Evolution statutaire : Louis BOUTRIN interviewé par Tony DELSHAM

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"Le devoir moral d'agir librement dans mon pays..."

Le Comité OBJECTIF 74 tenait sa première conférence de presse le vendredi 4 septembre au Squash Hôtel.

A l'issue de cette conférence, son porte-parole, Louis BOUTRIN, a été interviewé par Tony DELSHAM, journaliste à ANTILLA.  

Source : ANTILLA 1368 - 10 au 17 sept. 2009  

 

 

ANTILLA : Lors de votre conférence de presse de ce vendredi, j’ai eu l’impression de braves mousquetaires volant au secours d’élus sans défense. Nos élus sont-ils en aussi grande difficulté ?

Louis Boutrin : Ce n’est qu’une impression, trompeuse, qui plus est ! Les élus ne sont pas en grande difficulté, ils ont fait leur part de travail puis ils se sont réunis en Congrès, comme le prévoit la LOOM.

Aujourd’hui, Ils proposent d’organiser les Assemblées au sein d’une Collectivité territoriale dotée d’une assemblée unique et d’un exécutif collégial. L’art. 74. de la Constitution prévoit un tel cas de figure. Ce choix est le fruit d’un long processus démocratique débuté depuis plusieurs décennies autour du débat sur la question de l’autonomie. Depuis 10 ans, sous l’impulsion de Claude Lise et d’Alfred Marie-Jeanne, il a réellement pris forme avec en final de compte les votes obtenus le 18 déc. 08 et 18 juin 2009. Dire que les élus sont sans défense c’est nier ce long processus de maturation ou tenter de minimiser la portée politique de leur décision.

En tout cas, au sein du comité Objectif 74, nous partageons pleinement cette option. Nous nous sommes donc organisés pour expliquer et défendre ce point de vue, compte tenu des enjeux pour le pays. Nos concitoyens doivent être informés des tenants et aboutissants de cette réforme institutionnelle que nous préconisons. Et, contrairement à une idée reçue, les acteurs économiques etceux de la société civile ne sont pas tous positionnés sur l’art. 73. Notre conférence de presse était l’occasion de préciser tout cela.

 

ANTILLA : Vous mettez en avant la notion de la dignité, au 21° où les jeux sont faits partout dans le monde, quelle est, à votre avis, la bonne définition de la dignité ?

Louis Boutrin : La dignité est consubstantielle à la nature humaine, il serait donc surprenant d’aborder cette notion en faisant référence à un lieu ou à un siècle. Je ne sais pas par ailleurs,  s’il existe une ‘‘bonne définition’’ de la dignité même si on pourrait se référer à Camus qui disait que « la seule dignité de l’homme c’est la révolte tenace contre sa condition ».Pour le Martiniquais que je suis, la dignité c’est le devoir moral d’agir librement dans mon pays et cette liberté ne peut s’exercer si nous sommes privés de toute responsabilité. Dignité et Responsabilité me semblent donc inséparables et demeurent au cœur même du débat sur la question institutionnelle.

Certes, dans une économie mondialisée la question économique est incontournable mais le constat de mal développement que nous faisons actuellement, après 27 ans de Décentralisation, nous oblige à repenser notre rapport avec la puissance tutélaire, à domicilier chez nous les centres de décision et à revisiter cette notion de responsabilité. Car, il est impensable d’envisager l’avenir si les responsabilités essentielles à notre développement nous échappent.

 

ANTILLA : Comment la responsabilité, dans l’ensemble français et européen doit-elle se concrétiser ?

Louis Boutrin : Votre question nous permet d’expliquer davantage notre choix en faveur de l’art. 74. En effet, le régime de la spécialité législative prévu par l’art. 74 apporte les pouvoirs nécessaires à l’expression de cette responsabilité dont nous parlions. Concrètement, les pouvoirs liés aux questions d’accès à l’emploi, au droit d’établissement pour l’exercice d’une activité professionnelle, à la protection du patrimoine foncier, (toutes ces questions soulevées lors des revendications sociales notamment celles du mois de février 2009), relèvent de cette spécialité législative de l’art 74 de la Constitution. Nous restons donc dans le cadre des lois de la République française tout en ayant cette possibilité d’exercer des pouvoirs qui nous échappent à ce jour.

N’y a-t-il pas comme un paradoxe de brailler à longueur de journée « Péyi-a sé ta nou » et d’accepter que les lois et règlements votés par le parlement français soient appliqués automatiquement sous nos latitudes ? Avec la spécialité législative de l’art. 74 nous aurons la possibilité d’orienter ou de refuser des lois nouvelles au profit des Martiniquais. Il ne sera plus question d’appliquer à la lettre la LOTI (Loi d’Orientation sur les Transports Intérieurs) ou d’attendre une Loi d’habilitation pour régler le problème de l’absence d’autorité organisatrice de transport maritime. On pourrait multiplier les exemples concrets dans maints domaines, logement, urbanisme, énergie, agriculture, pêche.  

C’est donc une option supplémentaire qui nous place sur la voie de la responsabilité. Quant à l’ensemble européen, nous n’avons pas d’inquiétude à avoir. Le choix du 74 se fera en conformité avec notre statut actuel de Régions Ultra Périphériques d’Europe.

