MARTINIQUE : 10 ANS D’ETATS-GENERAUX (1999-2009)
Les élus de la Martinique participeront-ils aux Etats-généraux prévus au mois d’avril prochain parce que le Papa Blanc a sifflé la fin de la récréation ?
Accepteront-ils de tirer un trait sur 10 longues années de débats, rencontres, colloques et autres plénières des deux assemblées, de jeter aux oubliettes le « Projet Martinique », le SMDE (Schéma Martiniquais de Développement Martiniquais) et l’Agenda 21, et surtout de mettre un voile sur l’aboutissement de tout ce travail à savoir la décision prise par le Congrès de la Martinique, le 18 décembre 2008, de demander la création d’une collectivité unique dans le cadre de l’Article 74 de la constitution française ?
Nul ne le sait encore.
Mais rappelons que cette décision a été votée par 74% des élus du peuple et que revenir sur elle ou faire semblant de l’oublier en allant participer à la grand messe sarkozyenne serait rien moins qu’une trahison des règles les plus élémentaires de la démocratie tout autant qu’un aveu d’impuissance, voire d’inutilité. Ce serait aussi une véritable insulte jetée à la face des électeurs martiniquais, sauf à croire que ces derniers n’auraient pas voté en toute connaissance de cause ou qu’ils auraient voté Marie-Jeanne parce qu’il parle bien créole ou Claude Lise parce qu’il porte des costumes impeccablement taillés.
J’admets tout à fait qu’on puisse être contre les élections, mais ce n’est pas une raison pour prendre les électeurs pour des cons. D’ailleurs, ils sont tellement loin de l’être en Martinique qu’on peut même qualifier certains d’entre eux de compères Lapin (mais là c’est une autre histoire et nous y reviendrons dans un autre article).
Il faut donc que les élus martiniquais face preuve de dignité en boycottant « les Etats-généraux de l’Outre-mer ».
Et ce sera là l’occasion de rompre pour la première fois avec cette notion coloniale d’ « Outre-mer français ». Que les autres colonies participent si elles le veulent à ces états-généraux, c’est leur problème ! Qu’elles se complaisent dans le syndicalisme colonial dénoncé par Frantz Fanon dans « L’An V de la Révolution algérienne », c’est leur affaire ! Nous n’avons pas à nous aligner sur elles comme des moutons de Panurge. Nous, Martiniquais, n’avons pas attendu le Papa Blanc pour réfléchir à notre devenir et organiser nos propres états-généraux. Nous l’avons fait pendant 10 ans : entre 1999 et 2009.
Tout ce que nous attendons de monsieur le président de la République française, c’est qu’il respecte la volonté du peuple martiniquais en fixant la date de la consultation référendaire ainsi que les modalités de cette dernière. Point barre.
Rappelons, à toutes fins utiles, les différentes étapes de ces dix années d’états-généraux en reprenant ce qu’en dit Louis Boutrin dans son livre « Au-delà des discours—Une volonté pour le pays Martinique » (éditions Ibis Rouge, 2004). Mais auparavant, disons haut et fort que le peuple martiniquais a parfaitement le droit de tirer un trait sur tout ce travail et d’envisager un avenir différent. C’est son droit le plus absolu.
Mais qu’il le dise alors nettement lors des prochaines élections régionales de 2010 !
En attendant voici le (fastidieux) listing de tout ce qui a été fait :
. 10 décembre 1998 : le gouvernement socialiste confie à deux parlementaires, le sénateur martiniquais Claude Lise et le député réunionnais Michel Tamaya, une mission gouvernementale dans le cadre d’une lettre de mission stricte et balisée.
. 24 juin 1999 : le Rapport Lise/Tamaya est remis au gouvernement.
. 27 octobre 1999 : colloque en Martinique sur la coopération en présence du premier ministre Lionel Jospin. Même jour mais autre lieu, rassemblement d’indépendantistes à l’hôtel Victoria : Alfred Marie-Jeanne déchire le Rapport Lise/Tamaya devant les caméras de télévision.
. 1er décembre 1999—Guadeloupe : tel un séisme politique, la Déclaration de Basse-Terre vient réveiller les consciences. Les présidents des trois Régions de Guadeloupe, Guyane et Martinique signent un document où ils proposent au président de la République et au gouvernement une modification législative, voire constitutionnelle visant à créer un statut nouveau de Région d’Outre-Mer.
. 8 décembre 1999—Martinique : 800 personnes se réunissent à Madiana pour assister à la présentation faite par ses signataires. C’est le point de départ d’une série de réunions dont l’objectif est l’élaboration d’un projet pour la Martinique.
. 7 février 2000—Guyane : Déclaration de Cayenne. Trois délégations régionales conduites par les présidents des trois Régions décident de jeter les bases d’une nouvelle politique fiscale et sociale afin d’envisager le développement économique et de développer véritablement l’emploi.
