par Raphaël Confiant.
Les élections terminées, il est temps de pointer du doigt un mal récurrent qui frappe la Martinique, depuis que le droit de vote a été accordé aux gens de couleur au 19è siècle, à savoir le fait qu’on ne puisse pas être élu dans une commune si l’on n’y est pas né.
Au Lamentin, par exemple, il faut, comme disent les natifs de l’endroit, « avoir bu l’eau du Longvilliers ».
Il s’agit d’une petite rivière, petite cousine de la Lézarde immortalisée par Edouard Glissant, jadis jolie, dans laquelle on pouvait s’abreuver et se baigner sans risque et qui aujourd’hui, n’est plus qu’un infâme cloaque.
Chose qui a permis au candidat du MIM (Mouvement Indépendantiste Martiniquais) aux municipales du Lamentin, Daniel Marie-Sainte, non-natif de l’endroit, d’ironiser en disant que de nos jours, il ne fallait surtout pas boire l’eau du Longvilliers. Chaque commune a ainsi son lieu symbolique, son haut-fait, qui authentifie ses habitants comme « authentiques ».
Il n’y a qu’à Fort-de-France que cette règle d’airain ne fonctionne pas car elle a 100.000 habitants. Nous avons pris l’exemple du Lamentin exprès, car avec 40.000 habitants, c’est la deuxième ville de
A quoi attribuer ce micro-localisme et quelles en sont les conséquences au plan politique ?
D’abord, nous semble-t-il à la densité de population. Passé 50.000 habitants, il est très difficile de « faire famille », de faire corps et plus personne ne connaît personne. Les liens symboliques avec la terre, la rivière ou la mer sont rompus. On entre dans l’anonymat de la grande ville. Cet anonymat favorise n’importe quelle candidature car on ne s’intéressera pas à votre lieu de naissance. Aimé Césaire, natif de Basse-Pointe, a été ainsi maire de Fort-de-France pendant 50 ans.
Deuxième raison : les liens familiaux, voire tribaux, sont plus puissants dans une commune de 3.500 habitants comme le Carbet que dans une ville comme Fort-de-France. Ces liens tribaux brouillent les clivages politiques car si tel cousin peut être « de Droite », tel autre cousin « de Gauche » ou le beau-frère « indépendantiste », ces beaux positionnements politiques volent en éclats une fois la campagne municipale ou cantonale commencée. A partir de ce moment-là, ce sont les liens familiaux qui prédominent ! En fait, l’électeur adopte un double comportement :
. aux législatives (qui couvrent toute une circonscription) : il vote selon ses convictions politiques.
. aux cantonales et municipales : il vote selon ses accointances familiales.
J’ai pu observer ainsi la campagne de Louis Boutrin sur le Carbet (Nord-Caraïbe de la Martinique), commune de 3.500 habitants justement. Ses trois autres adversaires, notamment le maire en place, se sont déchaînés contre lui au motif qu’il n’était pas Carbétien. Le maire, aujourd’hui battu, avait même déclaré à « France-Antilles » :
« Je suis un Carbétien de race, de sang et de terre ! »
On aurait cru entendre Le Pen ! Or, Boutrin est-il un Métro, un Africain ou un Haïtien ? Non ! Boutrin est Martiniquais tout ce qu’il y a de plus Martiniquais. Serait-il alors natif du Vauclin ou de Saint-Anne, à l’extrême-sud de la Martinique, c’est-à-dire à 70kms du Carbet ? Que non ! Sa famille est originaire du Carbet, même si lui est né à Fort-de-France, et avant qu’il ne déclare sa candidature, le maire en place avait même le projet de baptiser le collège du Carbet du nom d’André Boutrin, oncle aujourd’hui décédé de Louis Boutrin, qui a été un grand éducateur du peuple dans la commune. D’ailleurs, une rue du Carbet s’appelle « rue André Boutrin » !
On le voit donc ce micro-localisme se déchaîne contre non seulement un Martiniquais bon teint, mais contre un Martiniquais dont la souche familiale se trouve dans la commune ! Tout cela parce que lui n’est pas né dans cette commune ! Malgré, l’emploi ad nauseam de cet argument, Louis Boutrin a fait près de 14% des voix aux municipales et s’est retrouvé au second tour. Si on élargit la question, on se rend compte qu’il est impossible à un Martiniquais de se présenter aux élections en Guadeloupe et à un Guadeloupéen d’en faire de même en Martinique. Sauf exceptions rares comme quand Gérard Beaujour, Guadeloupéen, mena la liste de « Combat Ouvrier » aux élections régionales de la Martinique il y a une quinzaine d’années et fit un score étonnant. Ou quand Lucette Micheaux-Chevry se fit remplacer à la tête de la mairie de Basse-Terre par un Martiniquais, très âgé, lequel, il est vrai, vivait en Guadeloupe depuis 40 ans.
Or, suffit-il d’être né en un endroit pour être mieux placé que ceux qui n’y sont pas nés pour gérer ledit endroit ? Le fait d’habiter quelque part et de se dévouer pour ce quelque part ne devrait-il pas donner la possibilité à tout un chacun de candidater ? Compétence et dévouement ne devraient-ils pas être les critères premiers en matière de gestion municipale ? La question est posée…
En tout cas, les mêmes imbéciles qui accusaient Louis Boutrin de n’être pas Carbétien furent les premiers à applaudir lorsque la Martiniquaise Ramin fut nommée ministre dans le gouvernement…norvégien.
Et si les Norvégiens avaient appliqué la même règle tribale ?
R. Confiant