ECONOMIE : STRUCTURE DES COÛTS ET DES PRIX A LA MARTINIQUE

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 La pwofitasyion explique en grande partie la « vie chère » en Martinique


par Michel BRANCHI * 

Le jeudi 26 mai dernier, l’Union Interprofessionnelle régionale Martinique CFDT dirigée par Eric Picot a organisé un « symposium » sur le thème « structure des coûts et des prix à la Martinique ». 

En fait, il s’agissait de présenter les résultats de l’étude réalisée par le cabinet d’expert Syndex intitulée «  Le pouvoir d’achat dans les DOM-Incidence de la structure des prix et des coûts - Tome 2- La Martinique-Mai 2011-128 pages » (1) 


Le cabinet Syndex est un cabinet d’experts travaillant pour les comités d’entreprises, notamment ceux évoluant dans la sphère du syndicat français la CFDT. Il a effectué deux missions d’études en Martinique en mai 2010 et en janvier 2011. Syndex avait réalisé une étude du même type en Nouvelle-Calédonie.
 


Présentant leur étude sur le pouvoir d’achat et les causes de la vie chère dans les DOM, les auteurs, MM Christian Duchesne, Adrien Laroze et Philippe Morvannou expliquent qu’ils ont écarté une énième approche comparative de prix entre la Martinique et la « métropole ». Le constat de la vie chère étant partagé par tous, ils ont essayé de « comprendre sa genèse ou plus précisément les facteurs de tension expliquant les prix élevés ». Ils ont favorisé principalement « une approche macro-économique fondée sur la recherche de dissonances pouvant exister entre les performances des sociétés basées à la Martinique et celles de métropole ».

L’opacité de l’économie martiniquaise

Cependant ils avertissent qu’ils se sont heurtés à ce qu’ils nomment « l’opacité de l’économie martiniquaise ». A savoir que les entreprises ne déposent pas leurs comptes au tribunal de commerce ; que les acteurs économiques ont refusé de communiquer la décomposition de leur prix de revient ou de leur compte ; que les services de l’Etat comme de la Région ou l’Iedom ne leur ont fourni aucune information, etc. Opacité organisée faisant partie du système, dirons-nous.

De plus, les responsables du cabinet Syndex ont souligné la pauvreté de l’information économique en raison de l’insuffisance de moyens alloués à l’INSEE. Ils ont donc du « se résoudre à la seule exploitation des informations publiques ».

Syndex constate-après nous -que la prétendue « croissance » des dix dernières années en Martinique n’a pas eu les retombées sociales attendues. « Les inégalités sociales se sont accrues et le boom économique n’a profité qu’à une minorité de la population. Dans le même temps la croissance économique entraînait une flambée des prix de l’immobilier, une augmentation des prix des biens de consommation et une perte de pouvoir d’achat pour la majorité des ménages », notent-ils. C’est ce que nous écrivions dès 2008.

C’est pourquoi la problématique des prix a été au cœur du mouvement de début 2009 en Guadeloupe et en Martinique.

Par contre, contrairement à une lecture trop rapide de leur part de la dynamique économique martiniquaise, ce n’est pas seulement depuis 2009 et « dans le sillage de la récession mondiale » que « les moteurs de la croissance sont à l’arrêt en Martinique ». Le « grippage » de la fausse croissance date de 2005 et est le résultat de la crise du modèle économique départemental « à bout de souffle », comme l’ont reconnu » le Pr Olivier Sudrie et l’ancien Directeur de l’INSEE Georges Para. La crise du capitalisme financiarisé est venue en sus.

Les experts de Syndex constatent au passage que plus de deux ans après les évènements « aucune réponse structurelle n’a été apportée afin de réduire les inégalités et de lutter durablement contre la vie chère ».

Une économie très concentrée

Analysant les causes de la vie chère, les experts de Syndex estiment que « les écarts de prix entre les DOM et la métropole ne peuvent s’expliquer seulement par l’éloignement et la fiscalité domienne ». Il faut relativiser les handicaps de l’ultrapériphérie et des surcoûts, estiment-ils. Pour eux la cause principale réside dans le « pouvoir de marché » des acteurs économiques. En clair, l’existence de monopoles et d’oligopoles dans différents secteurs permettant d’imposer des surmarges et des surprofits au moyen de « prix supérieurs au coût marginal ». L’économie, dans beaucoup de secteurs – et pas seulement dans la distribution est-il précisé- est concentrée entre peu de mains. Les auteurs citent une étude de l’IEDOM de fin 2004 recensant quinze groupes capitalistes dominant l’économie martiniquaise ainsi que des filiales de groupes français (Sara, Edf, FranceTélécom, etc). Des groupes ou quasi-groupes intégrés horizontalement et verticalement constituent ce « pouvoir de marché » par la concentration. « A cet égard, la Martinique fair figure d’exception parmi les économies ultra-marines puisqu’elle comporte un nombre de groupes de sociétés nettement supérieur aux autres DOM », met en évidence Syndex.

Cependant, l’apport principal de l’étude se situe dans le fait qu’elle chiffre l’effet sur les prix des taux de profit brut (excédent brut d’exploitation rapporté à la production) des entreprises capitalistes martiniquaises très supérieurs à ceux de leurs homologues françaises.

Conclusion des calculs de Syndex : « A la Martinique, pour l’ensemble du secteur marchand, l’effet sur les prix, lié à la dissonance des taux de profit brut sur la période 1998-2006, peut être évalué en moyenne à plus de 9,1 %… ».

