On sait qu'il a fait de brillantes études à Paris où il s'est intéressé à la fois au droit, aux Sciences politiques et à l'économie politique. On sait qu'à son retour en Guadeloupe, parallèlement à ses affaires (Lucien Gerville-Réache est propriétaire du grand hôtel «Relaxe», Agent Général du groupe d'Assurances «La Protectrice», Agent général de la Compagnie Air France, propriétaire d'une Agence de voyage qui porte son nom), il a exercé efficacement d'importantes responsabilités politiques, notamment à la Présidence de la commission des finances du Conseil général de la Guadeloupe.
Pourtant, à ses compatriotes, l'essentiel de cet homme brillant demeurait caché jusqu'à ces dernières semaines. Nous ignorions en lui l'artiste, le poète, celui que la revue africaine francophone Bingo a qualifié d'«Ange de la poésie».
Sans doute une certaine modestie, la réserve presque prude de Gerville-Réache quand il parle de lui en tant que poète est-elle pour une part dans cette fâcheuse ignorance. Peut-être aussi l'auteur, plutôt que de nous livrer sa pensée éparpillée, par bribes, a-t-il préféré la livrer d'un seul bloc à notre sagacité.
Mais à l'étranger depuis plusieurs années déjà il avait commencé à se livrer, notamment au Premier Festival International de la Jeunesse Francophone à Québec, le 18 août 1974 devant 30.000 auditeurs enthousiastes.
Rendant compte de cet événement la revue Bingo écrivait alors : «La foule, compacte et béatifiée, rentre dans une espèce de transe morale après vingt minutes d'écoute. Lucien Gerville-Réache a su prendre sa mesure. Elle exulte, fend l'air avec des cris stridents, ou des accents gutturaux. Quel spectacle ! Quel enchantement ! Quelle symphonie de l'ouïe !»
Ici, en Guadeloupe, il a fallu qu'un homme aussi différent de lui sur le plan politique que Laurent Farrugia, dans un numéro spécial de Noël 1977 du journal communiste Le Flamboyant le classe avec Aimé Césaire et Louis Zou parmi les 3 poètes prestigieux d'aujourd'hui pour que l'on commence à en prendre la mesure exacte.
C'est que l'œuvre de Lucien Gerville-Réache, comporte quelque chose d'absolument original et autonome. Ainsi qu'il accepte de le reconnaître notre poète n'a pas de maîtres en poésie, sa création est une parfaite idiosyncrasie, d'où un accent inimitable qui ne permet pas de le classer dans une école déterminée. Il s'en réjouit, détestant toutes les barrières, tout ce qui limite, étouffe, restreint. C'est la raison d'ailleurs pour laquelle, tout en admirant le talent d'Aimé Césaire il ne peut éprouver pour le concept de «Négritude», dont se prévaut le célèbre Foyalais, qu'une antipathie profonde, presque une aversion. Imagine-t-on un poète de la «blanchitude», sinon quelque scribe hitlérien ?
La poésie de Gerville-Réache par contre s'adresse à l'homme universel. Elle vise ce qu'il y a en lui de plus profond et ouvert. Elle préfère ce qui dilate à ce qui diminue, ce qui unit à ce qui divise.
Le poème qui suit est tiré du recueil « A fleur d’homme », publié en 1978, aux éditions Saint Germain des Près).
LA PLUME DE MES REVES
Je rêve d'une plume, oh, mais quelle plume
Je la voudrais toute de sensibilité, de douceur et s’il convenait, de violence
Qu'elle fut intuitive, spontanée, musicienne
Que la note sienne soit celle qui convienne
Comme l'archet du maestro, il lui faudrait trouver
L'harmonie sur la corde en des accords fous
Et galoper sur les arpèges jusqu'aux infinis
Elle aurait à loisir l'accent grave ou aigu
Les inflexions sourdes ou tenues
Glissant pleine de douceur dans les eaux du bonheur
Ou gonflées de peines et de pleurs pataugeant dans la fange du malheur
Elle pourrait discourir concepts transcendantaux puis aussi bien pain quotidien, ou fragilité de la chair
A son gré, elle décrirait des spirales inouïes
A seule fin de voir la grande humanité
En sa quête sans fin de lumière, de délivrance Et lui montrer les chemins de l'espérance
Grande puissance par le monde
Tout à sa manière elle s'y agencerait
Elle aurait les palais de sa convenance
Et j'en sais un qui l'enchanterait
Il serait conçu d'une lointaine antiquité
J'y voudrais voir en son aire disciplinée
Tels des métronomes
Dans l'immobilité régides, figés, hiératiques
Dans le mouvement rythmés, réservés, magnifiques
Des bonzes aux yeux d'émeraude, à la peau de bronze
Donnant la cadence et assurant le diapason
Elle y construirait une tour haute, très haute
Evasion et sanctuaire
Où, elle et moi, rien que nous deux
Pourrions nous retrouver
Loin des courtisans et des chambellans
Pour nous faire des confidences et se dire des choses
douces
Si d'aventure, malgré ce palais fastueux
Le monde palpable devenait ennuyeux devenait écrasant
J'irais à la tour haute, très haute
En son écrin de satin j'y prendrais ma plume
Et elle m'emmènerait, j'en suis sûr
En une envolée folle
Vers ces cieux lointains, lointains
Cet éden dont on ne revient
En ces lieux où, devenant l'impalpable
On côtoie l'Eternité.
Lucien Gerville-Réache.