La période de l’occupation en France a suscité d’innombrables ouvrages, films, reportages où la sérénité, plus d’un demi siècle après l’évènement, n’est pas toujours présente. Cette même période, aux Antilles françaises est moins connue. Il est vrai que la Guadeloupe, la Martinique ne furent pas occupées, tout en restant, jusqu’en juillet 1943, dans l’allégeance au régime de Vichy, sous la férule du haut commissaire, l’amiral Georges ROBERT, coiffant l’autorité, en Martinique du gouverneur NICOL, à la Guadeloupe du gouverneur Constant SORIN.
L’amiral ROBERT avait pour mission de maintenir l’ordre dans les vieilles colonies Françaises, de les protéger, de garder aussi les 300 tonnes d’or de la Banque de France arrivées à Fort de France sur le croiseur Emile Bertin le 24 juin 1940 et entreposées pendant les années qui suivirent au Fort Desaix.. Pour l’accomplissement de sa mission qui devait s’avérer, les années suivantes, difficile et délicate à plus d’un égard, l’amiral disposait, outre de l’Emile Bertin, du croiseur Jeanne D’arc, qui stationna à la Guadeloupe, de l’aviso le terrible, mais aussi du porte-avions le Béarn.
Assez mal connu en Europe, cet épisode de la seconde guerre mondiale, fait l’objet, aux Antilles, de controverses passionnées. Pour certains, l’amiral Robert, et les deux gouverneurs auraient été des tyrans, dignes émules de leurs supérieurs Vichyssois « aux ordres de l’occupant ».
Comme en métropole, la résistance s’organisa peu à peu. Elle consista, pour les plus audacieux à échapper à la surveillance des autorités, et, par voie de mer, à gagner les îles anglaises voisines de la Dominique et de Sainte Lucie où se trouvaient des antennes de la « France libre », où ils étaient pris en charge à destination du Canada ou de l’Angleterre, pour y recevoir une formation militaire, avant d’être jetés dans le grand bain. C’est ce que l’on appela la « dissidence »
C’est aussi le titre du dernier ouvrage de l’écrivain créole Raphaël CONFIANT. Ce Martiniquais, l’un des chefs de file du mouvement politico-littéraire de la Créolité, s’intéresse beaucoup à cette période puisque c’est le troisième ouvrage qu’il lui consacre (après Le nègre et l’amiral, et Jik dèyè do bondié, en créole).
Le livre est plus un récit, qu’un roman ; pas d’intrigue proprement dite, mais le récit de la période, par le personnage de Firmin Léandor, métis, commandeur (régisseur) de la plantation sucrière Bel-Event, située au sud de la Martinique, sur le territoire de la commune de Rivière Salée, et appartenant au planteur béké ( c’est-à-dire membre de la communauté des blancs créoles de la Martinique, les békés) Simon Duplan de Montaubert, dit Simon le terrible. Léandor rapporte le quotidien tel qu’il l’a vécu, homme de confiance, compétent, dévoué, passionnément attaché à cette terre, à bien faire son travail : lente culture de la canne et extraction du sucre, édification aussi de ces travailleurs nègres qui lui sont confiés, durs au mal, descendants de ces esclaves importés d’Afrique aux 17ème et 18ème siècle, dans l’univers particulier de la plantation, paternaliste, presque inchangé depuis 1848, mais qui n’allait pas tarder à s’effondrer sous les coups de la modernité.
Léandor, décrit la consternation des Martiniquais à l’annonce de l’effondrement de la « mère patrie » en 1940, l’accueil enthousiaste réservé d’abord à l’amiral Robert, la déception qui lui succède peu à peu, puis l’hostilité qui grandit, du fait, si on l’en croit des souffrances engendrées par l’extrême pénurie alimentaire, (pays de monoculture du sucre et de la banane, la Guadeloupe et la Martinique, eurent du mal à subsister par leurs propres moyens, et les USA, les soumirent à un dur blocus), mais aussi du fait de la dureté du pouvoir vychissois, et des exactions des marins de la royale ; de la collaboration enfin avec l’amiral, des planteurs békés, peints sans aménité, « autoritaires et racistes.
Raphaël Confiant, est un écrivain sobre, dépourvu de cette emphase intellectualisante, de ce goût du long et du gros qui caractérise à mon sens trop d’auteurs de ce mouvement de la créolité, et parmi les plus prisés dans certaines officines littéraires parisiennes. La dissidence est un livre de lecture agréable.
On pourra lui reprocher cependant ses partis pris politiques qui le font s’écarter par trop de la vérité historique, et sur trop de points.
