Que ne ferait-on pas pour plaire et se reproduire ? Beaucoup d’espèces vivantes se posent la question, à commencer par une qui marche sur deux pattes, mais une famille de plantes a poussé l’art de l’attraction à son paroxysme : les orchidées. L’exemple le plus célèbre est celui de l’ophrys abeille, dont un des pétales poilus imite à s’y méprendre l’abdomen de la femelle de son insecte pollinisateur. Les mâles inexpérimentés s’y laissent prendre, d’autant que la fleur reproduit aussi les phéromones de la bestiole. En tentant, tout excités, de s’accoupler avec une pseudo-compagne, ils pollinisent l’orchidée. Autre exemple : plusieurs espèces du genre Bulbophyllum dégagent une répugnante odeur de viande pourrie qui fait venir à elles les mouches attirées d’ordinaire par les cadavres d’animaux. La gamme des stratagèmes de ces expertes ès mimétisme est large mais l’un des plus ingénieux était encore inconnu des chercheurs il y a peu.
C’est une équipe d’écologues allemands et israélien qui vient de le dévoiler dans une étude publiée dans les Proceedings of the Royal Society B. Ces scientifiques se sont intéressés de près au cas de l’orchidée Epipactis veratrifolia (voir photo au début de l’article), que l’on retrouve essentiellement au Proche et au Moyen-Orient. Un de ses pollinisateurs est le syrphe ceinturé, un insecte (présent aussi en France) qui ressemble à s’y méprendre à une guêpe mais ne possède pas de dard. La femelle du syrphe pond là où il y a des pucerons car ses larves s’en nourrissent, raison pour laquelle les jardiniers les apprécient particulièrement. Des chercheurs avaient déjà constaté que dame syrphe venait polliniser l’orchidée en y déposant ses œufs, alors même que les pucerons en étaient absents. Ils avaient pensé que l’insecte était abusé par les petites verrues sombres présentes sur la fleur, qu’il prenait pour des pucerons. La réalité est autrement plus subtile…
Pour en avoir le cœur net, nos écologues se sont intéressés aux composés volatils que fabrique Epipactis veratrifolia. Et ils se sont rendus compte qu’elle produisait les mêmes molécules que celles que dégagent les pucerons lorsqu’ils sont attaqués. D’une certaine manière, la plante tire le signal d’alarme chimique des pucerons, sans pucerons. Mais est-ce ce signal qui attire les pollinisateurs ? Afin de le savoir, les chercheurs ont placé des syrphes femelles fécondées près de plants de fèves, certains “parfumés” aux molécules produites par l’orchidée et d’autres pas. Le résultat a été plus que probant : les syrphes déposaient beaucoup plus d’œufs dans le premier cas que dans le second.
Cette orchidée a donc, pour attirer son pollinisateur, ou plutôt sa pollinisatrice, trompé son instinct maternel en reproduisant le signal d’alarme des pucerons dont se gavent ses petits. A l’arrivée, pourtant, les larves de syrphe ne trouvent rien à manger et meurent. Comme Epipactis veratrifolia n’offre pour ainsi dire pas de nectar à ses hôtes, le bénéfice que les syrphes tirent à sa pollinisation est quasiment nul, un phénomène rare et dangereux (pour l’orchidée) sur le plan évolutionniste. En général, la pollinisation relève du donnant-donnant (les économistes diraient que c’est un win-win deal et pas une escroquerie)… Les auteurs de l’étude se demandent par conséquent s’ils ne sont pas en présence d’un cas de pré-adaptation : la production des phéromones d’alarme pourrait bien, à l’origine, avoir eu pour seul but “de maintenir les pucerons à distance des précieux organes reproducteurs” de l’orchidée, en effrayant les petits insectes parasites. Par la suite, ces molécules auraient joué un rôle inattendu dans l’attraction des syrphes et leur fonction serait passée “de la défense de la plante à l’attraction des pollinisateurs”. Dans les faits, une fonction n’exclut pas l’autre : la fleur d’Epipactis veratrifolia est le plus souvent dépourvue de pucerons alors que tiges et feuilles sont régulièrement infestées. Si l’on peut joindre l’utile à l’utile…
Pierre Barthélémy in Slate.fr