Rivière-Salée 9 sept. 2022. Hommage à Joseph Zobel. Salle comble au Centre Culturel du Bourg pour cet hommage émouvant rendu à Joseph ZOBEL par MARTINIQUE-ÉCOLOGIE et ses conférenciers du jour. Le public ne s’était pas trompé en répondant présent à cette soirée littéraire exceptionnelle où chacun fut replongé antan lontan, au cœur de l’habitation Trénelle. Des journées de labeur et de sueur où Rivière-Salée demeure à la fois le lieu d’origine de Zobel et l’origine de son inspiration :
« Quand la journée avait été sans incident ni malheur, le soir arrivait, souriant de tendresse. D'aussi loin que je voyais venir m'man Tine, ma grand-mère, au fond du large chemin qui convoyait les nègres dans les champs de canne de la plantation et les ramenait, je me précipitais à sa rencontre, en imitant le vol du mansfenil, le galop des ânes, et avec des cris de joie, entraînant toute la bande de mes petits camarades qui attendaient comme moi le retour de leurs parents ».
La rue Case-Nègres - Roman autobiographique de J. ZOBEL (publié en 1950).
Par une approche intertextuelle, les trois conférenciers ont mis en exergue l’œuvre de Zobel mais aussi les autres facettes du personnage, son immense talent et son œuvre artistique tenant ainsi en haleine un auditoire littéralement accroché aux lèvres des marqueurs de parole de ce vendredi soir.
C’est Ludovic Louri (Dody), natif lui aussi de l’Habitation Trénelle (né en 1946), qui planta le décor de la soirée à travers ses témoignages dont l’authenticité et la précision forgent l’admiration. Ouvrier dès l’âge de 15 ans sur l’Habitation où travaillaient ses parents, Dody a exposé les différents objets de cet univers avant de relater la vie de M’man Tine, sa rencontre personnelle avec Zobel et les liens de complicité noués dans les épreuves de leur vie. C’est donc sur les conseils de l’auteur de Diab’-La (1942) que Dody se décida de publier chez K-Éditions ses précieuses notes d’enfance. Au centre de cette situation idyllique, deux ouvrages de références ont vu le jour : « Habitation Trénelle -1948-1974 » et « Rivière-Salée 1943-1974 »
L’histoire de Charles Scheel est tout aussi singulière. Professeur de littérature américaine à l’Université des Antilles, fraîchement débarqué en Martinique, c’est par hasard, à la lecture du journal Le Sportif, qu’il découvre la plume assurée de ce jeune journaliste, reporter sportif qui deviendra l’écrivain et le poète reconnus internationalement. De cette découverte sortira La Forge de Zobel (Sciteps Éditions) une compilation d’articles et de nouvelles publiés jadis dans le journal fondé par Ferriez-Elisabeth.
C’est à Raphaël Confiant qu’il revint le privilège de clore la première partie du Forum-Citoyen. Rompu à ce type d’exercice, l’écrivain martiniquais exposa avec humour sa rencontre avec Zobel lors du « Prix du livre insulaire » à l’île d’Ouessant. (R. Confiant fut lauréat de ce Prix en 2011 – Catégorie Polar pour « Citoyen au-dessus de tout soupçon »). La tonalité de leurs brefs échanges, la posture de Zobel et la puissance qui se dégageait de ce grand nègre en costume blanc lors de citations des fables de Jean de Lafontaine impressionnèrent le jeune romancier des années 80. Puis, l’auteur du Commandeur du Sucre (Editions Ecriture) relata toutes les étapes de ce roman depuis ses entretiens avec M. Pacquit responsable de plantation sur l’Habitation Trénelle jusqu’aux nombreuses anecdotes qui jalonnent un des meilleurs romans contemporains sur cette période faste de l’industrie sucrière.
En seconde partie du Forum, les participants nous ont gratifiés de témoignages et souvenirs poignants où malgré les péripéties, la souffrance et la misère de l’époque, Zobel a su dépeindre des tranches de vie inédites immortalisées à travers ses romans et poèmes.
C’est ainsi que, tour à tour, M. Coppet, fils du musicien Barrel Coppet ami d’enfance de Zobel, Bernard Bolosier, l’infatigable arpenteur de nos sentiers pédestres, Michèle Marajo accompagnée de sa mère Mme William âgée de 95 ans amie du jeune Zobel, Valérie Pacquit, petite-fille du « Commandeur du sucre », Hervé Zénoky qui se souvient encore de sa fille Jenny Zobel, journaliste à la BBC (Londres), lors de son passage en 1988 à la médiathèque de Rivière Pilote et à RLDM, tous, et bien d’autres encore, ont apporté des témoignages qui démontrent bien le respect et l’admiration des Martiniquais pour l’inestimable apport de Zobel à la littérature mondiale. Pierre Bourdieu ne disait-il pas que « La littérature est le seul lieu authentique où les normes politiques et économiques peuvent être mises à distance » ?
Louis Boutrin