Des Antillais à l'Elysée
Au lendemain de l'élection de Barack Obama, une délégation d'Antillais a été reçue par Nicolas Sarkozy. Nous vous transmettons, in extenso, la déclaration que cette délégation a fait parvenir à notre rédaction.
Photo Copyright P.KARAM
DÉCLARATION DE LA DÉLÉGATION ANTILLAISE RECUE LE 13 NOVEMBRE
PAR LA PRÉSIDENCE DE LA RÉPUBLIQUE
13 Novembre 2008
UNE IDENTITÉ RÉPUBLICAINE PLURIELLE, MAIS NONRACIALISÉE
Aux difficultés liées aux discriminations et au racisme existant dans la société française, il semble émerger comme solution une conception racialisée de notre société.
Aujourd’hui, il est fait état de la couleurde la peau des citoyens de ce pays dans la presse sans que cela ne choque grand monde.
Nous sommes stupéfaits de constater la banalisation de la caractérisation des populations d’origine africaine et antillaise selon une supposée couleur noire de la peau.
On parle aujourd'hui de Préfet noir, de ministre noir. Subrepticement, cette conception raciale de la société s’infiltre dans les lieux d’influence et semble même atteindre les plus hauts sommets de l’État.
En particulier, nous sommes scandalisés qu’une organisation qui se présente comme rassemblant des Français noirs puisse avoir pignon sur rue dans les médias et soit reçue dans les plus hauts lieux de la République.
Nous affirmons que si la discrimination liée à la couleur de la peau persiste en France, c’est que les dispositions antiracistes ne sont pas assez efficaces et qu’il faut les renforcer, en particulier bien comprendre que le racisme antinègre en France est le fruit de toute une histoire.
Mais, la banalisation de la racialisation du langage dans notre société risque d’augmenter les clivages au sein de la République et d’accélérer, quoiqu’on s’en défende, le risque d’un communautarisme noir avec toutes les conséquences que cela générera.
Ce n’est pas l’accession à des postes de responsabilité d’une élite d’origine africaine ou antillaise, même si cela est indispensable, qui évitera les révoltes et la marginalisation des jeunes français originaires d’Afrique.
Bien au contraire, cette banalisation du langage « racial » renforcera chez ces jeunes, la légitimité d’une identité basée sur la couleur de la peau chargée de ressentiment envers la République.
N’entendons-nous pas ces jeunes adopter une pseudo identité de descendants d’esclaves, identité chargée de ressentiments?
Nous sommes par ailleurs surpris des conceptions profondément conservatrices d’intellectuels sur la question des identitésmultiples de la France.
C’est ce qu’illustre par exemple le récent rapport Kaspi
dont les propositions - 3 commémorations nationales - tendent à vouloir brider l’épanouissement et le développement desidentités différentes existant dans le peuple de France au détriment d’une identité qui se voudrait unique.
Il semble donc se dégager une conception de la France acceptant la catégorisation de sa population selon de la couleur de la peau, mais qui refuserait son identité multiple.
Pour ce qui nous concerne, ressortissants des DOM vivant en métropole, nous qui savons ce que signifie (par notre histoire) le désastre sociétal d’une racialisation de la société, nous qui nous battons pour la reconnaissance de nosidentités spécifiques, nous sommes très inquiets de l’évolution actuelle de la société française.
Cette évolution ne permettra pas d’accélérer la nécessaire insertion des Antillais, Guyanais et Réunionnais vivant en France hexagonale. Nous trouvons inacceptable la désignation des Antillais comme Noirs de France.
Nous tenons à dire au Président de la République que nous refusons cette désignation et nous ne nous reconnaissons pas dans une France racialisée.
Nous sommes au contraire convaincus que la République doit accepter la mémoire et l’identité multiple du peuple de France comme outil d’intégration. Il faut, au contraire de ce qui est proposé, faire cohabiter,pour mieux les pacifier, les mémoires et les identités de façon à pouvoir intégrer au sein de laRépublique ceux qui les portent, et ce, surtout lorsqu’elles sont douloureuses.
C’est, nous semble-t-il,le chemin qu’a ouvert le Président de la République en officialisant le 23 mai comme journée en mémoire des victimes de l’esclavage.
