Wyclef en Haïti : « Nous sommes entrés dans le ventre de la bête »
Dans les rues de Port-au-Prince, la star du rap US est venue se battre contre le séisme. Et c'est l'homme le plus populaire d'Haïti.
*Knight Cam : « J'ai regardé Wyclef chez Oprah. Son amour pour ses compatriotes a touché mon coeur. J'avais l'impression d'être là-bas et desentir leur douleur. »
*DJ Camilo : « Ma conversation avec Wyclef chez Angie Martinez (à l'antenne et hors antenne) restera en moi jusqu'à la fin de ma vie. »
*Angie Martinez : « Des Haïtiens membres du personnel ont échangé avec Wyclef après l'interview. Si humain. Il connecte avec les gens d'une façon indescriptible. »
*Uncle Rush : « Wyclef m'a demandé de ne pas dire qu'il avait pleuré à la conférence de presse. Mais on l'a vu aux infos. J'aime ce mec. »
*Luv Jessyca : « Wyclef, ma mère vient de revenir d'Haïti où elle a aidé une femme à accoucher ! Elle est la vraie définition d'un héros,comme toi. »
Cinq micromessages parmi des milliers, cinq témoignages du charisme d'un homme qui fut le leader du plus gros groupe de hip-hop au monde, les Fugees. Wyclef Jean, réfugié américain au passeport haïtien, est au coeur de la vague de solidarité qui a suivi le tremblement de terre du mardi 12 janvier.
=Wyclef ambassadeur de l'ONU pour Haïti depuis deux ans
Une secousse qui a dévasté un pays déjà en ruine. Un pays oublié de l'Occident, jusqu'à cette catastrophe génératrice d'une empathie aussi intense qu'elle risque d'être brève. Pas pour Wyclef, ambassadeur de l'ONU pour Haïti depuis deux ans. Wyclef avait 9 ans quand il a quitté Port-au- Prince pour les Etats-Unis, mais il n'est jamais vraiment parti.
Contrairement à nombre d'émigrés, il n'a pas oublié ses racines. Des racines visibles dans le nom de son groupe (Fugees étant un raccourci pour dire « réfugiés »), devenu après un premier album confidentiel, Blunted on Reality (1994), le plus populaire des années 1990.
Quand les Fugees vont donner, en 1997, un concert avec MTV à Port-au-Prince, ce sont 500 000 Haïtiens qui y assistent. Symbole désolant : le ministre de la Culture de l'époque disparaît le jour du concert avec la recette du show. Comme un résumé de la malédiction qui frappe ce pays, le premier des Caraïbes à avoir obtenu son indépendance.
Les Fugees ont explosé en plein vol, laissant comme seul héritage des carrières solo en dents de scie.
Celle de Wyclef a été la plus passionnante. En 2004, après quatre albums internationaux, il balance Welcome to Haiti : Creole 101, album majoritairement chanté en créole sur lequel il invite notamment le Guadeloupéen Admiral T. L'année suivante, il lance Yéle, une association rassemblant des fonds pour construire le futur d'Haïti. Dans une indifférence médiatique assourdissante. Jusqu'au 13 janvier 2010.
Dans le cercle de l'enfer
Quelques jours après la première secousse, Wyclef est sur place, avec une caméra vidéo. Il décrit lors d'une bouleversante conférence de presse son passage sur sa terre dévastée comme une visite dans le premier cercle de l'enfer :
« J'ai été là-bas avec ma femme Claudinette et mon cousin Jerry “Wonder” Duplessis [qui collabore avec Wyclef à toutes ses productions musicales, ndlr]. Nous sommes entrés dans le ventre de la bête. Je n'étais pas là pour présenter les infos, j'étais occupé à transporter les cadavres dans la rue.
J'amenais des cadavres de petites filles à la morgue, et à la morgue on m'a dit qu'il n'y avait plus de place, alors on a porté les corps au cimetière, où les gens se battaient pour savoir quel corps devait aller dans quel trou. Les trois jours que j'ai passé àHaïti, je n'ai pas de mots pour les décrire. Pour comprendre à quel point j'aime mon pays, remontez à 1996, quand j'étais au sommet de ma carrière, à la tête du plus grand groupe de l'univers, les Fugees.
On était backstage aux Grammy Awards, on allait jouer, et j'ai dit : “Où est mon drapeau d'Haïti ? Je ne monte pas sur la scène des Grammy sans lui, c'est le seul moment où ces gens peuvent voir mon pays.” Et j'ai ramené le drapeau. Depuis,je représente la fierté d'Haïti.
Vous voulez connaître la différence entre vous et moi ? [il sort des documents de sa poche - ndlr] Vous voyez ça ? C'est un passeport haïtien et une carte verte permanente.Voilà comment je rentre dans ce pays. Je suis un exemple de ce que l'on appelle le rêve américain. Et quand les caméras s'éteindront, je serai toujours là pour Haïti, au garde-à-vous. Voilà la réalité de ma vie. »
Ramasser des cadavres
Dans un direct sur CNN, le chanteur racontait aussi, ému, une journée passée avec sa femme à ramasser des cadavres :
« Je dois vous dire que j'ai une femme forte, je ne sais pas comment elle a fait pour supporter ça. »
Les larmes dans les yeux et dans la voix, Wyclef est aussi porte-parole de l'espoir. Il le certifie : malgré l'odeur de cadavre qui plane sur les rues déchiquetées de la capitale de son pays meurtri, il a vu les gens chanter, sourire, tuer la mort en célébrant la vie. Malgré l'horreur, malgré la douleur, malgré tout. Il a été parmi les premiers à faire venir à Port-au-Prince des vêtements, du matériel de première nécessité.
Accusé d'avoir détourné les fonds de son association
Il est le dernier héros d'Haïti, le plus populaire des Haïtiens. La voix de son pays, celui qui a convaincu Brad et Angelina de devenir membres d'honneur de Yéle. Celui qui esten contact direct avec la Maison Blanche et les grands médias. Celui qui demande l'évacuation de Port-au-Prince vers la campagne. Celui qui exige plus d'humanité pour son peuple en détresse, sur lequel les hélicoptères US balancent des sacs de nourriture comme on le ferait à des animaux.
Mais Wyclef n'échappe pas à la controverse : il a été accusé d'utiliser Yéle pour son enrichissement personnel. Il a répondu chez Oprah Winfrey, le 21 janvier :
« Avant, personne ne parlait jamais de Yéle. Depuis qu'on récolte un million de dollars par jour, les attaques ont commencé. Je n'ai jamais utilisé cet argent pour moi. On n'a pas toujours eu de bons comptables, mais on apprend de nos erreurs. »
Un audit récent a relevéque la seule erreur de Yéle est de ne pas avoir établi correctement ses bilans et que rien n'avait été détourné. Après s'être expliqué sur cette polémique dérisoire, Wyclef a parlé en créole à ses compatriotes, la voix brisée :« Je ne pleure pas pour moi », a-t-il expliqué, « je pleure poureux. Je leur dis “donnez-nous un peu de temps”. »
Photo : Wyclef Jean lors d'une conférence de presse sur Haïti aux Grammy awards (Ray Stubblebine/Reuters)