Idriss Déby : "Je pense que les otages français sont vivants"
Avec 2 000 soldats envoyés dans le nord du Mali, le Tchad a été un allié crucial de l'opération française Serval. La participation de cette armée, réputée très efficace, a été primordiale dans la bataille du massif des Ifoghas. Le pays a d'ailleurs payé un lourd tribut à cette intervention : 30 hommes sont morts dont 4, vendredi 11 avril, lors d'un attentat dans la ville de Kidal. Invité de l'émission "Internationales" de TV5 Monde, en partenariat avec RFI et Le Monde, enregistrée samedi 13 avril, à N'Djamena, le chef de l'Etat tchadien, Idriss Déby Itno, au pouvoir depuis vingt-deux ans, s'explique notamment sur son rôle dans la crise malienne
Pourquoi avoir décidé d'envoyer vos soldats au Mali ?
Idriss Déby : Le Mali était coupé en deux, occupé par des djihadistes qui menaçaient la capitale Bamako. L'intervention française a sauvé le Mali. La France est restée seule sur le terrain pendant pratiquement un mois. Nous avons été sollicités par la communauté internationale, par la France, par le président malien Dioncounda Traoré, par la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao), par l'Union africaine. J'ai consulté, comme la Constitution m'y oblige, l'Assemblée nationale, et j'ai informé l'ensemble de la classe politique qui m'a unanimement donné son accord pour l'envoi des troupes tchadiennes au Mali. La société civile a aussi été consultée. [Ce qui se passe dans le nord du Mali] est un mal qu'il faut extirper le plus rapidement possible. Cette guerre ne concerne pas seulement le Mali mais toute la sous-région au sud du Sahara.
Pour quand envisagez-vous le retrait des troupes tchadiennes ?
La guerre "en face à face" avec les djihadistes [menée dans le massif des Ifoghas] est terminée. L'armée tchadienne n'a pas de compétences pour affronter l'action d'une nébuleuse, du type guérilla, tel que cela est en train de se produire dans le nord du Mali. Nos soldats vont retourner au Tchad. Ils ont accompli leur mission. Nous avons déjà procédé au retrait du bataillon d'appui lourd. Le reste des éléments va rentrer au pays progressivement.
Le Tchad a éliminé Abou Zeid, l'un des principaux chefs d'Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). S'agissant de Mokhtar Belmokhtar, avez-vous des preuves de sa mort ?
Nous avons les preuves qu'il est mort, mais nous n'avons pas pu filmer car il s'est fait exploser. Nous n'avons pas voulu diffuser de telles images. Mais nous savons que les prisonniers faits sur place l'ont identifié.
Craignez-vous des représailles terroristes sur votre sol ? On dit que des cellules dormantes de Boko Haram [secte islamiste nigériane responsable de l'enlèvement d'une famille de 7 Français dans le nord du Cameroun, NDLR] se trouvent ici ?
Boko Haram n'est pas à N'Djamena, il est au Nigeria. Ils se ravitaillent en munitions et en armes depuis la Libye notamment. Que cela passe par le Tchad, c'est possible, par le Niger, c'est aussi possible. Nous avons intercepté des cargaisons qui partaient en direction du Nigeria. Pour le moment, nous n'avons pas détecté de cellules dormantes. Il n'est évidemment pas impossible qu'il y en ait. C'est pourquoi nous avons pris des dispositions sécuritaires dans la capitale.
Des otages français sont détenus dans le nord du Mali et dans le nord du Cameroun. Avez-vous des informations nouvelles ?
Nous faisons un briefing chaque soir avec le commandement militaire tchadien et le commandement militaire français ici à la présidence. La question des otages nous préoccupe beaucoup. Après la défaite des djihadistes, c'est ce qu'il reste à faire : la recherche de ces otages. Nous devons les retrouver vivants. Et je pense que les otages français sont vivants aux mains des djihadistes mais je ne suis pas sûr qu'ils soient dans le nord du Mali, car avec l'armée française nous sommes allés dans tous les recoins du massif des Ifoghas. On a fait un nettoyage important et nous n'avons pas trouvé d'indices de leur présence.
Quel a été votre rôle dans le coup d'Etat qui a renversé l'ex-président de la République centrafricaine (RCA), François Bozizé, dont vous étiez jusque-là un allié ?
Je n'étais pas un allié du président Bozizé mais un allié des Centrafricains. Je ne suis pas le seul. C'est toute la sous-région qui a été solidaire avec le peuple centrafricain. Depuis 1994, elle a injecté des ressources en RCA, envoyé des soldats, dont certains sont morts pour restaurer la paix. Malheureusement nous en sommes très loin. Et la situation actuelle est très grave. C'est pour ça que nous avons tenu un sommet extraordinaire ici [le 4 avril dans le cadre de la Communauté économique des Etats d'Afrique centrale, CEEAC]. Un deuxième sommet, prévu le 15 avril, a été repoussé au 18 pour donner aux Centrafricains le temps de s'organiser et de venir avec des propositions concrètes de sortie de crise
S'agissant de la situation intérieure au Tchad, avez-vous des informations nouvelles dans l'enquête sur la disparition de l'opposant Ibni Oumar Mahamat Saleh, en février 2008 ?
J'ai déjà répondu plusieurs fois à cette question.
Votre prédécesseur, Hissène Habré, poursuivi pour crimes contre l'humanité, devrait être jugé au Sénégal. Vous avez été son chef d'état-major au début des années 1980. Redoutez-vous ce procès ?
En tant que soldat sur le terrain, j'ai combattu l'occupation libyenne, j'ai pris des risques. Je n'ai pas de regrets, je sais ce que j'ai fait en tant que soldat et qui est reconnu par tous.
Propos recueillis par Xavier Lambrechts (TV5 Monde), Bruno Daroux (RFI) et Charlotte Bozonnet (Le Monde, N'Djamena, envoyée spéciale).