 

La question économique. 

ANTILLA : Elle est en effet importante, et pas seulement pour les partisans du 73. Elle intéresse  également, les partisans du 74. A votre avis, quelle sera la réalité économique. a) Face à la Caraïbe. b) Face à l’Europe.

Louis Boutrin : Soyons clairs, la réalité économique face à la Caraïbe ou face à l’Europe dépend des conditions du développement. Or, actuellement, ces conditions ne sont même pas réunies tant en Guadeloupe, en Guyane qu’en Martinique. C’est bien qu’il y a un problème !

L’article 73, dans lequel nous sommes déjà, a montré toutes ses limites en matière économique : Malgré l’injonction massive d’argent public dans l’économie et la création de nouvelles entreprises, le taux de mortalités des entreprises demeure élevé et la grande grève de février 2009 n’a fait qu’accentuer la tendance. 

Malgré tous les discours des gouvernements successifs et de leurs partenaires économiques locaux, nous  n’arrivons pas à mettre fin au développement d’une société de consommation dépendant à 85 % de l’extérieur. Malgré la demande sans cesse renouvelée d’une fiscalité adaptée et d’assouplissement des conditions sociales, malgré les 200 € et la baisse de 20% sur les produits de première nécessité, les conditions du développement nesont toujours pas réunies. Il faut donc avoir le courage politique de le reconnaître et envisager un autre cadre, plus propice à la mise en œuvre de notre projet de développement. C’est à ce niveau que la différence des régimes juridiques, 73 ou 74, trouve toute sa pertinence.

 

ANTILLA : Appartenir à l’ensemble européen alors que l’on est au mitan de la Caraïbe a ses atouts  et ses inconvénients. Atouts  en regard du système social  européen, inconvénients en regard …du système social européen quand on sait que l’entreprise caribéenne paie très peu, sinon pas de charge.  Comment voyez-vous l’angled’attaque ?

Louis Boutrin : Si on resitue votre question dans le cadre du débat institutionnel actuel, le président Sarkozy a rappelé dans son discours du 26 juin dernier qu’une Collectivité qui fait le choix de l’Art. 74 ne perdrait pas sa qualité de RUP et les avantages qui lui sont associés.  Ceci étant dit, il faut également préciser que ces « avantages » risquent de diminuer compte tenu de l’élargissement de l’Europe au pays de l’Est de l’Europe. J’ose espérer toutefois que notre ambition pour la Martinique n’est pas d’être condamné à perpétuité à postuler à des subventions européennes. Si notre PIB par habitant nous permet de dépasser largement les 75% de la moyenne communautaire ce serait plutôt un signe de vitalité et de bonne santé de l’économique du pays et il faudrait s’en réjouir ! La Martinique n’a pas pour seule vocation d’être assistée ad vitam aeternam. D’autres petits pays insulaires comme le nôtre arrivent bien à obtenir de bons résultats sur le plan économique. Retroussons-nous les manches pour en faireautant 

 

ANTILLA : Le tourisme doit-il être le fer de lance du développement économique ?

Louis Boutrin : Il serait illusoire et suicidaire de faire du tourisme le fer de lance du développement économique. C’est une activité trop exposée aux aléas de toutes sortes et à la conjoncture internationale.

Regardez les suites du 11 sept. 2001 ou les effets d’une grève, d’un cyclone ou d’une grippe A ? De plus, l’activité touristique est directement tributaire de l’offre de transport aérien, tant en terme de services que  d’infrastructures.

Développement d’un tourisme à haute valeur ajoutée oui, à condition de maîtriser l’aérien et là, le poids de la volonté politique est déterminant.

L’économie immatérielle et l’agriculture biologique demeure également une piste de développement.

Pour ma part, je constate que notre facture énergétique continue à plomber notre balance commerciale sans que l’on ait des réponses appropriées. Nous devrions mettre à profit les 22 500 ha de terres contaminées au Chlordécone pour la culture de la canne à sucre ou celle de la Jatropha, cet arbre à pétrole, nouvelle coqueluche des biocarburants qui est pourtant originaire de notre Caraïbe.

D’autres pistes de développement économiques sont envisagées à travers le SMDE.  Encore aurait-il fallu qu’on fasse l’effort de le lire, de l’analyser plutôt que de le jeter en pâture dans un débat politicien d’un autre temps. 

 

Entretien Tony Delsham

 

BIO-EXPRESS – Louis BOUTRIN 

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           ·     Ostéopathe,

            Directeur de publication de « La Tribune des Antilles ».

           ·     Essayiste, vient de publier son 5° ouvrage, La coulée de la Rivière Blanche (Roman – Juin 2009)

           ·     Conseiller Régional 1998 – 2004, il fut vice-président de la Commission Aménagement du territoire, environnement et recherche.

           ·     Militant écologiste, co-initiateur de l’Ecologie Urbaine en Martinique.

           ·     Titulaire d’une Maîtrise de Droit Public, il prépare actuellement son D.E.A. afin de présenter une thèse en Droit de l’Environnement à Paris-Sorbonne.