtant l'ensemble des ultramarins.
Certes les quatre députés de la Martinique sont tous présents, ainsi qu'Abdoulatifou Aly (Modem - Mayotte) et Patrick Lebreton (PS - Réunion) mais les députés de Guyane, Guadeloupe (en dehors de Victorin Lurel - PS) et Réunion n'ont pas jugé bon d'être présents. Allez savoir pourquoi ? Ci-dessous l'intervention du député Alfred Marie-Jeanne
Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Collègues de l'Assemblée,
L'aspiration de tout citoyen est l'accès à un logement décent.
C'est la colonne vertébrale de la vie en société.
Ce besoin légitime a été reconnu par la loi comme un droit fondamental.
Vivre dans un logement précaire peut être un facteur d'humiliation, de frustration, mais aussi de révolte.
L'humain peut se détruire. Les rapports entre les humains peuvent s'altérer. La vie en société court le risque de se détériorer.
La Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, et la Réunion, sont concernées à des degrés divers par ce problème.
Aussi, le gouvernement a-t-il jugé utile et opportun de donner mission au collègue Serge LETCHIMY pour y dresser un état des lieux.
Suite à cette mission, les députés ont adopté à l'unanimité le 26 janvier 2011, la proposition de loi portant dispositions particulières relatives aux quartiers d'habitat informel et à la lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer.
Cet intitulé montre bien que cette mission était expressément circonscrite à ces territoires où plus de 150 000 personnes sont en attente d'un logement social.
A leur tour, le 04 mai 2011 les sénateurs votent à l'unanimité le texte présenté, après l'avoir recadré et remanié . Tout ceci en un temps record.
Puis, après les travaux de la commission des affaires économiques de l'Assemblée, on constate qu'un consensus s'est dégagé pour entériner en l'état le texte issu du Sénat.
Qu'à cela ne tienne !
Ce qui importe ici et maintenant, c'est bel et bien la mise en route concrète avec le même tempo, des mesures arrêtées d'un commun accord.
Là est le vrai défi,
Quand on sait l'impasse dans laquelle se trouvent les finances de l'Etat.
Quand on sait aussi la quasi insolvabilité des collectivités communales dont certaines d'entre elles ne verront leurs dettes apurées qu'après plus de 30 à 40 ans, dixit la Chambre Régionale des Comptes.
Quand on sait que la demande de logements sociaux pour la Martinique est de 12 000 et que le niveau de production est tombé à environ 300 logements par an.
Quand on sait qu'en 2010, l'Etat n'a dépensé pour l'outre-mer que 20 millions d'€ sur les 110 millions prévus pour le logement social, d'où 90 millions d'investissements en moins.
Dans ces conditions il faut avoir l'honnêteté de dire que le contexte est particulièrement contraint.
Pour autant ce n'est pas maintenant que tout commence avec la proposition de loi, car beaucoup d'opérations de résorption de l'habitat insalubre informel et indigne ont été menées à bien dans le passé.
Cette démarche apparaît comme un aboutissement, comme un parachèvement, en vue d'une accélération pour rattraper le temps précieux perdu par endroits.
Je prends à témoin le rapporteur lui-même qui a déclaré ceci « j'insiste sur le fait que certaines opérations de traitement de l'habitat durent depuis vingt cinq ans et qu'il faut en moyenne une dizaine d'années pour traiter quatre cents logements. »
C'est la preuve que beaucoup d'autres opérations ont été réalisées avec l'implication de l'Etat bien sûr, mais aussi avec le concours potalan des municipalités, tout clivage politique confondu. Leurs concours concernaient le plus souvent la prise en charge du foncier et des travaux de V.R.D (Voirie et Réseaux Divers).
Je concède volontiers qu'il existe des cas épineux, des véritables kafé léfan comme on dit en langue Kréyol. C'est le cas précis de Trénelle-Citron à Fort-de-France où vivent agglomérés pas moins de 8000 habitants.
Vous imaginez que dans la seule ville de Fort-de-France, la capitale de la Martinique, 20% de l'habitat est informel déclare le rapporteur lui-même.
Dans le même ordre d'action l'île de la Réunion avait déjà mise en oeuvre le principe du périmètre insalubre à contenu adapté.
Les avancées juridiques retenues aujourd'hui, ne se sont pas faites ex nihilo sur une table rase, loin de là.
L'aide financière était de mise dans tous les cas de résorption de l'habitat insalubre.
La proposition de loi vient à point nommé pour conforter ces usages.
C'est le reflet d'une praxis utilisée à bon escient.
Rappeler ce qui a été accompli n'enlève rien à la valeur intrinsèque de la proposition de loi. Bien au contraire.
Le de facto devient le de jure.
Pour répondre à l'urgence, pour parer au plus pressé, des accords tacites ont été consentis à profusion, dans l'attente du renvoi de l'ascenseur en autant de votes favorables. Et pour recouvrir le tout d'une apparente légalité les bénéficiaires étaient élevés au rang de contribuable à part entière en payant impôt, taxe d'habitation, taxe foncière.
Qu'on le veuille ou non c'était déjà une manière de conférer à ces personnes, considérées en contravention avec la loi , un certificat de reconnaissance et un titre de propriété.
De fil en aiguille, la situation est devenue pratiquement ingérable et ce d'autant plus que chaque particulier était le plus souvent son propre aménageur ce qui envenimait parfois les rapports de bons voisinages.
C'est pourquoi il n'était plus concevable d'ajourner la trouvaille d'une solution adaptée à ces situations complexes voir inextricables.
Avant de terminer, il est important de signaler
1/ que le foncier est une denrée très rare en Martinique. Les prix sont prohibitifs et facteurs d'exclusion.
2/ que certaines zones à réhabiliter sont surexposées aux risques naturels majeurs.
Pratiquement d'ailleurs la Martinique est un concentré de risques avec en surajout celui de la pollution des terres. Ce dernier facteur n'est pas à négliger. Car des personnes indélicates ont vu dans cette pollution une aubaine spéculative pour la construction.
Ces deux derniers paramètres doivent également être pris en compte.
Ce qui implique deux obligations supplémentaires incontournables
D'une part, la construction en hauteur.
D'autre part, la construction parasismique et anticyclonique.
En ajoutant bout à bout toutes ces exigences normales vous comprendrez sans détours que les fonds doivent être conséquents pour rendre l'habitat à la fois salubre mais aussi sécurisé.
En conclusion,
La mission a été accomplie.
La proposition de loi va être adoptée aujourd'hui même.
Maintenant, il reste tout le reste, c'est-à-dire le marathon de la mise en oeuvre, dépouillé de toute prétention délirante.
Aux risques naturels majeurs que je viens d'évoquer,
Etat, Collectivités,
n'ajoutons pas le risque majeur d'un financement non à la hauteur des besoins réels.
Alfred MARIE-JEANNE
Paris le jeudi 09 juin 2011