FRANCE - DELIT DE FACIES : UNE CINQUANTAINE D'AVOCATS ALERTENT LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL

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«Personne ne devrait avoir le droit de contrôler quelqu'un juste parce qu'il est Noir»

INTERVIEW

Pour Maxime Cessieux, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, les contrôles d'identité virent trop souvent au «délit de faciès». Avec d'autres confrères, il entend alerter le Conseil constitutionnel.


Maxime Cessieux est avocat au barreau des Hauts-de-Seine et président de la Commission pénale. Avec une cinquantaine de confrères français, il rédige actuellement plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) concernant les contrôles d'identité. Objectif: montrer que la législation en vigueur n'est pas conforme à la Constitution.

 

Pourquoi déposer des QPC aujourd'hui?

L'élément déclencheur a été une enquête du CNRS publiée en 2009. Celle-ci démontre scientifiquement que les Noirs et les Arabes se font contrôler presque dix fois plus que les Blancs [respectivement 6 et 7,8 fois plus de chances de se faire contrôler en moyenne, ndlr]. J'en ai déjà conscience depuis plusieurs années car je reçois une vingtaine de clients par semaine qui me racontent qu'ils se sont fait contrôler alors qu'ils étaient simplement en bas de chez eux. Et il s'agit bien souvent de jeunes, plus particulièrement de Maghrébins.

Jusqu'ici, il n'y avait aucun moyen de prouver ces discriminations car les contrôles d'identité au faciès ne laissent aucune trace. L'enquête du CNRS, elle, s'est appuyée sur les contrôles d'identités suivis de pousuites judiciaires car ils donnent lieu à des dossiers.

L'enquête fait clairement état de présupposés et de contrôles discriminatoires qui peuvent donner lieu à des gardes à vue et à des détentions provisoires même s'il ne s'agit pas de délinquants. On ne peut pas contrôler quelqu'un comme ça juste parce qu'il est Noir. C'est une rupture d'égalité devant la loi, illégale et anticonstitutionnelle.

 

Que faudrait-il changer dans la législation actuelle ?

Un contrôle d'identité est déjà en soi une atteinte à la liberté d'aller et venir. Un policier peut vous demander vos papiers alors que vous vous promenez tranquillement dans la rue. Personnellement, le dernier contrôle dont j'ai fait l'objet date d'il y a quinze ans. J'étais en baskets et sweat à capuche. C'est triste à dire, mais vous voyez la logique...

La particularité de l'article 78-2 du code de procédure pénale qui régit les contrôles d'identité, est qu'il n'exige aucune motivation de la part du policier. Il peut contrôler qui il veut, quand il veut, et sans avoir besoin de le justifier. C'est ce manque de précision et d'encadrement qui permet les dérives discriminatoires.

 

Que se passera-t-il si ces QPC sont validées par le Conseil constitutionnel?

Pour le moment, nous essayons de réunir des dossiers susceptibles d'illustrer les dérives et les limites de la loi que nous pointons dans nos QPC. Une fois ces dossiers complets, la Cour de cassation décidera de renvoyer ou non la question au Conseil constitutionnel. Qui, s'il retient nos QPC, demandera au législateur de modifier la loi. Autrement dit, les parlementaires devront revoir leur copie.

Pour ma part, je crois qu'il faudrait s'inspirer de l'Angleterre. Là-bas, on délivre au citoyen un «stop form», un formulaire d'arrêt, dans lequel sont consignés tous les contrôles d'identité dont il fait l'objet mais aussi les motivations du policier, invité à se justifier de manière explicite. Cela me paraît être le minimum. D'autant que ce système a prouvé son efficacité: les contrôles en Angleterre sont moins nombreux, plus ciblés et plus efficaces puisque des études montrent qu'ils permettent d'arrêter plus de délinquants. Ce serait dommage de se priver de ce bon exemple.

SOURCE : Libération.fr