. 2 décembre 2000 : Le projet Martinique est restitué au public. Les synthèses des ateliers sont débattues et des choix stratégiques sont proposés. La quasi-totalité des formations politiques sont présentes. Un consensus martiniquais semble se dégager autour de cette esquisse du projet Martinique.
. Six conseils généraux et régionaux, sur les huit que comptent les DOM, rejettent le projet de Loi d’orientation pour l’Outre-mer (LOOM). En Martinique, la LOOM est rejetée par le Conseil régional, adoptée par le Conseil général.
. 13 décembre 2000 : malgré cette désapprobation quasi-générale, la Loi d’orientation pour l’Outre-mer est votée par le gouvernement socialiste. Elle instaure le Congrès des élus départementaux et régionaux. L’Article 62 de cette LOOM prévoit une méthode d’évolution institutionnelle différenciée des DOM. L’intérêt de la méthode des socialistes est de partir d’une initiative locale et de prévoir ensuite sa validation par les seuls peuples concernés. Une fois ce projet local validé par les électeurs, le gouvernement socialiste proposait d’élaborer un nouveau cadre institutionnel afin de permettre à ce projet d’aboutir.
. 12 juin 2001 : les élus de Martinique se réunissent pour la première fois en congrès. 79 des 82 élus des deux collectivités sont présents. Il a été décidé de mettre en place une commission ad hoc chargée d’élaborer des propositions qui seront débattues lors du prochain Congrès.
. 20, 21, 23 février et 4 mars 2002 : 2è Congrès. Adoption par les élus de la Martinique de 10 résolutions. En fonction des rapports présentés au Congrès, 71% à 100% des élus sont favorables à ces résolutions. 5 motions dont celles portant sur la reconnaissance de l’existence du Peuple martiniquais et de la Nation martiniquaise sont majoritairement approuvées.
. 21 avril 2002 : élections présidentielles 1er tour. Lionel Jospin est éliminé de la course.
. 5 juin 2002 : élections présidentielles 2è tour, Jacques Chirac est élu avec 78% des suffrages. Malgré une forte abstention, la Martinique s’est mobilisée pour barrer la route à Le Pen : Chirac réalise 96% des suffrages exprimés (42,4%).
. juin 2002 : à l’issue des élections présidentielles, le processus s’est poursuivi avec un gouvernement de droite dont la ministre en charge de l’outre-mer n’est ni plus ni moins que l’ancienne conseillère de Jacques Chirac pour l’outre-mer. Mais changement de gouvernement oblige, la méthode proposée aux élus et à la population change : la droite propose un changement de la constitution avant d’envisager toute évolution statutaire ou institutionnelle. La population sera consultée…après la révision de la constitution.
. 15 janvier 2003—Martinique : réunion de la Commission de suivi des travaux du Congrès avec Brigitte Girardin, ministre de l’Outre-mer et Patrick Devedjian, ministre délégué aux Libertés locales. La synthèse des travaux et les résolutions du Congrès ont été remises en mains propres aux deux ministres.
. 28 mars—Versailles : députés et sénateurs se réunissent en Congrès pour réviser la Constitution de la Ve République et approfondir la décentralisation. Deux séries de dispositions de la Constitution révisée concernent les DOM. Celle du droit commun et celle spécifique à l’Outre-mer. Le nom de chacune des collectivités territoriales situées Outre-mer apparaît désormais dans la Constitution révisée. L’article 73 a été modifié et précise le régime législatif applicable aux collectivités territoriales départementales et régionales situées Outre-mer et les perspectives d’évolutions institutionnelles qui leur sont offertes par la Constitution.
. 10 avril 2003 : 3è Congrès. Suite aux observations formulées par la Ministre de l’Outre-Mer sur les propositions retenues lors des précédents congrès, les élus ont planché sur la validation des propositions et la suite du processus.
. 26 mai 2003—30 juin 2003 : visioconférences en préfecture entre Brigitte Girardin et une délégation du Congrès. L’objet de la discussion : le document d’orientation sur l’avenir institutionnel de la Martinique. Accord entre la ministre et les élus.
. 6 juillet 2003 : référendum en Corse. Les électeurs sont appelés à répondre par OUI ou par NON à une question précise : « Approuvez-vous les orientations proposées pour modifier l’organisation institutionnelle de la Corse par le statut de la collectivité territoriale de Corse, figurant en annexe de la loi n° 2003-486 du 10 juin 2002 ? ». Malgré l’engagement du Président de la République, du premier ministre, du Ministre de l’Intérieur et des nationalistes, le NON l’emporte à 51%.
. 9 juillet 2003 : le document d’orientation sur l’avenir institutionnel de la Martinique adopté à l’unanimité des membres de la Commission de suivi des travaux du Congrès et validé par les présidents C. Lise et A. Marie-Jeanne le 8 juillet 2003, est transmis à la ministre de l’Outre-mer.
. 29 octobre 2003 à Paris : promulgation par le président de la République du décret relatif à la consultation des électeurs de Martinique et de Guadeloupe.
