"LE TEMPS DE LA RUPTURE" DISCOURS DE CLÔTURE DE LOUIS BOUTRIN

me.boutrin.20nov11.jpgDiscours de Clôture 
de Louis BOUTRIN

Le temps de la rupture

 

Mes Chers (es) amis (es)

Chers (es) militants (es) 


C’est donc ici, à Tivoli, qu’il me revient la lourde tâche de clore  nos travaux d’aujourd’hui. Temps fort de notre rentrée politique, ce discours est le moment d'expression de notre ligne et de nos orientations politiques. 


Ce discours est aussi l'occasion privilégiée de vous éclairer objectivement sur la situation du pays,  en  faisant jouer notre esprit critique.


Car mes chers (es) amis (es), au nom de la liberté d’expression et du pluralisme des opinions politiques, au moment même où les thuriféraires de la pensée unique  tentent de mettre le pays  tout entier sous cloche,  nous devons prendre part, de manière constructive, à la relance du débat d'idées.


Fin octobre dernier déjà, des voix se sont élevées pour adresser au Président de Région une mise en demeure sous la forme d’un vibrant « SOS Martinique en Panne ». 

Aujourd’hui, il convient d’aller plus loin dans l’analyse car la Martinique n’est pas seulement un pays en panne économiquement, elle est gravement menacée. Menace  économique avec ses conséquences sociales, menace écologique qui hypothèque l’avenir, enfin menace politique qui met en péril l’héritage démocratique laissé par nos aînés. 

Devant un tel chaos, il est urgent que des stratégies soient conçues de manière collégiale et  exécutées de manière concrète. Au lieu de cela, on assiste à un décalage évident entre les discours médiatiques servis quotidiennement et les actions concrètes mises en œuvre.

Un triple décalage

* Décalage entre le discours et le désastre économique

 

* Décalage entre le discours et la menace écologique

 

* Décalage entre le discours et l'omerta politique 


  • 1. Décalage entre le discours et le désastre économique :  

Ce n’est un secret pour personne, la crise financière des subprimes partie des Etats-Unis en 2008 a  entrainé un effondrement  des principales places boursières dans le sillage de Wall Street. Aggravée par l’ampleur des déficits budgétaires et de la dette publique, cette crise financière s’est étendue à l’économie mondiale et frappe tout particulièrement les états européens contraints à des mesures d’austérité impopulaires..

Cette crise s'est doublée en 2009 de la crise sociale, laissant notre pays enlisé dans  un marasme économique et social qui perdure aujourd'hui. Seule la Région Martinique, avec son triple A parvenait à maintenir la tête hors de l’eau.  

C'est dire l'obligation pour nous de rentrer dans une logique qui préserve notre capacité d'investissement pour continuer à accompagner les initiatives publiques et privées

Au lieu de cela, et plus de 20 ans après l’expérience malheureuse de la présidence de Camille Darsières (1 Milliard 200 millions de dettes et autant de déficit), malgré le contexte de crise économique, l'équipe en place s'engage dans une voie sans issue en mettant à mal une capacité d'épargne péniblement reconstituée sous l'ancienne mandature. Comme par le passé, les dépenses somptuaires (location de 2 étages de l’immeuble de la Pointe Simon pour 65 000 €/mois, Transat Benodet-FDF, Maison de la Martinique quartier de l’Opéra à Paris) et les recrutements clientélistes refont surface. 

Dans le même temps, le Plan de Relance Régional annoncé comme stimulant de l’économie a accouché d'un saupoudrage d’investissements dans de petits chantiers communaux, sans aucun nouveau projet structurant pour relancer véritablement la commande publique et doper le BTP. Malgré les promesses faites aux élus régionaux d’une présentation des projets avec  plan de financement bouclé, c’est l’opacité la plus totale. C’est à travers les  médias que nous autres élus régionaux, que nous sommes informés des 2006 emplois…« générés » par ce PPR. Pas de transparence, pas de débat contradictoire, c’est la voie royale pour la magie des chiffres-maison et   l’autosatisfaction aveugle.

