Tour de la ville ce matin, en taxi moto. Avec Jimmy qui fait office de chauffeur privé. On a trouvé de l'essence dans une station. Pas trop de bagarre. Je m'attendais à plus. Comme hier, quand avec le comité de crise établi par les jeunes du quartier on a distribué de l'eau potable (pas beaucoup, ce qu'on avait pu trouver) aux représentants des familles. Me serais-je laissé influencer par ceux qui parlent de pillage et de violence ? Quelques injures, quelques tentatives d'échapper à la queue. Pas plus. Certes, il y a des quartiers où les choses sont plus compliquées, mais les gens ne dévorent pas leur prochain pour emporter ce qu'ils peuvent.
Dans les quartiers du bas de la ville, les scènes et les odeurs contrastent. Des femmes qui arrosent leur devanture, balaient leurs coins de rue. Les dalles effondrées. Un voeu de propreté par-ci. Une odeur de mort par-là. Il y a des cadavres sous les gros immeubles qui se sont effondrés. Je croise des personnes que je connais qui ont perdu des proches. On ne parle pas des morts. Entrevue avec des journalistes français. Ils admettent qu'ils n'ont pas vu les scènes de violence qu'on leur prédisait. Il y a de l'ordre à mettre dans les discours. Il y a aussi une volonté de recommencer à vivre ou plutôt de recommencer des vies individuelles et de commencer une vie collective. Des gens parlent de bibliothérapie . D'autres de rencontrer les responsables scolaires. D'autres encore de créer des comités bénévoles de professionnels qualifiés, pour inspecter les immeubles, voir lesquels doivent être abattus, lesquels peuvent être utilisés. J'entends des gens qui parlent des produits agricoles dont il faut encourager et augmenter la production, nourrissants et faciles à produire.
Penser à tout en même temps
J'entends aussi à la radio de plus en plus de propos pertinents et cohérents. Quelques heures après le séisme du 12 janvier et dans les jours qui suivaient, on entendait le silence de l'État et parfois des délires inquiétants : abandonner la direction du pays à un comité scientifique constitué de grands mystiques (!), la mer qui allait recouvrir l'ensemble du pays... Ca commence à parler sérieusement. On n'oublie pas que 2010 est une année électorale, que les législatives devaient avoir lieu dans quelques semaines, la présidentielle dans quelques mois. Trouver des solutions rationnelles. L'un des enjeux majeurs est de ne pas laisser le tremblement de terre freiner le cours du processus démocratique. À la fin du mandat du président Préval, mettre en place un gouvernement provisoire si les élections ne peuvent avoir lieu tout de suite, c'est une proposition qui semble avoir des échos. Le problème, c'est qu'il faut penser à tout en même temps. On entend aussi les responsables de l'État haïtien et de l'État américain "préciser" qu'il ne s'agit pas d'une occupation. Cela veut dire qu'ils entendent le grondement et comprennent que les Haïtiens dans leur majorité ne souhaitent pas que l'aide vienne les priver de leurs droits politiques.
Retour dans les rues. Le Champ de Mars, cela se vide et se remplit. Hier, des camions ont transporté des sinistrés vers l'ancien ranch de Jean-Claude Duvalier (oui, il possédait un ranch, à chacun son petit Texas). Leurs places ont été prises. Si de nombreuses rues semblent vides, les abris établis sur les terrains vagues, dans les clubs disposant de grands terrains et sur les terrains vagues, ne désemplissent pas. Cette ville était pleine comme un oeuf, et les gens ont beau s'en aller vers le sud ou le nord, il reste beaucoup de monde.
L'État, on y revient toujours
Midi. Nouvelle secousse. Le pot de fleurs à côté de l'ordinateur a bougé sans me demander la permission. Cela n'en finira donc jamais. Sur une station de radio, on interroge un psychologue sur cette sensation de déséquilibre constant, de vertige, que beaucoup de personnes disent éprouver. C'est psychologique, répond le psychologue. Merci de l'information, monsieur le spécialiste. Mais il faut un discours de la part de l'État et des techniciens qui informe et rassure tout en indiquant l'attitude que la population doit avoir en ce qui concerne ces répliques. Qu'il soit absent ou présent, L'État, on y revient toujours.
Aujourd'hui, nouvelle distribution d'eau dans le quartier. Cette fois, c'est le pasteur qui en a trouvé. Je ne supporte pas l'homme. Pas à cause de ses croyances. Mais à cause du bruit de ses prêches et de sa voix qui chante faux. Mais il a amené de l'eau. Et avec les membres du comité, on discute de l'avenir. Il faudra installer des choses qui n'existent pas. Entre autres une petite bibliothèque. Faudra inclure dans la charte du quartier une clause sur la limitation du volume des haut-parleurs. Mais on aura le temps de parler de cela.