Victorin LUREL contre les "Préfets Verts"
Intervenant lors des débats à l'Assemblée Nationale sur le Projet de Loi relatif au Grenelle de l'Environnement, le député Victorin Lurel, a vigoureusement critiqué la proposition de "Préfets Verts". Face à cette dernière trouvaille du Secrétaire d'Etat à l'Outre-mer, Yves Jégo, Victorin Lurel a revendiqué le "droit à faire nous-même" non sans rappeler aux Ministres et aux députés présents que "Le Grenelle ne se fera pas depuis Paris."
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre d’Etat,
Mes chers Collègues,
Les outremers sont une chance pour la République. Ils peuvent en tout cas l’être pour peu que
la République veuille bien, de temps à autre, regarder ses territoires par-delà les océans,
observerce que sont leurs richesses et leur condition, sans toutefois oublier ce que fut leur
histoire.Les outremers sont une chance parce que le métissage, la cohabitation culturelle ou
confessionnelle est pour nous une réalité depuis toujours et que l’Hexagone, aujourd’hui
confronté à ces défis, mériterait de s’intéresser à ce qui se passe chez nous.
Oui ! les outremers sont une richesse extraordinaire pour la République et c’est
particulièrement vrai en matière environnementale. M. le ministre, le reconnaît bien
volontiers, et nous nous en réjouissons tous.
Certes donc, l’article 49 du projet de loi tient compte des départements, des régionset de
l’ensemble des collectivités d’outre-mer. Il liste, de façon assez exhaustive, les principaux
domainessur lesquels nous avons à agir, et nous y reviendrons tout au long de ce débat.Mais,
que n’avions-nous pas là l’occasion d’aller beaucoup plus loin pour que nos spécificités soient
mieux prises en compte et pour que les ambitions communes que nous partageons trouvent
enfin une traduction concrète et rapide !
Les outremers mènent en effet des actions exemplaires en matière de développement durable
etelles n’ont pas, je dois le dire, attendu le Grenelle pour cela. Elles se sont ainsi fixées,
presque toutes, des objectifs très ambitieux pour atteindre l’autosuffisance énergétique.Et, je
dois bien avouer, à regret, que vous ne leur donnez pas, M. le ministre, les moyens de les
atteindreplus vite.
Car, nos richesses, notre biodiversité, nos ressources naturelles, notre pharmacopée, si elles
sont incontestables, ne doivent pas faire oublier que nous cumulons des retards etdes
handicaps structurels très lourds en divers domaines.
Les risques sismiques et cycloniques, en sont un exemple… Et votre projet de loi soulève, en
l’espèce,de réelles interrogations. Ainsi, le plan prévu à l’article 39 en matière de prévention
sismiquesera-t-il bien mis en œuvre avant 2015 ? Quels moyens financiers y seront consacrés
sachant que pour un complexe scolaire, celui de Baimbridge, ce sontau bas mot 90 millions
d’euros qui sont aujourd’hui demandés à la Région Guadeloupe, sans aucune aide de l’État?
La gestion des déchets, particulièrement délicate en milieu insulaire et pour desterritoires
éloignésde la métropole, est un autre exemple de handicap, sachant que toute exportation de
déchets non recyclables se fait au prix fort.
La gestion de la ressource en eau, le traitement des eaux usées, l’assainissement, la pollution
de nos sols par les produits de la famille des organochlorés comme le chlordécone, la liste est
longue,mes chers collègues… Et sur la seule question de la pollution des sols, le plan
comprenant la dépollution et l’indemnisation que nous réclamons depuis de très longs mois
est malheureusement loin d’être mis en œuvre dans votre texte.
Mais, le plus dérangeant dans votre texte, c’est probablement que deux problématiques,
essentielles pour les outremers, sont à mon sens tout simplement passées sous silence.
La première est celle de l’inadéquation totale de la fiscalité locale, et singulièrement
régionale, aux exigences environnementales. Je suis bien placé pour mesurer ce dilemme
kafkaïen car plus la Région que je préside investit dans le développement durable, plus elle se
retrouve pénalisée financièrement.