. 7 décembre 2003 : pour la première fois de leur histoire, les électeurs de Martinique sont conviés aux urnes pour se prononcer sur l’éventualité d’une évolution institutionnelle : il leur est demandé d’approuver ou non un projet de création d’une collectivité unique en lieu et place du Conseil général et du Conseil régional. Le OUI est rejeté pour à peine 1.000 voix.
. 28 mars 2004—Elections régionales : Alfred Marie-Jeanne, à la tête d’une liste MIM-CNCP, obtient un véritable plébiscite : 74.860 voix. Du jamais vu en Martinique, même à l’époque d’Aimé Césaire. Il remporte ainsi 28 sièges sur les 41 que compte la Région.
. Mai 2006 : le Conseil régional lance l’élaboration d’un schéma, suivant une méthode prospective et participative, pour 20 ans. Il sera appelé SMDE (Schéma Martiniquais de Développement Economique). Six ans après le « Projet Martinique », le Conseil régional, face aux défis majeurs de l’avenir, souhaite poursuivre l’action coordonnée et concertée initiée pour le développement économique durable et solidaire de la Martinique. Le SMDE a été élaboré comme de véritables états-généraux avec de nombreux ateliers au sein desquels ont participé de nombreux membres de la société civile sur tous les thèmes permettant de bâtir une nouvelle société martiniquaise.
. Mai-juin 2006 : le Conseil général de la Martinique élabore l’Agenda 21 sur le même mode participatif.
. 21 février 2007 : vote de la Loi organique pour Saint-Martin et St-Barthélemy qui avaient voté massivement « OUI » pour l’autonomie, prévue dans l’Article 74, le 7 décembre 2003. Ces deux communes de la Guadeloupe sont érigées en Collectivités d’Outre-mer et obtiennent l’autonomie, des compétences et des pouvoirs nouveaux, sans perte des avantages sociaux acquis, ni lur qualité de RUP. St-Barth et St-Martin conservent donc l’acquis des fonds européens.
. 18 décembre 2007 : Elus Régionaux et Départementaux votent en assemblée commune la fusion synthétique du SMDE et de l’Agenda 21.
. 5 janvier 2008 : remise officielle du SMDE et Agenda 21 au Premier ministre, François Fillon, lors de sa visite en Martinique.
. 18 décembre 2008 : le Congrès des élus de la Martinique se réunit et, après une journée de débats publics, votre 3 résolutions :
1°. Le passage à un statut régi par l’article 74 pouvant aller jusqu’à l’Autonomie.
2°. La mise en place d’une Collectivité unique dotée d’une assemblée unique.
3°. L’assemblée sera élue au suffrage proportionnel. Elle sera composée de 75 sièges avec une bonification de 4 sièges pour la liste sortie en tête. Une Commission de suivi des travaux du Congrès de 20 membres est mise en place pour préparer la deuxième partie au cours de laquelle sera établie la liste des compétences et des pouvoirs dont le transfert devra être négocié avec le gouvernement. Une prochaine séance du Congrès devra se tenir dans les prochaines semaines pour valider les propositions de la Commission.
Pardon pour cette longue et peut-être fastidieuse énumération !
Ce rappel était nécessaire pour bien faire comprendre à certains que, contrairement à ce qu’ils racontent, les élus politiques martiniquais, les représentants d’associations les plus diverses et de certains syndicats, les représentants des socioprofessionnels n’ont pas chômé depuis 10 ans. Pour faire comprendre à d’autres que ce n’est pas la loi de la rue qui peut prétendre effacer tout cet important travail. 25.000 personnes ont défilé dans les rues en février, clament certains. Et alors ? Marie-Jeanne, par exemple, a fait 74.000 voix aux dernières élections régionales. Par simple soustraction, on constate que 50.000 personnes n’ont pas manifesté. Est-ce que leur opinion compte pour du beurre ? Seraient-elles des quantités négligeables ? D’autre part, la Martinique compte 400.000 habitants et 25.000 personnes ne peuvent pas prétendre dicter leur loi au reste de la population, quelle que soit, par ailleurs, la justesse de certaines (je dis bien « de certaines ») de leurs revendications.
Jusqu’à preuve du contraire, seules les élections expriment la volonté populaire, même si nul n’ignore les manipulations qui ont lieu à cette occasion. Le système électoral dit « bourgeois » est imparfait, c’est vrai, mais pour l’instant personne n’a encore trouvé mieux. Et là, il faut féliciter Hugo Chavez d’y recourir systématiquement ! Jamais un président en exercice n’a organisé autant de consultations que le président vénézuélien et quand il en perd certaines, il a le courage et l’honnêteté de reconnaître qu’il a été désavoué. Chose qui cloue le bec aux impérialistes occidentaux !
Donc si le peuple martiniquais veut tirer un trait sur ces 10 ans d’états-généraux, il en a parfaitement le droit. Il peut très bien, suite à l’euphorie de la grève générale de février entrevoir un avenir différent.