S’il faut, pour favoriser l’intégration, renforcer le dispositif antiraciste et assurer la visibilité de la diversité, il est tout aussi important de permettre la mise en place de dispositifs spécifiques liés aux particularités sociohistoriques des différents groupes quiconstituent aujourd’hui le peuple de France.
Il y a des dispositifs que l’État ne peut être le seul à assumer. Il a besoin de médiateurs se trouvant dans les différents groupes pour assurer le succès de ces dispositifs.
POUR UNE MEILLEURE INSERTION DES ORIGINAIRES DES DOM AU SEIN DE LA RÉPUBLIQUE
Très concrètement pour ce qui concerne le monde antillais guyanais et réunionnais vivant en France hexagonale, ce n’est pas la prise en considération de la couleur de peau des populations originaires d'outre-mer qui permettra une meilleure intégration de cette population au sein de la République, mais la prise en considération des difficultés liées à leur construction sociohistorique et aux rapports qui ont existé ou qui existent encore avec la Nation.
Un certain nombre d’exemples serviront à illustrer nospropos.
L’AIDE AUX FAMILLES MATRIFOCALES : LA CREATION DU CENTRE D’AIDE AUX FAMILLES MATRIFOCALES ETMONOPARENTALES
La première grande difficulté qui freine l’accession des Antillais à une citoyenneté pleine et entière tient à l’existence de dysfonctionnements familiaux liés à la matrifocalité antillaise.
Fondée dans et du fait de l’esclavage colonial, la matrifocalité antillaise se caractérise par la place centrale qu'occupe la mère au sein du foyer, par l’absence d’un époux ou d’un concubin stable, aux difficultés des hommes à être des pères (même dans des situations de foyers nucléaires).
Dans les pays d’origine, la mère, chef de famille, assume l’éducation des enfants avec l’aide de leur grand-mère, de leurs tantes et oncles, ou tout membre de sa famille resté proche. En France hexagonale, ce système est mis à mal par l’absence de la famille proche.
De ce fait, les familles antillaises sont aujourd’hui en grande difficulté. En particulier il y a usure des mères antillaises et risque d’échec scolaire des jeunes et de l’ascenseur social. Absents des émeutes des banlieues en décembre 2005, nous ne souhaitons pas voir nos jeunes grossir les rangs de ceux qui entrent en guerre contre la République.
Après 10 ans de travail sur la matrifocalité antillaise (plusieurs centaines de groupes de paroles), nous sommes aujourd’hui en mesure de créer le premier Centre d’Aide au FAmilles Matrifocales etMonoparentales (CAFAM). Ce centre sera le lieu de la prise en charge des difficultés des familles originaires des DOM.
Il aura comme mission d‘éviter la marginalisation de la jeunesse d’origine antillaise, guyanaise et réunionnaise.
Promouvoir un tel centre signifierait que le gouvernement prend la mesure des dysfonctionnements familiaux hérités de l’esclavage. Ce qui n’a pas pu être réalisé en 1848 pourra l’être en 2008.
LE RESPECT DE L’IDENTITEDES ORIGINAIRES D’OUTRE-MER
L’insertion de la mémoiredes descendants d’esclaves au sein de la république
Une partie importante despopulations d’outre-mer a une identité liée à leur fabrication dans l’esclavage colonial.
Ces populations tiennent à ce que la République honore la mémoire de leurs parents qui ont été desvictimes de ce crime contre l’Humanité.
Elles tiennent à dire que leur insertion complète nepourra se réaliser que si la République accepte leur mémoire spécifique et leur identité. C'est pourquoi nous nous sommes réjouis de la décision du Président de la République de faire du 23 mai, la dateà laquelle les Français descendants d’esclaves honorent leurs aïeux.
Compte tenu des récentes prisesdéclarations sur les lois mémorielles et parce que le 23 mai ne dépend que d’une circulaire, nous souhaitons que cette date soit sécurisée.
En particulier, nous souhaitons que l’État participe enpartie de la cérémonie principale du 23 mai qui se déroule à Paris et que le délégué interministériel ainsi que le ministre des DOM-TOM y soient présents.
Nous y verrons un signe de respect pour nosaïeux. Les autres questions liées à la préservation de la culture.
