L’ouvrage de Gerry et Dominique « Fillette Lalo » est un récit court, dur, violent. Il montre la folie ordinaire, immanente, vécue par tout un peuple dans un pays très proche de nous. Fiyèt Lalo irradie une douleur insoutenable. Ça fait mal partout, tout le temps. Dans la tête, avec la visualisation mentale de ces atrocités. A la pensée que pendant que nous ici, nous avancions, que nous progressions, même si c’était dans les difficultés crépusculaires et la douleur de la fin d’une époque, celle de « l’habitation », eux, ils régressaient, ils s’enfonçaient dans la terreur et l’absurdité :
« Notre Doc qui est au palais à vie, béni soit votre nom par les générations présentes et futures. Que votre volonté soit faite à Port-au-Prince comme en province. Donnez-nous ce jour un pays neuf et ne pardonnez jamais les offenses des ennemis de la patrie qui crachent chaque jour à la face de notre patrie. Laissez-les succomber à la tentation et, sous le poids de leur venin, ne les délivrez pas du mal. » in Le Catéchisme de la Révolution, de Jean M Fourcand. Impr. de l'Etat, 1964. 61 pages.
Tandis que dans ces années-là, la Martinique vivait des grèves, d’ouvriers agricoles notamment, des manifestations, des émeutes, des morts, dans les soubresauts de la mutation profonde de la fin de l’économie de plantation balayée par celle de l’acculturation, Haïti connaissait cette barbarie, ces atrocités, ces crimes, cette répression sanguinaire effroyable. Chaque douleur a sa propre vérité, la nôtre, la leur, mais mon Dieu c’était donc ça la vie de nos cousins ? !
« Fiyèt Lalo », c’est toute la misère du monde, c’est un chant de mort. D’une mort implacable et douloureuse. Alors, pour le lire, il faut tenir ce petit livre à bout de bras. Loin du corps. Comme dans un réflexe de protection car ses trente chapitres sont comme autant de coups de boutou sur la tête, comme autant de piqués de jambette dans le corps. Au foie, aux tripes, pas au cœur, surtout pas au cœur, évitez le cœur !
Laissez-les vivre pour qu’ils crèvent à petit feu. Ce feu des cigarettes écrasées dans l’œil des suppliciés. Ce feu des parties génitales brûlées à l’acide ou au tison. Car il faut faire mal, il faut faire souffrir, il faut avilir, et en laisser quelques-uns suffisamment vivants pour qu’ils racontent l’épouvantable, pour qu’ils répandent partout l’effroi de ces monstruosités ordinaires du régime de Papa Doc
Triste destinée pour la première république noire indépendante. Là où les nègres ont gagné leur liberté par leur seule force. Là où les nègres ont fracassé une armée napoléonienne dans la splendeur de sa gloire. C’était à Vertières un 18 novembre 1802. Alors, les Capois, les généraux flamboyants, courageux et tellement emblématiques, ont eu pour héritier un système corrompu malade de son noirisme. Ayiti aurait dû être l’eldorado nègre, la terre promise. L’Eden. Une nation, un peuple que tous les peuples devraient respecter, aduler et chérir, miyonnen quoi, plutôt qu’un pays à la risée et à la bonne volonté du monde entier, une terre rejetée dans les fins fonds des oubliettes de la vie et de l’Histoire.
Cette histoire que racontent les deux auteurs, qui retracent autant un mythe qu’ils révèlent des vérités historiques, est aussi un rappel de ce que le macoutisme n’était pas l’exclusivité des hommes. Que des violences ont pratiquement tout autant été perpétrées par des femmes sous le régime de terreur des Duvalier. Parce que, comme le relève la sociologue haïtienne Sabine Lamour, celles-ci n’ont quasiment pas fait l’objet de travaux de recherches par les spécialistes et les chercheurs sur le macoutisme. D’ailleurs, concernant la violence haïtienne par les femmes, elle n’identifie que deux ouvrages y faisant référence, et singulièrement écrits chacun par une femme (« La mémoire aux abois » par Evelyne Trouillot et « Un alligator nommée Rosa » par Marie Célie Agnant), tout comme seulement deux noms de fiyèt lalo, Sanette Balmir qui commandait la région de la Grande Anse et qui est responsable des massacres connus sous le nom de « Vêpres de Jérémie », et Rosalie Boquet A.K.A Madame Max Adolphe, ont traversé les soubresauts connus par Haïti depuis.
Sabine Lamour observe d’ailleurs qu’en dehors de ces deux femmes, l’essentiel des femmes « Volontaires de la Sécurité Nationale » (VSN), « demeure sans nom et sans visage. Bien que ces femmes évoluaient dans des structures de terreur au même titre que les hommes…, elles n’ont pas fait l’objet de représailles populaires après la chute de la dictature en 1986, comme leurs homologues masculins ». C’est ce qu’elle dit dans sa communication « Les femmes macoutes (fiyèt lalo) : un impensé de la mémoire dictatoriale » (juin 2014 Colloque « De la dictature à la démocratie » Ecole Normale Supérieure Universtié d’Etat d’Haïti).
La Fiyèt Lalo, c’est le loup-garou, c’est le Tonton Makout, c’est notre « Djab ka manjé ti-manmay »… Ce sont des noms qui terrorisent comme Luckner Cambronne, le « Vampire des Caraïbes » ou Zacharie Delva. Ce sont les instruments du terrorisme d’état développé par le Régime Duvalier qui durera de 1957 à la chute de Bébé Doc en 1986. Comble de l’infamie, la dictature adhérera, en septembre 1977, à la Convention Interaméricaine des Droits de l’Homme, tout en continuant à torturer, assassiner, noyer, violer, hommes et femmes, les plus chanceux connaissant l’exil.
Ce récit est comme un antidote, comme un rappel exorciste afin que nul n’oublie. Et pourtant, Haïti c’est…
« Ayiti chéri pou jan mwen renmen’w
Mwen vin dépozé ti kè mwen nan men’w
Ayiti chéri pou jan m'adoré’w
Pa gen anyen k'ap jan m fè mwen kité’w »
« Ayiti Sé » (Michael « Mikaben » Benjamin)
Post-scriptum:
* Fillette Lalo ; de Gerry L’Etang et Dominique Batraville ; HC Editions ; Paris ; 80 pages ; ISBN 9782357204171 ; 2018 ; 12,5 €.