LA FRANCE AVAIT-ELLE LE DROIT DE REFUSER SON ESPACE AÉRIEN À UN CHEF D'ÉTAT ?

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NON. Et pourtant, elle l'a fait !

Evo Morales : La France avait-elle le droit de refuser son espace aérien à un chef d'Etat ? Non, mais elle ne risque pas grand-chose, à part la colère de la Bolivie.  

Photo : Morales reçu au Kremlin par Poutine 

Dans la nuit du mardi 2 au mercredi 3 juillet, la Bolivie a accusé plusieurs pays européens, dont la France, d’avoir refusé d’autoriser l’avion du président bolivien Evo Morales, qui revenait de Moscou, à survoler leurs territoires, obligeant l’appareil à atterrir à Vienne en Autriche.

 

La Paz affirme que la France, l’Italie, le Portugal et l’Espagne ont refusé que l’avion traverse leurs espaces aériens parce qu’ils craignaient qu’Edward Snowden, l’ancien agent du renseignement à l’origine des révélations autour des programmes de surveillance et d’espionnage américains, se trouve à bord, le tout sur fond de pressions de Washington.

Si la France a exprimé ses regrets pour les retards dans la confirmation de l'autorisation de survol de son territoire, plusieurs diplomates et responsables politiques sud-américains ont vivement critiqué l’incident et le comportement supposé des pays impliqués, estimant qu’il s’agissait d’une violation du droit international, et plus particulièrement des immunités qui protègent les chefs d’Etat.

Un pays a-t-il le droit de refuser à un chef d’Etat de survoler son territoire? En théorie non, mais il ne peut pas lui arriver grand-chose s’il le fait.

Libre circulation des diplomates

La Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, signée en 1961, détaille les principes de l’immunité dont jouissent les chefs de mission diplomatique, la plupart du temps les ambassadeurs, et les membres d’une mission diplomatique.

Ce texte, ratifié par 189 pays, précise notamment qu’un Etat qui accueille un diplomate étranger doit, sauf en cas de menace pour la sécurité nationale, lui assurer la liberté de déplacement et de circulation sur son territoire. Si cette obligation ne concerne que les chefs et membres de missions diplomatiques, il est généralement accepté que l’immunité qui leur est garantie en tant que représentants de leur Etat s’applique aussi aux chefs d’Etat, qui sont de facto à la tête de la diplomatie de leur pays.

Il existe toutefois des exceptions qui permettent à un pays de déclarer un chef d’Etat étranger persona non grata. La Suisse avait ainsi interdit dès octobre 2002 l’entrée sur son territoire au président irakien Saddam Hussein.

Le pays doit dans ce cas informer le chef d’Etat en question de son nouveau statut d’indésirable afin d’éviter qu’il ne s’y rende. De même, un Etat qui ne reconnaît pas un autre Etat n’a pas en théorie à accorder à son chef une quelconque immunité.

Pas de sanctions, sauf unilatérales

Evo Morales ne rentre évidemment pas dans ces deux exceptions: aucun des pays accusés de ne pas l’avoir accueilli dans son espace aérien ne l’a déclaré persona non grata et la Bolivie est reconnue par l’Union européenne.

Malgré les annonces de Sacha Llorenti, l’ambassadeur de la Bolivie aux Nations unies, qui a affirmé qu’il allait évoquer le sujet avec le secrétaire général Ban Ki-moon, un pays qui ne respecte pas la Convention de Vienne ne s’expose cependant à aucune sanction de la part de l’ONU, et risque simplement les représailles éventuelles du pays qui s’estime lésé. L’ambassade de France en Bolivie a d’ailleurs été la cible de jets de pierre et des drapeaux français ont été brûlés à La Paz ce mercredi.

Les violations de la Convention de Vienne, comme lors de la crise des otages américains en Iran en 1979, restent au final très rares, notamment parce que les pays ne veulent pas mettre leurs propres diplomates dans des situations délicates.

Grégoire Fleurot