Nous savons que le délégué inter ministériel, Patrick KARAM, est extrêmement attentif aux questions concernant le développement de la pratique de la langue créole à l’école et à la facilitation des séjours des originaires d’outre-mer dans leur pays d’origine. Il est très important que ces initiatives puissent aboutir.
LA QUESTION DE LEURREPRESENTATION DANS LES PARTIS POLITIQUES ET DANS LES MEDIAS
a) Dans les partis politiques : de nombreux exemples existent qui montrent les barrières existantes dans les partis politiques qui bloquent la promotion d’originaires d’outre-mer ayant du talent à des postes de responsabilités dans les partis politiques.
Ces discriminations sont inadmissibles. Nous ne défendons pas l’existence de quotas dans les partis politiques. Nous défendons le principe d’égalité qui dit
« qu’à compétence égale, les chances doivent être égales ». Mais nous tenons à faire remarquer que de façon générale, la population originaire d’outre-mer a une participation faible à la vie citoyenne, que ce soit par sa participation au vote lors des élections municipales ou autres que ce soit dans les syndicats ou dans les associations de parents d’élèves.
Ceci illustre une fois de plus les difficultés citoyennes de nos compatriotes qui ne sauraient être réglées sans la prise en charge des problèmes ci-dessus évoqués.
b) Dans les médias et en particulier dans France O. France O est le symbole de la visibilité de l’outre-mer. N’y a-t-il personne en outre-mer qui puisse être le patron de cette structure ? Il y a un profond sentiment d’injustice qui remonte des originaires d’outre-mer travaillants dans cettestation. De nombreux professionnels ont fait leur preuve et ne sont pas aux commandes.
Comment comprendre qu’un professionnel comme M. Luc Laventure, martiniquais, chef d’antennes de France Ô depuis de nombreuses années ne soit pas aux commandes de cette station. Nous sommes nombreux à être surpris que des journalistes de talents tels Alex URI, Guadeloupéen d’origine, ou Sulliman BANIAN, Réunionnais d’origine, ne puissent accéder à des postes de directeur de l’information et de rédacteur en chef.
LA PERENNISATION DE LADELEGATION A L’EGALITE DES CHANCES DES ORIGINAIRES DES DEPARTEMENTS D’OUTRE-MER
La création, après l’élection présidentielle, de la délégation interministérielle à l’égalité des chances des Français d’outre-mer est considérée par nos concitoyens originaires de l’outre-mer comme la reconnaissance de l’existence du monde originaire des DOM dans l’hexagone.
Depuis sa création, lesassociations des originaires des DOM ont apprécié l’important travail effectué par le délégué, Patrick KARAM.
Nous souhaitons que cette délégation perdure et que ses moyens soient renforcés en particulier qu’elle puisse veiller à la promotion des originaires d’outre-mer selon leur compétence dans les administrations publiques. Cette délégation a effectué un travail remarquable sur les questions relatives à la mémoire, à la formation des associations des originaires d’outre-mer, sur l’enseignement ducréole.
Je tiens en tant que médecin à l’encourager dans le travail fait sur la prise en charge de ladrépanocytose dont un nombre important de malades sont originaires de l’outre-mer et dont les conditions de prise en charge sont scandaleuses (il y a environ près de 10.000 malades contre 5.000 pourla mucoviscidose).
En conclusion, il nous semble urgent que le Président de la République donne à la Nation sa vision de la lutte contre le racisme et les solutions qu’il souhaite prendre pour y remédier.
En particulier, nous souhaitons qu’il exprime sa vision sur l’identité française, la question de sa racialisation ainsi que sur la question desdifférentes identités qui composent aujourd’hui notre pays.
En particulier, nous proposons qu’il crée un Conseil Supérieur de la Diversité qui aurait pour objet d’élaborer et de suivre la mise en œuvre d’une politique française de la diversité visant à faire toute leur place aux différentes composantes de la population française qui, à un titre ou un autre, sont aujourd’hui marginalisées.
Monsieur Serge ROMANA, Président du CM98
Monsieur Pierre PLUTON, Président de l’AMEDOM
Monsieur Daniel DALIN, Président du Collectif DOM
Maître Jean-Claude BEAUJOUR
Madame Jacqueline PAVILLA
Monsieur René SILO
Contact : Laurence Mauray– Chargée de communication du CM98
Tel : 06 14 88 80 38 - E-mail :communication@cm98.org