Intervention de Claude LISE au Sénat

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"Nos cris d'alarme n'ont pas manqué"

"Ce à quoi l’on assiste était prévisible, car les cris d’alarme lancés par des élus de nos départements n’ont pas manqué.

En ce qui me concerne, je n’ai cessé, ici même, de faire état des risques que comportait l’aggravation constante de situations dont le caractère insupportable n’était pas suffisamment pris en compte".


Monsieur le Président,

Madame la Ministre,

Monsieur le Secrétaire d’Etat,

Mes Cher(e)s Collègues,





La Martinique et la Guadeloupe connaissent, depuis plusieurs semaines, un mouvement social d’une ampleur sans précédent au cours duquel on a malheureusement assisté, à différentes reprises, à de véritables scènes d’émeutes.



Les deux îles sont en proie, en fait, à une véritable révolte populaire.



Révolte contre un mal développement chronique, commun d’ailleurs aux quatre DOM, et dont les symptômes sociaux sont devenus proprement insupportables : des taux de chômage (notamment des jeunes et des femmes) sans équivalents dans l’Union européenne, des pourcentages de Rmistes en moyenne 5 fois supérieurs à ceux de l’hexagone et de ménages 



vivant en dessous du seuil de pauvreté 2 fois plus importants ; mais avec, en regard, un coût de la vie particulièrement élevé et une dégradation croissante du pouvoir d’achat.



Révolte contre les racines d’un mal développement qu’il faut rechercher dans un passé colonial qui continue de structurer les relations économiques entre la France et ses départements d’outre mer.



Révolte contre un type de société qui porte encore largement l’empreinte de ce passé et qui est marqué par la persistance de beaucoup trop d’injustices, beaucoup trop d’inégalités, beaucoup trop de discriminations (affichées ou insidieuses). Révolte contre le sort fait à toute une jeunesse qui sombre dans la désespérance.



L’opinion française a, bien sûr, découvert des réalités dont elle ignorait l’existence. Mais il est quand même étonnant qu’au niveau de l’Etat et de la classe politique, l’on ait vu manifester tant de surprise devant l’ampleur et le caractère des événements.



Ce à quoi l’on assiste était prévisible, car les cris d’alarme lancés par des élus de nos départements n’ont pas manqué.



En ce qui me concerne, je n’ai cessé, ici même, de faire état des risques que comportait l’aggravation constante de situations dont le caractère insupportable n’était pas suffisamment pris en compte.



C’est ainsi qu’en décembre dernier, lors de l’examen du budget de l’outre-mer, je soulignais, que, je cite : « les signes inquiétants se multiplient… » et j’alertais sur le fait qu’il existait, je cite, « de sérieuses raisons d’inquiétude pour les mois à venir ».



Mais déjà, pour remonter bien plus loin, en décembre 2000, évoquant les événements qui se déroulaient alors en Guyane, je disais, à cette tribune, qu’il existait dans nos DOM, je cite encore, « un terreau favorable à la survenue de tels événements, un terreau formé par l’intrication de trois facteurs fondamentaux : l’inadaptation des institutions, le mal-développement des territoires et le mal-être des hommes ». Et j’ajoutais : « La tentation a toujours été grande ici pour les responsables politiques de se voiler la face, de se satisfaire d’explications superficielles et faussement rassurantes ».



Et l’on touche là à un problème fondamental : celui de la véritable surdité constamment opposée aux élus d’outre-mer, surdité en grande partie liée à une vision singulièrement déformée des territoires et des peuples qu’ils représentent. 



Une vision passéiste, en décalage avec les discours convenus sur l’importance accordée à l’outre-mer et le rayonnement qu’il permet à la France d’exercer sur les trois océans.



En réalité, la pensée dominante, c’est toujours celle qui présente ces territoires comme de grands consommateurs de fonds publics que l’on ne parvient pas à sortir de ce que l’on appelle « l’assistanat » – sans toujours savoir précisément ce que l’on entend par là ; en occultant ce qu’ils apportent et ce qu’ils rapportent à la France et, plus encore, ce qu’ils pourraient apporter et rapporter si l’on s’attachait à promouvoir réellement leurs indiscutables atouts.



Comment expliquer sinon, chaque fois qu’il est question d’un grand plan de développement pour l’outre-mer, la tendance, souvent observée, à limiter ou à considérer comme toujours exorbitants les moyens financiers au détriment des objectifs affichés ?



L’actuel projet de loi illustre malheureusement bien cette tendance.



Dès sa conception, il y a plus d’un an et demi, c’est le point de vue du ministère des finances qui l’a emporté avec un objectif évident d’économie budgétaire. C’est d’ailleurs ce qui explique qu’en dépit de l’opposition d’une majorité d’élus d’outre-mer, l’on ait fait voter, en décembre dernier, dans le cadre de la loi de finances, des dispositions relevant normalement de l’actuel projet de loi. 



Il s’agit des dispositifs de défiscalisation et d’exonérations de charges sociales patronales. Ceux-ci méritaient certainement d’être améliorés, avec deux objectifs : 

réduire les risques d’abus et d’effets pervers ; mais surtout accroître l’efficacité de ces instruments au service du développement et de l’emploi, ce qui devrait, notamment, amener à poser le problème des contreparties à exiger face aux aides accordées.