Les positions politiques séparatistes de l’auteur, ne justifient point, à nos yeux, la caricature assez malveillante qu’il donne des békés, allant jusqu’à prétendre que dans les salons de ceux-ci trônait la photographie d’Hitler « ce personnage à la risible moustache » (p. 108). En fait, les blancs créoles, comme en France métropolitaine, furent d’abord maréchalistes, et sans doute le demeurèrent en majorité. Mais « hitlériens » ! ! A vouloir trop prouver….. ! Et que dire des membres de cette aristocratie, qui firent dissidence ? M. Confiant en évoque un, l’exception qui confirme la règle. Il n’en fut rien, et l’on se référera au témoignage émouvant et documenté de l’un d’entre eux Louis de Lucy de Fossarieu : au tome 2 de son Journal d’un béké : Ma dissidence (En temps Robè, 21 février- 6 août 19
L’amiral Robert ne fut pas non plus le personnage rabougri, mesquin, indifférent aux souffrances des gens, qu’on nous présente. De même qu’en Guadeloupe le gouverneur Constant Sorin. Ces hommes furent confrontés à la tâche redoutable d’avoir à faire survivre des populations sur des territoires exigus, non préparés à vivre du jour au lendemain coupés de la France métropolitaine. Il fallut du savoir-faire, de l’énergie, des méthodes adaptées aux temps difficiles, du doigté. Ils ne manquèrent point de ces qualités », et le souvenir que gardent les Antillais survivants de l’époque en témoigne, même s’il n’est pas toujours répercuté par les medias. L’amiral Robert eut encore la tâche difficile de préserver les îles des ambitions américaines, inspirées de la « doctrine de Monroe » (l’Amérique aux Américains, nulle puissance étrangère dans le pré carré déterminé dès 1823). Il faudrait lire à cet égard les mémoires de l’amiral La France aux Antilles (1939-1943), à condition qu’elles soient rééditées ( dernière édition : Calivran Anstalt, 1978), pour s’apercevoir, à quel point nos alliés, sous des prétextes divers s’intéressaient aux possessions françaises d’Amérique d’un point de vue annexionniste, et quel fût le talent réel de diplomate, de Georges Robert pour éviter le pire.
Raphaël Confiant exagère encore à notre avis le procédé qui lui tient à cœur de larder son texte, d’expressions créoles qui ne s’imposent pas absolument. L’intérêt d’écrire « l’en haut du morne » pour le sommet de la colline, ou un « péter-tête » pour un casse tête, ou encore la « défortune » pour l’infortune (pour ne citer que trois exemples sur des dizaines d’autres) n’est peut-être pas absolument évident. C’est que M. Confiant ne se veut pas un écrivain régionaliste. Il ne s’abandonne pas à de simples tics littéraires. Il applique les procédés qui sont recommandés par l’école dont il se revendique (cf Eloge de la créolité, par R. Confiant, P. Chamoiseau, et J. Bernabé).
Cette école se veut révolutionnaire, et initiatrice d’une utopie. Né d’une révolte contre « l’impérialisme de la langue française », le mouvement présente la créolité comme l’avenir du monde. « Le mouvement général du monde – appelé « mondialisation » ou « globalisation », et que nous préférons appeler créolisation ».(R. Confiant : Eloge de la diversité). L’auteur, préconise le retrait de la langue française comme norme (et d’ailleurs de toute norme), et préconise un Français comme l’Américain qui se concocte actuellement aux USA. Mais, le Français est en train de changer s’écrit Confiant. Et de se féliciter de la nouvelle langue qui se développe dans les banlieues : « ce français-Djamel (pour reprendre le nom du célèbre humoriste de Canal Plus) est en passe de supplanter le français populaire gaulois car il déborde les cités pour s’emparer des bouches et des esprits de toute la jeunesse française. Il fait bouger le français, il décrispe la norme, il retrouve la créativité, l’inventivité insolente du français pré-malherbien ».
Non dépourvu de talent M. Confiant ne fait cependant pas l’unanimité des créoles, et créolophones, dont fait partie l’auteur de cette recension. Il est l’un des membres marquants d’un courant culturel que l’on peut trouver inquiétant, mais à la confrontation duquel il ne faut pas se dérober, sauf à s’abandonner à Babel.
Edouard BOULOGNE
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(1)° Raphaël Confiant : La dissidence, Editions Ecriture .
(2) Amiral Georges Robert : La France aux Antilles, (1939-1943) Editions Califran Anstalt.
(3) Louis de Lucy de Fossarieu : Mon journal de béké, Ma dissidence.
(4) Abenon : Petite histoire de la Guadeloupe.
(5) On pourra aussi se reporter sur cette période de l'occupation, se reporter à mon livre Livre paroles , plus particulièrement aux chapitres intitulés Touvier, et Maurice Papon, qui insistent sur l'extrême complexité de cette époque, peu accessible aux esprits élémentaires ou malhonnêtes, ainsi qu'à mes deux lettres au Recteur de l'Académie de Guadeloupe, Alain Miossec, (ici même, sur ce blogue) concernant les inadmissibles mensonges historiques véhiculés par le site officiel de l'Académie de Guadeloupe sur l'ancien gouverneur de la Guadeloupe Constant Sorin.(Lettres ouvertes au Recteur Alain Miossec).