Dans un article de Slate.fr intitulé «La France fait rire l’Afrique», un éditorialiste du quotidien sénégalais Kotch s’inquiétait déjà:
«C’est peut-être la faute la plus grave d’Anelka et compagnie que d’avoir réussi la prouesse de décomplexer la France des petits blancs réactionnaires et épouvantés par le métissage qui ont toujours estimé, mezza voce, que les valeurs de la France foutaient le camp avec la «surreprésentation» des Noirs dans son équipe nationale.»
Malheureusement, à la lecture des commentaires sur le blog Fdesouche, on peut constater qu’il avait raison. Il est très difficile de trouver des avis mesurés. Ce sont surtout «les noirs» et les «musulmans» qui seraient responsables de tous les maux du football français et de la France en général, tant qu’on y est. Les commentateurs estiment principalement que la défaite de la France est due à sa trop grande diversité et que les joueurs noirs sont des «racailles». Leur attitude étant due, au choix, à leur gènes, à leur couleur de peau ou à leur religion, voire aux trois en même temps.
Procès de la mixité
Des commentaires affligeants, il y en a des dizaines. L’affaire Anelka est une excellente occasion pour eux de remettre en cause la mixité de la France. Faut-il être surpris que la parole chez ce type d’internautes se libère? Ils ne font que suivre finalement celle des représentants officiels, comme Marine Le Pen, qui a estimé plusieurs fois qu’elle ne se reconnaissait pas cette équipe de France. Dans un communiquée du 21 juin, elle déclarait:
«Cette débâcle sportive et morale n’est qu’une illustration de ce qui se passe dans la France de Sarkozy, une France où le fric sert de système de valeurs, où toute idée de sens collectif est bannie au nom de l’intérêt de quelques petits privilégiés qui se permettent tout, une France où les racailles imposent leur loi, leurs méthodes, leur mots avec la complaisance des politiques.»
L’hebdomadaire d’extrême droite Minute a lui titré son dernier numéro par un «Grossièretés, doigts d’honneur, refus d’obéir, insultes, grèves, LE KÄRCHER POUR CETTE RACAILLE» d’une grande violence. Son concurrent Rivarol est lui plus «sobre» avec un «La totale faillite de leur équipe Black-Black-Black» et, sous la une, un dessin de joueurs noirs s’en allant, les bras ballants et le dos voûté, dans le style Tintin au Congo.
Public limité
Toutefois, pour le chercheur de l’Iris Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême droite, «il faut relativiser l’audience de ces publications. Cela représente tout de même un public limité. Rivarol, par exemple, n’a que 2.000 abonnés. Marine Le Pen, Minute, Fdesouche ou Rivarol utilisent surtout cet événement pour le buzz médiatique. Les gens en général qui ont regardé les matchs ont été abasourdis et consternés par l’attitude des joueurs, mais ils n’analysent pas ces comportements sur des critères ethniques».
Cependant, le politologue estime «qu’il faut prendre le problème à l’envers: c’est ce qu’il est permis de dire qui fait que l’on ethnicise les problèmes de l’équipe de France. On observe ces dernières années une libération de la parole, une critique plus forte de l’immigration et du multiculturalisme». Ce discours de l’extrême droite est conforté par des prises de position de certains intellectuels français comme Alain Finkielkraut. Même s’il avait déjà déclaré qu’il ne se reconnaissait pas dans cette équipe «black-black-black», il a récemment franchi un pallier, remettant en cause ces «voyous arrogants et inintelligents» et «la génération caillera» qui donne «envie de vomir». Finalement, Rivarol ne fait que reprendre une de ses expressions, tandis que Minute rend «hommage» aux déclarations de Nicolas Sarkozy en 2005 sur la situation en banlieue.
Catalyseurs
Les Bleus agissent comme des catalyseurs de l’émotion. Pour Jean-Yves Camus, une des erreurs est d’en avoir fait un symbole de la France multiculturelle en 1998:
«Quand les Bleus gagnent, ce n’est pas la France multiculturelle qui gagne, c’est la France. Et pareil quand elle perd. Au handball, où on gagne presque tout le temps, est-ce que les gens remarquent les origines multiculturelles du groupe? Non. Surtout, cette équipe de foot n’a pas de revendications sur le multiculturalisme. Leur défaite ne peut donc pas être celle du multiculturalisme.»
Pourtant, Alain Finkielkraut a abondamment pu s’exprimer à la radio, sans se voir trop contredire, comme sur Europe1 ou sur France Inter. Il assimile également le rapport entre Domenech et les joueurs à celui que peuvent entretenir les éducateurs et les jeunes de banlieue. Sur son blog, Patrick Lozès, le président du Cran (Conseil représentatif des associations noires) s’interroge, à la suite des propos d’Alain Finkielkraut:
«Comment ne pas s’inquiéter d’une dérive raciste? Comment ne pas dénoncer ce procès idéologique que l’on fait à la banlieue, à l’équipe de France de football et à la diversité française en général?»
Le sociologue au CNRS Marwan Mohammed, spécialiste des jeunesses populaires, dénonce lui «les digues morales qui ont sauté depuis une dizaine d’années. L’équipe de France n’est qu’un prétexte, comme tous les petits faits divers sont des prétextes. Le problème c’est qu’aujourd’hui tout ce qui se passe peut être retenu contre les minorités. Anelka est vulgaire parce qu’il est noir et qu’il vient de Trappes. Pas parce que il y a une énorme pression, des tensions dans le groupe, des divergences avec l’entraîneur.»
Ainsi, le phénomène n’est pas nouveau. Les récentes Assises de la lutte contre les préjugés s’inquiétaient notamment d’une augmentation des clichés racistes. Selon un sondage de l’institut BVA pour l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) et SOS Racisme, publié à cette occasion, les arabes sont perçus comme délinquants par 27,6% des sondés contre 12% lors d’une enquête de l’année dernière mené par l’institut CSA. Pour Marwan Mohammed, «nous sommes aujourd’hui dans une surinterprétation ethnique et une lecture raciste de tous les comportements sociaux qui enferment les gens dans une sorte d’essence négative permanente. Et ce discours est de plus en plus toléré contre les minorités impopulaires, les noirs et les arabes».
Le journaliste Pierre Malet conclut son article L’équipe de France fait rire l’Afrique ainsi: «Face au fiasco des Bleus, l’Afrique francophile ne sait plus trop si elle doit rire ou pleurer.» Pleurer, manifestement.
Source : Quentin Girard in No Sports