Choisir de modifier ces dispositifs dans le cadre de l’examen d’une loi de finances ne pouvait, en fait, que tendre à privilégier la recherche d’économies budgétaires.



L’adoption d’un système de dégressivité linéaire pour les exonérations de charges a ainsi permis 138 millions d’euros d’économies ; mais c’est au prix de conséquences négatives sur l’encadrement intermédiaire qu’il est, par ailleurs, indispensable de promouvoir.



La suppression brutale de certains dispositifs de défiscalisation fait, elle, peu de cas des conséquences prévisibles sur le secteur du BTP et des besoins importants qui existent en matière de logements intermédiaires.

J’ai le sentiment, M. le Secrétaire d’Etat, que vous auriez préféré vous inscrire dans une autre logique, surtout depuis que vous avez pu voir, de plus près, certains aspects des réalités ultramarines.



Mais c’est la logique qui continue de s’imposer, contrairement d’ailleurs à ce que nous avait laissé entendre le Président de la République lors de l’audience du 19 février. 



C’est la logique qui sous-tend, en tout cas, les positions de la commission des Finances. Et je ne peux que déplorer les décisions que celle-ci a prises, notamment sur deux points : 



Premièrement, le rejet des amendements tendant à atténuer les effets négatifs du système d’exonération de charges sociales patronales, et ce pour les raisons que j’ai déjà données. Je me félicite donc de l’existence d’un amendement du Gouvernement qui, même insuffisant, va dans le bon sens.



Deuxièmement, l’inclusion du nouveau dispositif de défiscalisation du logement social dans le plafonnement des niches fiscales. Cela rendra moins attractif un dispositif qui l’est déjà peu. 



J’approuve, en revanche, la proposition tendant à permettre aux collectivités territoriales de donner un avis sur les propositions de défiscalisation préalablement à leur réalisation. Je veux tout de même rappeler que j’avais déposé un amendement en ce sens, en 2003, lequel avait reçu un avis défavorable de la commission des Finances au motif que, je cite, « l’on se heurterait au secret fiscal dont relève les dossiers d’agrément ». Faut-il en déduire que certains amendements aujourd’hui rejetés deviendront des propositions de la commission dans quelques années ?...



Pour l’heure, en tout cas, les rejets sont nombreux - et pas seulement au titre de l’article 40 - et force est de constater que la commission des Finances ne laisse que peu de possibilités d’améliorer le texte par des amendements parlementaires.



C’est dire que l’amélioration du texte dépendra essentiellement de vous, Madame et Monsieur les ministres, et j’espère que vous aurez à cœur de reprendre certains amendements rejetés par la commission des Finances.



Je veux tout particulièrement attirer votre attention sur l’amendement qui tend à la création d’une allocation d’autonomie et de parcours vers l’emploi destinée aux jeunes de 18 à 25 ans en situation de chômage, dès lors qu’ils s’inscrivent dans un organisme de formation ; destinée également aux étudiants en complément de leur bourse.



Il s’agit là d’une revendication particulièrement mise en avant dans le cadre des récents mouvements sociaux. 



Je ne peux évidemment pas, dans le temps qui me reste, évoquer les différents points sur lesquels le projet de loi mérite d’être amendé et complété, s’agissant notamment : du forfait charge logement ; de l’étalement des dettes fiscales et sociales pour aider, dans le contexte actuel, les petites entreprises en difficulté ; de la gestion de la zone des cinquante pas géométriques ; ou encore de la reconnaissance du fait syndical local Outre-mer.



Je tiens cependant, avant de terminer, à déplorer l’absence d’un chapitre réservé au renforcement des ressources des collectivités territoriales d’outre-mer. Des collectivités qui interviennent, beaucoup plus encore que leurs homologues de l’hexagone, tant dans le financement de l’investissement public que dans la réponse à une demande sociale particulièrement importante. Des collectivités qui pâtissent, dans des proportions autrement plus pénalisantes, de l’insuffisante compensation des ressources transférées par l’Etat.





En conclusion, 



L’actuel projet de loi comporte, certes, quelques avancées, mais qui n’en font toujours pas le grand projet « pour le développement économique et la promotion de l’excellence outre-mer » que l’on avait annoncé il y a près de deux ans !



Mais, ce qui est plus grave, c’est qu’il apparaît comme déconnecté des événements que nous sommes en train de vivre dans les DOM.



Madame la Ministre, Monsieur le Ministre, 

vous pouvez encore éviter de susciter une grande déception, dans un contexte où il importe au contraire de redonner confiance et de raviver l’espoir.



Il suffit pour cela que vous sortiez le débat qui va s’ouvrir du cadre convenu auquel nous ne sommes que trop habitués. 



Il faut que vous acceptiez d’améliorer réellement le texte. Et pour les questions qui ne pourraient vraiment pas être abordées (je pense aux revendications en cours de négociation sur les minima sociaux ou les retraites) que vous précisiez dans quel cadre législatif ou réglementaire ils pourraient être traités et à quelle échéance.



Mes chers collègues, saisissons l’occasion qui nous est donnée de montrer que notre assemblée a désormais la volonté d’aborder autrement les problèmes de l’outre-mer.



Ce faisant, elle ne fera jamais que démontrer que les élus du peuple ont les moyens de faire entendre la voix du peuple !