La gentillesse est-elle dangereuse ?

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Renoncer à sa gentillesse de forme, ses mensonges accommodants,
jugements sécurisants ou bons sentiments comme autant de violence que
l’on s’inflige à soi-même et aux autres.
Cette hygiène mentale est la
clé de la paix intérieure et de relations gratifiantes auxquelles
Thomas d’Ansembourg nous convie “Cessez d’être gentil, soyez
vrai !”

Entretien avec Thomas d’Ansembourg. Les jugements de valeur parasitent nos observations, nos sentiments. Et font naître l’agressivité, explique cet ancien avocat. Son principe de vie : imposer paix et authenticité grâce à la communication non violente.

Thomas d’Ansembourg a été avocat, conseiller juridique et animateur d’une association de jeunes en difficulté.

 
Formé à différentes approches thérapeutiques, dont la méthode du docteur Marshall Rosenberg (la communication non violente), il vit en Belgique, anime des formations et organise des ateliers itinérants dans le désert du Sahara. “Cessez d’être gentil, soyez vrai !” est son premier livre (Editions de l’Homme, 255 p., 19 €.)
           

Sa méthode : l’apprentissage en quatre points de la communication non violente, enrichie par la maîtrise des mots.


Question : Un avocat manie parfaitement le verbe. Pourquoi avoir quitté cette profession ?


Thomas d’Ansembourg : C’est un verbe emprunt de violence, qui cherche à obtenir « gain de cause ». Marshall Rosenberg (1) m’a enseigné une communication fondée sur la compréhension de soi et de l’autre.

Cela m’a conduit à changer ma vie professionnelle. Aujourd’hui, quand je reçois un couple en crise, le but n’est pas de savoir qui a tort ou raison, mais de favoriser un dialogue authentique.

J’ai pris conscience qu’en ignorant mes besoins – de partage, d’amour, de créativité –, je me faisais violence. J’étais un avocat gentiment déprimé, et j’avais tendance à reporter cette violence sur les autres.

J’étais un célibataire paniqué par l’engagement, que j’assimilais au contrôle de l’autre sur moi. Je comblais ma solitude par l’hyperactivité. J’ai accepté d’identifier à quels besoins correspondait cette violence.

J’ai appris à les écouter, à les différencier, à prendre soin de moi, plutôt que de me plaindre du fait que personne ne s’en occupe. Cette énergie que je consacrais à la révolte et la nostalgie, je l’ai recentrée sur la transformation intérieure, la création et la relation. Je suis aujourd’hui marié et père comblé.

Et j’ai accepté que l’autre ait des besoins, que je ne suis pas seul à pouvoir satisfaire.

1- Docteur en psychologie clinique, ancien élève de Carl Rogers, il a développé la communication non violente.
       
   
Question : Qu’est-ce qui se joue dans la communication et, à l’inverse, quels en sont les freins ?


Thomas d’Ansembourg : Communiquer, c’est exprimer et recevoir pour établir une relation. A commencer par la relation que nous entretenons avec nous-même.

L’un des freins est que nous sommes – par éducation, habitude – coupés de nos sentiments et besoins réels, et que nous n’avons jamais acquis le vocabulaire pour les décrire avec précision.

Il en résulte une frustration, une violence intériorisée qui se paie un jour : timidité, dépression, doutes, indécision, difficulté à s’engager, perte du goût de vivre. Un autre frein est que nous nous épuisons à vouloir trop bien faire, par conformité, par manque de conscience de ce que nous vivons vraiment.

Et cette contrainte rejaillit dans tous les domaines : affectif, psychologique, moral, hiérarchique, institutionnel, etc. Une violence plus dangereuse que les coups, parce qu’elle n’est pas nommée.

Question - Qu’est-ce qui nous empêche de parler vrai ?


Thomas d’Ansembourg : Notre pensée, par conséquent notre conscience, est véhiculée par notre vocabulaire quotidien.
Nous avons le choix d’utiliser des mots qui rassemblent, proposent, réconcilient : « Je me sens démoralisé, perdu… J’ai besoin d’être rassuré » – aucun sous-entendu, ces mots n’engagent que moi.
Mais nous utilisons ceux qui divisent, jugent ou condamnent. « Je me sens abandonné, trahi, manipulé » – sous-entendu « Tu m’abandonnes, me trahis, me manipules. » Je propose de travailler sur notre conscience et notre langage pour les déparasiter de ce qui brouille la communication et génère la violence.
       
Question -  En quoi avez-vous enrichi la communication non violente ?

Thomas d’Ansembourg : A travers un processus clair et palpable, en quatre points qui dissocient les différents stades de la communication. L’observation (0) d’une situation suscite en nous des sentiments (S) qui nous renseignent sur nos besoins (B).

Ayant pris conscience de ceux-ci, nous pouvons enclencher une demande (D) ou une action concrète. C’est une approche « tout-terrain », qui marche avec soi, l’enfant, l’adolescent, le couple ou dans les rapports professionnels. J’insiste aussi sur un bon usage du vocabulaire.