En effet, plus les habitants de ma région consomment de l’énergie fossile polluante, plus les
finances des collectivités de Guadeloupe s’enrichissent de la taxe que nous percevons sur
chaque litre de carburant consommé. Sans craindre la boutade, la fiscalité locale mérite un
vrai malus écologique ! Ce n’est pas ainsi que l’on incite les collectivités à investir dans les
énergies renouvelables.
Ne faudrait-il donc pas, dans ces conditions, réformer cette fiscalité d’autantque les régions
ont misen œuvre des plans exemplaires pour viser l’indépendance énergétique d’ici à 2015-
2030 ? Ne conviendrait-il pas de déléguer aux collectivités la taxe générale sur les activités
polluantes– la TGAP –, et de renforcer la défiscalisation en favorisant le rachat de l’énergie
renouvelable? De même, du gaz naturel aurait, semble-t-il, été découvert au large de la
Martinique.Les régions pourraient-elles, là aussi, être associées en vue de percevoir
d’éventuelles redevances futures, alors que les concessions semblent avoir été attribuées àdes
entreprises australiennes dans la plus totale opacité ?
La seconde problématique est, à mes yeux, tout aussi essentielle. C’est celle quemon collègue
Letchimy a déjà longuement évoqué. C’est celle de la gouvernance locale. Et, en ce domaine,
c’est à un radical changement de paradigme que nous vous conjurons.
Nous nous opposons radicalement, précisément en ces matières qui doivent absolument être
adaptées aux réalités locales, à la logique « jacobine » de votre texte.
[Je vous le dirai tout net, Monsieur le ministre : Outre-mer, nous souhaitons avoir, dans la
plupart des domaines, non seulement notre mot à dire, mais nous souhaitons tout simplement
faire nous-mêmes. Et j’ai bien cru, il y a quelques mois, avant mai 2007 pour être exact, que
le président de la République partageait avec nous, ultramarins, cette revendication de portée
générale. Oui, mes chers collègues, nous estimons nécessaire de pouvoir planifier les actions,
adapter voire déroger à la réglementation ou à la législation, dès que cela s’avère nécessaire,
pour le développement de nos territoires, et particulièrement pour le développement durable
de nos territoires.]
Je citerai quelques exemples concrets que nous vous soumettrons par nosamendements :
- l’adoptiond’une réglementation technique spécifique aux régions tropicales en matière de
constructions neuves,
- ou encore l’interdiction des lampes à incandescence sur nos territoires que nous souhaitons
pouvoir instaurer.
Nous proposons également, à l’unisson de la proposition de l’ARF, que les Régions soient
chef defile dans l’élaboration des plans climats régionaux, pour le développement des
énergies renouvelables où nous sommes justement en pointe et plus généralement sur le thème
de la biodiversité.
J’ai envie de vous dire, Monsieur le ministre : « faites nous confiance ! », d’autant qu’à bien
des égards nous avons fait nos preuves et que l’article 73-3 de la Constitution nous permet
justement d’avoir ces règlementations locales..
J’espère donc que c’est bien cet esprit là qui vous guidera lors de l’examen de ce texte, et
surtout,des suivants. J’espère, a contrario, que vous ne suivrez pas le secrétaire d’État chargé
de l’outre-mer qui a récemment annoncé la nomination de « préfets verts » pour le
développement durable, ce qui revient, de facto disons-le, à écarter les collectivités sur ces
sujetsessentiels.
Si nous voulons réellement traduire outre-mer les orientations de ce Grenelle, vous devrez
donner demain aux collectivités, non seulement les moyens financiers de mettre à niveau les
infrastructures,mais également en terme de gouvernance et de fiscalité locale, le pouvoir de le
faire nous-mêmes. Je vous l’assure, mes chers collègues, le Grenelle ne se fera pas depuis
Paris.
Je vousremercie.