Et, en dépit des discours, malgré l'illusion de la refonte des dispositifs d'aide, les chiffres du dernier bilan de l’IDEOM relatifs à l’économie de la  Martinique nous révèlent une toute autre réalité : essoufflement de l’économie, « dégringolage » de la Martinique par rapport aux autres D.O.M., prévisionnel d’investissement des entreprises à la baisse, hausse de 3,1% du nombre de demandeurs d’emploi de  catégorie A pour atteindre le chiffre record de 41 960. 

L’exemple du tourisme, présenté comme le moteur de notre économie, est à ce titre très significatif :

  • En 2011, le taux d’occupation des hôtels a littéralement  chuté : il a atteint 48 % alors qu’en juillet 2009, soit 5 mois après la crise sociale, ce taux d’occupation était de 60 %.
  • Pire, l’évolution de la fréquentation du tourisme de croisière devient de plus en plus inquiétante au moment même où le secteur croisière connaît une embellie chez nos voisins de la Caraïbe. De plus de 50 000 visiteurs durant ces dernières années, la croisière est en train de couler inexorablement : 19 614 soit le pire chiffre de ces 30 dernières années. 

Avouez, chers amis, qu’avec de tels résultats, la présidente du CMT, grande spécialiste de la croisière, méritait bien une Médaille de bronze …du Tourisme !

Quant aux prix à la consommation, ils progressent de 2,2% fin août 2011 et le nombre de dossiers de surendettement des ménages ne cesse de s’accroître, + 32 % pour la seule année 2010.

Parallèlement à ce constat, le pays s’installe dans une crise sociétale durable. Augmentation de la violence, de l’insécurité, des vols et de la délinquance. Les conditions de l’explosion sociale sont donc réunies et il n’est pas à craindre, par ricochet, une aggravation de la dégradation de notre situation économique et sociale.

 Mais faisant fi de tout cela, la situation nous est présentée de manière idyllique, comme pour justifier les dérives d'ores et déjà constatées dans le budget de fonctionnement. Alors que, partout ailleurs, on rentre dans des logiques de rigueur budgétaire. Le cas de la faillite de la Grèce est à ce titre très éloquant. La France elle-même s'est imposée une purge au lendemain du G20. Objectif : 7 à 8 milliards d’économie supplémentaire, redressement du taux de la TVA, retraite à 62 ans, gel des salaires des fonctionnaires, augmentation des impôts… un train de mesures d’austérité pour éviter la faillite de l’Etat due, en grande partie, aux déficits publics chroniques. 

S'agissant de la Martinique, dès mars 2010, nous avions alerté l’opinion publique martiniquaise sur les conséquences de l’aggravation de la dette publique de nos Collectivités locales. Beaucoup de nos Collectivités, à l’instar de l’Etat, ont fait de la culture du déficit public l’alpha et l’omega de leur politique budgétaire. 

Notre plaidoyer pour la maîtrise des dépenses publiques et une gestion plus rationnelle prennent aujourd'hui tout leur sens et constituent la charpente de nos orientations stratégiques dans la perspective  de la Collectivité Unique. 

Il s'agit en effet de se préserver les moyens d'assurer la reprise économique et l'équité sociale, dans toutes les zones dans notre Pays.


2. Décalage entre le discours et la menace écologique : 

La Martinique vit actuellement une situation écologique d'autant plus pathétique que le discours de la majorité au pouvoir est, là aussi, en rupture totale avec les mesures effectives :