Etre « découragé » ou « captivé » exprime des nuances plus justes et plus riches que « J’en ai marre » ou « C’est génial ! »

Question - Comment notre mental peut-il nuire à l’observation de la réalité ?

Thomas d’Ansembourg : Pour le philosophe indien Krisnamurti, distinguer l’observation d’un fait de son interprétation est l’un des stades les plus élevés de l’intelligence humaine.

Or, nous sommes moins en relation avec la réalité du fait qu’avec nos interprétations de cette réalité. Par besoin de sécurité, de nous situer, notre observation, nos sentiments, nos besoins sont parasités par les jugements. Je vois une femme en manteau de vison, je pense immédiatement : « Quelle bourgeoise ! »

Question - Est-ce pour ces raisons que les relations de couple sont guidées par la peur de ne pas être aimé plutôt que par la joie d’aimer ?

Thomas d’Ansembourg : Comme j’ai été éduqué pour être gentil, j’ai encodé le fait de faire plaisir à mon conjoint pour rester dans l’intégration affective. Mais je vis dans la peur parce que je n’ose pas être moi-même et dire : « Je ne suis pas d’accord à cause de ceci ou de cela. »
Je vis dans la peur de ne pas être conforme ou que l’autre ne soit pas conforme. Cela n’invite pas à des relations de confiance, de respect, d’autonomie. Il y a dans le couple une peur de se dire… Jusqu’au creux du lit.

Question : Préférez-vous un enfant vrai à un enfant gentil ?

Thomas d’Ansembourg : Je préférerais que mes deux filles deviennent vraies et généreuses. La vraie bonté avec elles, même si elles n’ont que 2 ans, c’est d’avoir des rapports francs, d’utiliser un vocabulaire d’adulte et de toujours favoriser leur compréhension au lieu du « C’est comme ça ! » Une attitude qui a le pouvoir surprenant de créer une connivence entre des enfants que vous respectez et qui vous respectent.
       
Question -  Peut-on être vrai tout le temps ?
Thomas d’Ansembourg : Ma copine Germaine m’invite à un barbecue. Je n’ai pas envie de voir des gens. Elle renouvelle son invitation. Vais-je inventer une histoire pour me tirer d’affaire, et ne pas la blesser ?
Je choisis la vérité : « Je suis libre (O), mais je suis partagé. Je suis touché de ton insistance et j’ai envie de te voir (S), mais j’ai vraiment besoin de rester seul ce week-end (B). Que dirais-tu d’un déjeuner avec moi cette semaine ? (D) » Germaine dispose d’éléments clairs lui permettant de me comprendre et de me répondre librement. C’est à ce prix que l’on se sent plus en paix et que l’on inspire le respect.


Question -  Comme Jacques Salomé, vous militez pour que la communication non violente soit enseignée dans les écoles. Etes-vous entendu ?


Thomas d’Ansembourg : Je suis entendu par les individus. Les instances officielles, qui se plaignent de la violence, ignorent encore cette démarche. Elle est aussi importante à apprendre qu’une langue étrangère ou l’informatique. Je commence cette année, en Belgique, des formations dans les écoles, et je ne désespère pas. La paix, c’est contagieux.
       
   
   
TECHNIQUE :
Les quatre principes de la communication non violente
1. Observer une situation, c’est en faire le constat neutre, sans jugement.
Ne dites pas : « Tu es en retard. C’est toujours pareil avec toi. »
Dites plutôt : « Nous avions rendez-vous à 8 heures. Il est 8 h 30. »
 
2. Identifier ses sentiments, c’est exprimer son propre ressenti.
Ne dites pas : « On ne peut jamais compter sur toi. »
Dites plutôt : « Je me sens fâché et inquiet. »
 
3. Le besoin qui en découle est également personnel.
Ne dites pas : « Tu ne pourrais pas faire un effort ? »
Dites plutôt : « J’ai besoin de comprendre ce qui se passe, de savoir si je peux à l’avenir compter sur toi. »
 
4. Formuler une demande, c’est offrir à l’autre la liberté de ne pas être d’accord et de créer un espace de négociation.
Ne dites pas : « La prochaine fois, je ne t’attendrai pas. »
Dites plutôt : « Es-tu d’accord pour m’en parler maintenant ? ».

Exemple : « J’avais “mordu” la ligne blanche. En un éclair, la vue du gendarme réactive en moi le cliché “autorité bête et méchante”. Je m’attends à “Vous êtes en infraction. L’amende est de 230 €.”
 
Le gendarme s’approche et me salue. “Monsieur, je suis très inquiet parce que j’ai en charge la sécurité des enfants à la sortie des écoles, et quand je vous vois passer sur la ligne blanche, je ne suis pas sûr que vous soyez conscient des risques pour eux.
 
Qu’en pensez-vous ?” Il avait observé sans me juger, me donnait son sentiment, m’indiquait son besoin et me demandait de lui faire part de ma réaction. Efficace non, pour renforcer ma vigilance ? »