Disparition d'une figure emblématique

gervillereache.jpgLucien Gerville-Reache est mort hier matin à Basse-Terre. Âgé de 80 ans, il fut une personnalité aux multiples facettes. Homme d'affaires, il  avait notamment monté une agence de voyage dans l'île. Poète, homme de lettres, Lucien Gerville-Reache était reconnu pour son bagout. Généreux mécène
pour les clubs sportifs, ses actions resteront dans les annales. Lucien Gerville-Reache  avait été candidat aux
élections municipales de Gourbeyre ainsi qu'aux élections cantonales. Les obsèques du père du chanteur Laurent Voulzy seront célébrées mardi 23 septembre  à Gourbeyre.

 
Lucien Gerville-Réache est un personnage méconnu. Certes chacun en Guadeloupe, surtout dans la région de Basse-Terre en a entendu parler ou a eu à connaître directement l'homme d'affaire estimé, ou l'homme politique admiré, au verbe prestigieux.

On sait qu'il a fait de brillantes étu­des à Paris où il s'est intéressé à la fois au droit, aux Sciences politiques et à l'économie politique. On sait qu'à son retour en Guadeloupe, parallèlement à ses affaires (Lucien Gerville-Réache est proprié­taire du grand hôtel «Relaxe», Agent Général du groupe d'Assurances «La Pro­tectrice», Agent général de la Compagnie Air France, propriétaire d'une Agence de voyage qui porte son nom), il a exercé efficacement d'importantes responsabili­tés politiques, notamment à la Présidence de la commission des finances du Conseil général de la Guadeloupe.

Pourtant, à ses compatriotes, l'essentiel de cet homme brillant demeurait caché jusqu'à ces dernières semaines. Nous ignorions en lui l'artiste, le poète, celui que la revue africaine francophone Bingo a qualifié d'«Ange de la poésie».

Sans doute une certaine modestie, la réserve presque prude de Gerville-Réache quand il parle de lui en tant que poè­te est-elle pour une part dans cette fâ­cheuse ignorance. Peut-être aussi l'auteur, plutôt que de nous livrer sa pensée épar­pillée, par bribes, a-t-il préféré la livrer d'un seul bloc à notre sagacité.

Mais à l'étranger depuis plusieurs années déjà il avait commencé à se livrer, notamment au Premier Festival Interna­tional de la Jeunesse Francophone à Qué­bec, le 18 août 1974 devant 30.000 audi­teurs enthousiastes.

Rendant compte de cet événement la revue Bingo écrivait alors : «La foule, compacte et béatifiée, rentre dans une es­pèce de transe morale après vingt minutes d'écoute. Lucien Gerville-Réache a su prendre sa mesure. Elle exulte, fend l'air avec des cris stridents, ou des accents gut­turaux. Quel spectacle ! Quel enchante­ment ! Quelle symphonie de l'ouïe !»

Ici, en Guadeloupe, il a fallu qu'un homme aussi différent de lui sur le plan politique que Laurent Farrugia, dans un numéro spécial de Noël 1977 du journal communiste Le Flamboyant le classe avec Aimé Césaire et Louis Zou parmi les 3 poètes prestigieux d'aujourd'hui pour que l'on commence à en prendre la mesure exacte.

C'est que l'œuvre de Lucien Gervil­le-Réache, comporte quelque chose d'ab­solument original et autonome. Ainsi qu'il accepte de le reconnaître notre poè­te n'a pas de maîtres en poésie, sa créa­tion est une parfaite idiosyncrasie, d'où un accent inimitable qui ne permet pas de le classer dans une école déterminée. Il s'en réjouit, détestant toutes les barrières, tout ce qui limite, étouffe, restreint. C'est la raison d'ailleurs pour laquelle, tout en admirant le talent d'Aimé Césaire il ne peut éprouver pour le concept de «Négri­tude», dont se prévaut le célèbre Foyalais, qu'une antipathie profonde, presque une aversion. Imagine-t-on un poète de la «blanchitude», sinon quelque scribe hitlé­rien ?

La poésie de Gerville-Réache par contre s'adresse à l'homme universel. Elle vise ce qu'il y a en lui de plus profond et ouvert. Elle préfère ce qui dilate à ce qui diminue, ce qui unit à ce qui divise.

 
Dans le courant du mois de mai, sera mis en vente le premier recueil de poésie de Lu­cien Gerville-Réache, intitulé : A FLEUR D'HOMME (Editions Saint-Germain-des-Prés).
 
Ainsi les Guadeloupéens prendront-ils contact avec une pensée parfois énigmatique, mais tonifiante, fruit de vingt années de méditations et de travail.

 


Source :Edouard Boulogne.


 

 
Le poème qui suit est tiré du recueil « A fleur d’homme », publié en 1978, aux éditions Saint Germain des Près).

 

LA PLUME DE MES REVES

 

Je rêve d'une plume, oh, mais quelle plume

Je la voudrais toute de sensibilité, de douceur et s’il  convenait, de violence

 Qu'elle fut intuitive, spontanée, musicienne

 Que la note sienne soit celle qui convienne

 Comme l'archet du maestro, il lui faudrait trouver

L'harmonie sur la corde en des accords fous

Et galoper sur les arpèges jusqu'aux infinis

Elle aurait à loisir l'accent grave ou aigu

 Les inflexions sourdes ou tenues

Glissant pleine de douceur dans les eaux du bonheur

 Ou gonflées de peines et de pleurs pataugeant dans la fange du malheur

Elle pourrait discourir concepts transcendantaux puis aussi bien pain quotidien, ou fragilité de la chair

A son gré, elle décrirait des spirales inouïes

 A seule fin de voir la grande humanité

 En sa quête sans fin de lumière, de délivrance Et lui montrer les chemins de l'espérance

Grande puissance par le monde

Tout à sa manière elle s'y agencerait

Elle aurait les palais de sa convenance

Et j'en sais un qui l'enchanterait

Il serait conçu d'une lointaine antiquité

J'y voudrais voir en son aire disciplinée

Tels des métronomes

Dans l'immobilité régides, figés, hiératiques

Dans le mouvement rythmés, réservés, magnifiques

Des bonzes aux yeux d'émeraude, à la peau de bronze

Donnant la cadence et assurant le diapason

Elle y construirait une tour haute, très haute

Evasion et sanctuaire

Où, elle et moi, rien que nous deux

Pourrions nous retrouver

Loin des courtisans et des chambellans

Pour nous faire des confidences et se dire des choses

douces

Si d'aventure, malgré ce palais fastueux

Le monde palpable devenait ennuyeux devenait écrasant

J'irais à la tour haute, très haute

En son écrin de satin j'y prendrais ma plume

Et elle m'emmènerait, j'en suis sûr

En une envolée folle

Vers ces cieux lointains, lointains

Cet éden dont on ne revient

 En ces lieux où, devenant l'impalpable

On côtoie l'Eternité.

 

Lucien Gerville-Réache.