La question divise l'opinion
Le réalisateur franco-polonais, âgé de 76 ans, a été interpellé samedi soir par la police cantonale à son arrivée à Zurich où il devait participer à un festival cinématographique et recevoir une récompense pour l'ensemble de son oeuvre. Il tombe sous le coup d'un mandat d'arrêt international délivré en 1978, date à laquelle il avait fui les Etats-Unis craignant une condamnation. Polanski s'était enfui de Los Angeles à la veille de sa comparution et après avoir plaidé coupable de relation sexuelle avec une adolescente de 13 ans, Samantha Geimer. Le réalisateur qui avait passé 42 jours en prison affirmait que la jeune fille était consentante et avait déjà eu des expériences sexuelles. Hervé Temime, son avocat, s'est rendu à Zurich en compagnie de la femme du cinéaste, Emmanuelle Seigner, très choquée par cette arrestation. "J'espère que nous allons pouvoir mettre un terme très rapidement à cette situation qui me paraît totalement ubuesque. Nous allons commencer par demander sa remise en liberté", a déclaré Me Temime sur France Info, faisant valoir "qu'il n'y a aucune raison ni en droit ni en fait, ni sur le terrain plus général de la justice la plus élémentaire, de maintenir Roman Polanski un seul jour en prison". Un porte-parole du ministère suisse de la Justice a précisé qu'il était théoriquement possible, bien que peu probable, que Roman Polanski soit remis en liberté sous caution. Une solution pourrait être une assignation à résidence dans son chalet de Gstaad, a ajouté ce porte-parole cité par l'agence SDA. UN "RISQUE" Samantha Geimer, aujourd'hui quadragénaire et mère de trois enfants, s'est prononcée pour la clémence en affirmant que l'exclusion de Roman Polanski d'Hollywood constituait un châtiment suffisant. Le réalisateur n'est jamais retourné à Los Angeles où sa femme Sharon Tate, alors enceinte, avait été assassinée par des fidèles de Charles Manson en 1969. Sandi Gibbons, porte-parole du procureur général du comté de Los Angeles a indiqué dimanche avoir adressé un mandat d'arrêt provisoire à la Suisse après l'annonce de l'arrestation. Les autorités américaines ont maintenant 60 jours pour délivrer une demande officielle d'extradition mais Polanski peut faire appel devant la Cour fédérale suisse de justice. Le ministre suisse de l'Economie, Doris Leuthard, a indiqué lundi à Paris que Roman Polanski connaissait les risques qu'il encourait en se rendant en Suisse. "Il savait qu'il prenait un risque. J'ai été très étonnée qu'il ait pris ce risque", a-t-elle lors d'une conférence de presse après une entrevue avec son homologue, Christine Lagarde. "La Suisse est un Etat de droit. On a ce mandat d'arrêt international et (...) on n'a pas le choix. Nous devions procéder à cette arrestation", a-t-elle précisé, démentant que cela ait un lien avec l'affaire UBS. Le gouvernement suisse a signé un protocole d'accord qui l'oblige à entrouvrir la porte du secret bancaire en échange de l'abandon des poursuites américaines contre la banque soupçonnée d'avoir favorisé l'évasion fiscale. L'AFFAIRE SUIVIE À L'ÉLYSÉE La personnalité du prévenu a attiré l'attention de la presse et a provoqué une mobilisation des politiques et des artistes. Le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, et son homologue polonais ont écrit à la secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton pour plaider la clémence envers le cinéaste. "C'est un peu sinistre cette histoire, franchement un homme d'un tel talent reconnu dans le monde entier, reconnu dans le pays qui l'arrête. Tout ça n'est pas sympathique", a dit Bernard Kouchner qui s'est entretenu avec son homologue suisse, Micheline Calmy-Rey. Le président de la République Nicolas Sarkozy suit le dossier "avec la plus grande attention" et souhaite une "résolution rapide de la situation", a indiqué pour sa part le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand. Les artistes ont lancé en France une pétition déjà signée par le réalisateur Costa-Gavras et les comédiennes Fanny Ardant et Monica Bellucci. Les membres du festival du film de Zurich arboraient lundi des badges rouges avec l'inscription "Libérez Polanski". Après la Palme d'or obtenue pour Le Pianiste au Festival de Cannes en 2002, Polanski n'avait pas pu se rendre à Hollywood pour recevoir l'Oscar de meilleur réalisateur qui lui avait été attribué l'année suivante. les spéculations vont bon train sur d'éventuelles pressions exercées par Washington. Et ce à l'heure de relations bilatérales délicates, marquées par le bras de fer autour des questions d'évasion fiscale et de secret bancaire. "Pourquoi ne l'ont-ils pas arrêté plus tôt? (...) C'est bizarre, en ce moment, il y a des affaires avec la justice suisse, les comptes. On est en droit de se poser la question", a relevé sur RTL le réalisateur français Jean-Jacques Beinex, signataire d'une pétition de cinéastes et d'artistes du monde entier pour la libération de Roman Polanski. Egalement en France, Marine Le Pen, vice-présidente du Front national, a elle fait entendre une voix discordante, dénonçant l'"ignoble soutien" et la "mobilisation abjecte" pour un homme "poursuivi par la justice d'un pays démocratique, pour avoir fait boire, drogué et forcé une adolescente de 13 ans à avoir des relations sexuelles avec lui". "Le fait d'appartenir à la caste surprotégée du show-biz exonère-t-il ses membres de respecter les lois et les autorise-t-il à se soustraire aux poursuites judiciaires durant 30 ans?", s'interroge-t-elle. A Los Angeles, en tout cas, la justice californienne considère Polanski comme un "criminel condamné" et un "fugitif". Le réalisateur avait en effet fui en 1978, après avoir plaidé coupable de relations sexuelles avec une mineure de 13 ans et passé 42 jours en prison. Et ce car le juge de l'époque, aujourd'hui décédé, était revenu sur l'accord amiable négocié entre avocats et entendait le condamner à une peine plus lourde. Source : Associated Press