Outremers : Les bulletins qui font perdre !
Large victoire dans la section Atlantique du Candidat des Verts, Harry Durimel, dont le sort a été réglé dans... l'Océan Indien. Pire, en votant massivement Madeleine De Grandmaison les électeurs martiniquais ont provoqué sa défaite. Une élection où on a joué à qui perd … gagne !
La Tribune de Louis Boutrin
Les élections européennes furent marquées en Outre-Mer par une très forte abstention (77, 01 %) qui reflète la méconnaissance et/ou le désintérêt pour ce scrutin. Pourtant les enjeux de ces élections n’étaient pas si négligeables puisqu’il s’agissait d’envoyer au parlement européen 3 députés représentant l’Outre-Mer. Curieusement, les partis politiques qui semblent si attachés au maintien de la Martinique dans l’Europe, quand il s’agit de diaboliser l’Article 74 de la Constitution, n’ont manifesté aucun intérêt pour ces élections. Il suffit de jeter un œil sur les résultats, commune par commune. Est-ce bien logique de revendiquer une évolution institutionnelle qui garantisse notre maintien dans la Communauté Européenne en tant que RUP et de tourner ainsi le dos aux élections européennes ? Pourra-t-on continuer éternellement ce petit jeu de compère-lapin ?
D’aucuns s’attarderont également sur le tacle de Gabrielle Louis-Carabin, députée maire du Moule, à Marie-Luce Penchard, la collaboratrice de Nicolas Sarkozy. Pour barrer la route à la fille de Lucette Michaux-Chevry, la présidente de l’UMP Guadeloupe a appelé à voter pour Harry Durimel, candidatdes Verts. Ne cherchez pas à comprendre ! Plus près de nous, ce n’est pas mieux. Serge Letchimy, député maire de Foyal, n’a eu aucun état d’âme face à la candidature de l’ex-PPM, Madeleine de Grandmaison, dont le mari a jadis orchestré toutes les campagnes électorales PPM. Le Président du PPM aurait appelé à soutenir la Réunionnaise Ericka Bareigts. Il y a là de quoi déboussoler plus d’un militant sincère.
Résultats des courses, ce scrutin Outre-mer s’est soldé par un recul du taux de participation : 14,61 contre 15,28% en 2004 et par l’élection du socialiste, Patrice Tirolien, du communiste réunionnais, Elie Hoarau, et de l’UMP, du Pacifique Maurice Ponga.
Mais, laissons aux politologues le soin d’analyser, de disséquer ou d’interpréter ces résultats et allons droit au but, à savoir à cet abo…minable mode de scrutin.
L’Outre-mer est constituée d’une circonscription unique éclatée en trois sections Pacifique, Océan Indien, Atlantique. Quant au système d’attribution des 3 sièges, il est si compliqué que même certains candidats n’étaient pas au fait de la question. Aussi, très peu de journalistes ont pris le risque de se lancer dans des explications de crainte de se perdre dans les méandres de ce type de scrutin. Et pourtant nombre d’électeurs se sont rendus aux urnes sans comprendre les tenants et les aboutissants du scrutin et donc du sort de leur précieux bulletin.
En final de compte, ce n’est qu’à l’issue des résultats et de l’attribution des 3 sièges que le caractère inique et antidémocratique de ce système apparaît véritablement.
Un scrutin inique et antidémocratique
Deux pages entières ne suffiraient pour expliquer la dernière mouture du texte (voir site Ministère de l’intérieur). Concrètement, pour mettre le doigt sur cet aspect du sujet, on pourrait prendre l’exemple du troisième siège qui revient à la section Atlantique. Le socialiste Patrice Tirolien, dont la liste réalisa un score plus que médiocre, se retrouve Député Européen car cette liste PS sur l’ensemble de la circonscription Outre-Mer arrive en troisième position (20,26 %).