Des taux de profit brut considérables

Les auteurs de l’étude enfoncent le clou : «  Au niveau des ménages, les prix intègrent ainsi non seulement les surcoûts liés aux handicaps structurels comme l’insularité ou encore l’éloignement, mais également ceux liés à l’ensemble des coûts d’organisation et de transaction relatifs à la structuration des marchés. Par ailleurs, les prix intègrent les surmarges de chacun des acteurs tout au long de la chaîne de valeur ». Par exemple, le taux de profit brut est supérieur à la France de 13,7 points dans la construction, de 2,6 à 5,7 points dans l’industrie, de 9,9 points dans les activités financières, de 6,9 points dans les activités immobilières, de 12,7 points dans les services aux particuliers, de 8,1 points dans le transport, etc. Intéressant. Illustration de la « pwofitasyion » : le taux de profit brut moyen de la période 1998-2007 en proportion de la production a été de 76,3 % dans les activités immobilières en Martinique contre 69,4 % en France. Et le reste à l’avenant.

Par contre, le cabinet Syndex reprend l’analyse selon laquelle l’octroi de mer aurait un « effet inflationniste » sur les prix de l’ordre de 3 % à 10 % et cela de par son caractère non déductible. Analyse relativisée par l’Autorité de la Concurrence qui rappelle que les taux de TVA sont très inférieurs dans les DOM à ceux de la France. De plus, tout en reconnaissant la nécessité d’un outil de « protection » au service du développement, le cabinet Syndex privilégie une démarche intégrationniste, voire assimilationniste, en voulant transformer l’octroi de mer en une sorte de TVA. De même, dans la même optique, le raisonnement en termes de balance commerciale lui paraît « peu pertinent » puisque « la Martinique fait partie intégrante de l’économie française ». L’analyse en termes de transferts publics comme moteurs de la croissance lui paraît sujette à caution parce que la Martinique est un département français. Sortir de « l’économie de comptoir » consisterait, selon Syndex, à réduire les taxes et impôts à l’entrée (octroi de mer). L’économie de comptoir tient d’abord de la dépendance à l’égard des importations et de la prépondérance de l’import-distribution- consommation dominée par les grands groupes français de la distribution alliés aux grands groupes locaux. Il faut donc développer la production locale et conquérir le marché intérieur au lieu d’ouvrir encore le marché en supprimant l’octroi de mer.

Le cabinet Syndex relève que, malgré la croissance, le revenu disponible de la plupart des ménages a baissé entre 2001 et 2006 et que seuls les ménages les plus aisés ont vu progresser leur revenu disponible. « Outre l’accroissement du nombre de ménages sous le seuil de bas revenus, il y a donc eu baisse ou stagnation du niveau de vie pour les ménages de classes moyennes », remarque-t-il.

Et cela renvoie à la précarisation des emplois créés ces quinze dernières années. La Martinique a donc connu une « croissance pauvre » en emplois, est-il indiqué, et pour nous plutôt une « croissance appauvrissante ».

C’est l’effet de la défiscalisation dont les « effets pervers » sur les prix de la construction et le foncier sont soulignés. Et son efficacité économique et sociale est « jugée faible » par Syndex, car les investissements se font dans une optique de « potentiel de gain fiscal » et non dans l’objectif de « développement pérenne de filières ».

S’agissant des revenus salariaux nets annuels moyens des salariés martiniquais travaillant à temps plein, sur la période 2002-2007 ils auraient augmenté de 1,9 % par an en moyenne pour une inflation moyenne, sur la période, de 2,3 %, dont résulte en définitive une perte de pouvoir d’achat de 0,4 % en moyenne annuelle. En France, sur la même période, le pouvoir d’achat des salariés aurait augmenté de 0,6 % en moyenne annuelle.

Changer de modèle économique ou de modèle politique ?

De plus, en tenant compte des dépenses contraintes et des dépenses nécessaires, qui en moyenne représentent 46 % du revenu disponible, Syndex démontre que, par exemple, en 2010 le pouvoir d’achat de l’ensemble des salariés payés de 1 smic à 4 smic a baissé de 1,7 %.

Le cabinet Syndex conclut à la nécessité de « changer de modèle économique » en mettant davantage de justice sociale et en favorisant le développement durable de la Martinique.

S’agissant de la formation des prix et de l’organisation des marchés, Christian Duchesne, Adrien Laroze et Philippe Morvannou, les auteurs, préconisent la mise en place d’outils adaptés :

  • Renforcement de la disponibilité d’éléments statistiques afin de permettre une réelle surveillance du niveau et de la formation des prix d’une part  ;
  • Un contrôle strict des services de la Concurrence dans certains secteurs économiques afin de dynamiser la concurrence, d’autre part ;
  • Réflexion sur l’organisation des marchés avec les acteurs économiques pour raccourcir les circuits de distribution ou mutualiser certains coûts (logistique, transport par exemple).

Ces propositions-minimales de notre point de vue- sont loin d’être réalisées car l’ex-DDCCRF est en voie de démantèlement dans le cadre de la RGPP(Révision Générale des Politiques Publiques)

. Mais on notera que les propositions CFDT cèdent à la pression libérale en excluant le contrôle direct des prix eux-mêmes, considéré comme « pervers » par les docteurs Diafoirus du libéralisme et les lobbys locaux de l’oligarchie.

L’étude du cabinet Syndex et de la CFDT a le mérite de rappeler que la question de la « vie chère » est centrale dans ce pays et appelle un autre modèle économique. Qui dit nouveau « modèle économique » dit aussi pour y parvenir, selon nous, la mise en place d’un véritable pouvoir martiniquais. Car c’est le modèle politique de la départementalisation-intégration qu’il faut changer.

* Michel BRANCHI
Economiste et ex-Commissaire de la Concurrence et de la Consommation