Monsieur le Président, Monsieur le ministre, chers collègues,
Je partage les objectifs de ce projet de loi d’avenir de l’agriculture qui s’articule autour d’une stratégie de développement de filières organisées ; ce qui pourrait permettre, à terme dans nos territoires, de favoriser une agriculture nourricière, raisonnée et respectueuse de l’environnement et des hommes.
Je veux croire qu’il se démarque des politiques agricoles d’un autre temps, tendant à cultiver et à accentuer les stigmates d’un système de plantation reposant sur quelques monocultures d’exportation à destination d’une métropole exclusive.
Il se distingue aussi des politiques qui subordonnent les arbitrages économiques aux intérêts de la métropole, au détriment de productions locales sans transformation, sans valeur ajoutée, exclusivement destinés au marché d’une seule métropole et subissant irrémédiablement la détérioration des termes de l’échange.
Enfin, je veux encore croire qu’il se différencie des projets qui condamnent la Martinique à la dépendance alimentaire vis-à-vis de la France et de l’Europe. Par son approche systémique, il est sensé tenir compte de nos spécificités et intégrer la formation, l’installation, la transmission des exploitations, la production, la transformation, la distribution, la consommation.
C’est peut-être le signe tant attendu, que ce gouvernement est enfin conscient que nous payons aujourd’hui un lourd tribut pour ses erreurs passées.
En effet, aujourd’hui, en Martinique la terre est polluée, les surfaces agricoles se raréfient, l’air est pollué, nos rivières sont empoisonnées, la mer est polluée, la biodiversité est menacée. Les zones d’interdictions de pêche se multiplient, provoquant un appauvrissement de la ressource halieutique et précarisant davantage des marins-pêcheurs déjà en grande difficulté du fait de leurs faibles revenus et de leurs retraites insignifiantes.
Nous devons acter l’impérieuse nécessité de sortir progressivement de cette agriculture géophage, aliénante, polluante et contrôlée par une poignée de possédants à la recherche exclusive du profit.
Il est temps que la Martinique écrive un nouveau chapitre de son histoire avec une nouvelle génération de décideurs, d’acteurs économiques et politiques, d’agriculteurs qui auront compris ce qu’évoquait Frantz FANON dans « Les Damnés de la Terre » quand il disait «Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, l’accomplir ou la trahir ».
En tant que député de Martinique, je suis plus que jamais déterminé à remplir pleinement ma mission.
Encore faudrait-il que nos propositions d’amendements destinés à enrichir ce texte et nos autres doléances trouvent un écho favorable.
N’est-ce pas désintéresser les jeunes Martiniquais aux professions de l’agriculture et de la pêche que de conforter chez eux le sentiment qu’ils devront après une carrière pénible, à l’âge de la retraite, se contenter de faibles moyens de subsistance, au regard des retraites des salariés agricoles et des pêcheurs que le gouvernement refuse de revaloriser en maintenant des modes de calcul qui pénalisent nos agriculteurs et marins-pêcheurs.
Et que dire de la réponse très attendue quant à l’ouverture d’une filière BTS en Sciences et Technologie des aliments d’un réseau Antilles-Guyane, qui permettrait d’envisager une valorisation future des matières premières locales à travers les transformations agroalimentaires, cosmétiques et pharmaceutiques.
Il nous importe aussi de protéger la production locale et de garantir au consommateur, quel que soit son pouvoir d’achat, l’information ainsi que la sécurité alimentaire. Paradoxe pour la Martinique, région micro-insulaire, le Panga envahit le marché en raison de son bas prix. Il s’agit d’un poisson importé, élevé en toute impunité dans des conditions d’hygiène contestables et nourri avec toutes sortes d’immondices. Nous préconisons donc un renforcement des obligations inhérentes aux mentions d’origine et conditions de production agricoles et alimentaires, transformés ou non, qui sont écoulés sur notre marché.
Il nous incombe d’autre part, de promouvoir une agriculture moderne, humanisée, tirant les enseignements des scandales sanitaires comme celui de la Chlordécone responsable de malformations génétiques chez les nouveaux-nés, et d’un foisonnement de cancers qui déciment les populations, notamment les ouvriers agricoles actifs et retraités.
Nous devons nous attacher à susciter des vocations grâce à la valorisation de métiers de haute technicité ; en étoffant l’offre de formation en adéquation avec les niches émergentes ; en favorisant l’attrait pour les productions à fortes valeurs ajoutées (plantes aromatiques, médicinales, café et cacao) ainsi que les activités de transformation et de conservation ; en favorisant la transmission d’exploitations à des jeunes agriculteurs et la transmission des connaissances ainsi que des savoirs-faire acquis de longue date dans la tradition des jardins créoles.
Nous devons accorder des moyens à la recherche et au développement pour impulser l’innovation, et amplifier la coopération, notamment à travers des groupements d’intérêt scientifique, avec les pays du bassin caribéen pour développer des vitro-plans d’espèces résistantes aux bio-agresseurs et réduire le recours aux pesticides.
Je crois qu’une autre agriculture est possible dans nos territoires. Notre potentiel est énorme, quoi qu’ayant été pendant des décennies délibérément ignoré et inexploité. Je crois qu’en ayant conscience de nos potentialités et qu’en se dotant d’une vision claire et prospective, nous pouvons initier une agriculture d’excellence au profit de nos territoires.
Si ce texte peut contribuer à instaurer un cadre juridique moins hostile à ce salutaire changement de paradigme, je ne peux que le voter.
Jean-Philippe NILOR
Député de Martinique
Assemblée Nationale, le 7 juillet 2014
VOIR VIDÉO.