C’est donc à cette liste que le troisième siège a été attribué. La section Atlantique va être représentée, par défaut, par un candidat guadeloupéen dont la liste arrive en 3ème position en Guadeloupe avec seulement 16,80 % des suffrages exprimés, 3ème en Martinique avec 14,46 %, 4ème en Guyane avec 13,19 %. Exit le candidat des Verts Harry Durimel qui totalise 51,38 % des suffrages exprimés en Guadeloupe (1er). Exit Marie-Luce Penchard (UMP) qui vire en tête en Guyane avec 30,49 %. Ironie du sort Mme Penchard, tête de liste UMP gagne les élections sur l’ensemble de la circonscription Outre-Mer sans obtenir pour autant le moindre siège. Exit l’emblématique Madeleine de Grandmaison dont la liste de l’Alliance avec le Parti Communiste Réunionnais de Paul Vergès sort largement en tête en Martinique avec 39,47%.
Que l’on se comprenne bien, quand je parle de médiocrité du score, il ne s’agit point de stigmatiser le candidat Patrice Tirolien (PS) dont le mérite personnel n’est pas remis en cause (loin de là !) mais de mettre le doigt sur un mode de scrutin qui s’avère profondément inique et antidémocratique et je m’en explique :
En votant massivement pour Madeleine De Grandmaison, les électeurs martiniquais ont provoqué la défaite de Madeleine De Grandmaison. Vous avez bien lu ! Et c’est exactement ce qui s’est produit.
Explication avec décodeur : Le coude à coude dans le Département de la Réunion entre Elie Hoarau (PCR – 45 438 voix) et Ericka Bareigts (PS – 37 210 voix) - soit 8 228 voix de différence – a été arbitré, à distance, en Martinique, par la co-listière d’Elie Hoarau, Mme De Grandmaison.
Par sa mobilisation la candidate de l’Alliance a creusé le trou avec la liste d’Ericka Bareigts - soutenue localement par le… PPM - avec une différence de 9 291 voix. C’est ce score de Madeleine De Grandmaison qui permet à la liste d’Elie Hoarau de sortir en 2ème position sur l’ensemble de la circonscription et donc de ravir le seconde siège, celui de la section Océan Indien. Si la liste d’Elie Hoarau sortait 3ème sur l’ensemble de la circonscription, on aurait un siège UMP à la section Pacifique, un siège PS (Ericka Bareigts) à la section Océan Indien et le siège Atlantique reviendrait au candidat de la liste de l’Alliance à savoir … Madeleine De Grandmaison. D’où le titre quelque peu provocateur mais véridique de mon papier « Les bulletins qui font perdre ! En votant Madeleine De Grandmaison les sélecteurs martiniquais ont provoqué sa défaite »
Finalement, le mode d’élection est si pervers que la candidate s’est retrouvée en compétition…avec sa propre tête de liste, Elie Hoarau. C’est la défaite de sa tête de liste à la Réunion face à Bareigts qui lui aurait permis d’obtenir le 3ème siège de député ! A contrario, un bon score de la liste de Tirolien en Guadeloupe aurait permis l’élection de Bareigts à la Réunion et donc… son élimination à la course pour le 3ème siège. C’est le monde à l’envers et on joue à « qui perd gagne ! ».
En voulant échapper au poids démographique du Département de la Réunion (539 565 inscrits à elle seule soit autant que Guadeloupe, Guyane, Martinique réunies), nous avons hérité d’un mode de scrutin hybride qui s’avère être un abominable piège à cons, où le dernier de la classese trouve récompensé par une écharpe de Député Européen. Ce mode d’élection de la circonscription Outre-mer, dernière trouvaille des apprentis sorciers qui n’hésitent pas à tripatouiller les règles démocratiques, vient d’accoucher d’une aberration politique. Les Verts qui sortent largement en tête sur l’ensemble de la section Atlantique (StPierre et Miquelon compris) avec 26 064 voix (chiffres Ministère de l’Intérieur), loin devant la candidate UMP (20 759 voix) et Alliance PCR (17 212 voix) se retrouvent privés d’un siège qui va à la liste PS qui ne réalise que 13 284 voix, soit deux fois moins qu’eux. C’est ainsi ! Cela peut apparaître complètement aberrant mais il ne suffit pas de le constater, il faut réformer au plus tôt un mode de scrutin qui pourrait faire l’objet de bien des recours.
La logique voudrait que chaque section puisse élire son député indépendamment des autres sections de la circonscription Outre-Mer. 1 député pour l’Océan Indien, 1 autre pour le Pacifique et 1 dernier pour l’Atlantique. Mais, visiblement, la logique, à l’instar de l’arithmétique, se conjugue mal avec la politique.
Louis BOUTRIN