  • En 10 ans, la Martinique a perdu 22 % de terre agricole. Devant la pénurie du foncier agricole, les jeunes agriculteurs lancent  un cri de désespoir dans un silence assourdissant des autorités politiques. Les maires de leur côté, s’entêtent à délivrer des permis de construire sur des terres AOC. Dans le même temps, et de manière précipitée, il nous a été vendu un Établissement Public Foncier Local, qui existe bien sur le papier mais dont l'opérationnalité tarde encore, alors que tant reste à faire dans le cadre de la politique agricole ou de celle du logement.
  • Toujours en grande pompe médiatique, moratoire et motion ont été adoptés contre  la spéculation autour des centrales photovoltaïques. Dans le même temps, continuent à émerger des « fermes », notamment sur le territoire de ceux-là mêmes qui ont voté ces moratoires et motions.
  • Dépeuplement de certaines communes du Grand Nord ce qui accentue la fracture territoriale et l’exclusion d’une partie de la population
  • Retard dans les politiques de logements sociaux malgré les conventions signées avec l’Etat pour le financement de ces logements. Nous profitons de cette occasion pour rappeler notre position favorable au développement des logements sociaux… à condition bien sûr de ne pas sacrifier nos terres agricoles et nos sites patrimoniaux et de ne pas exposer la population en autorisant des constructions dans les zones à risques.
  • Le secteur pêche est durement touché par la contamination au Chlordécone,   33% du littoral est interdit à la pêche, sans que cela émeuve outre mesure l'équipe au pouvoir. A Cause de cette pollution aux pesticides organochlorés, un arrêté préfectoral du 10 octobre 2010, interdit la pêche dans les fonds de baie du Robert, de Galion (Trinité) mais aussi la Baie de Fort de France déjà fortement contaminée par la très forte pollution aux métaux lourds. C’est là encore une des conséquences de la mauvaise gestion passée de la décharge de la Trompeuse où 300 Tonnes d’ordures /jour /décennies ont contribué à aggraver. Triste héritage !
  • Le positionnement non clairement énoncé sur l’interdiction de l’épandage aérien en dit long sur l'absence de ligne précise sur le sujet
  • Les mesures de prévention du risque sismique et sur la réduction de la vulnérabilité du  bâti dans les zones à risques ont pris du recul par rapport à ce qui était engagé sous l'ancienne mandature. L’exemple de la reconstruction du Lycée Schoelcher est à ce titre très édifiant.

         Devant un tel marasme écologique, il nous faut conquérir les leviers pour une meilleure défense de nos richesses naturelles.

     

3. Décalage entre le discours et l'omerta politique :

Le 24 janvier 2010, la Martinique a opté pour son inscription dans l'article 73 de la Constitution Française, faisant de fait le choix d'une Collectivité Unique relevant du droit commun français.


Il nous faut donc être vigilant et veiller au respect de ce choix. Il nous faut d'autant plus être vigilant que depuis janvier 2010, un seul clan s’est accaparé les principaux leviers politiques du pays alors qu’il n’est pas majoritaire auprès des électeurs martiniquais. Pour mémoire, la liste conduite par le Président du PPM n’a recueilli que 48% des suffrages lors des dernières élections régionales du 14 mars 2010. La représentation de ce parti au sein des assemblées ne correspond donc pas au pays réel.

Mais pire, après la prise du pouvoir par la liste conduite par le Président du PPM, la prise du Conseil Général à l’issue d’obscures tractations, la mise sous cloche des sénateurs et du Président de l’Association des Maires ont conforté l' hégémonie d'un seul parti sur la scène politique martiniquaise.


C'est dire l'attention que nous devrons porter lors de la validation des  options pour la Collectivité Unique. 

Car sur ce sujet aussi stratégique pour l'avenir de notre Pays, il semble y avoir une OPA. Aucune concertation, aucune amorce de dialogue....sauf si tout cela est mené en catimini.


Et pourtant, les enjeux sont de taille.

Je veux parler  de l'organisation administrative et fonctionnelle de cette Collectivité Unique. 

Mais je veux  surtout vous sensibiliser sur le  choix que nous devrons opérer pour doter notre pays, d'un minimum de leviers susceptibles, d'habilitations pour  assurer un développement économique, social, environnemental plus harmonieux.


Un véritable débat, ouvert et transparent, doit être mené pour identifier ensemble, dans le cadre choisi par les Martiniquais,  les compétences à conquérir encore. C'est ici que le débat institutionnel, loin d'être mort et enterré, doit reprendre toute sa place.


Quelles perspectives pour la Martinique ?

C’est donc l’occasion de vous parler officiellement de notre projet de Manifeste pour un développement soutenable, manifeste qui devra nous servir, de boussole pour mieux identifier les pistes à défricher, notamment, ces habilitations à revendiquer.

Oui, à Martinique-Ecologie, nous travaillons, à l’ombre des projecteurs, à l’élaboration d’un projet de développement cohérent qui intègre la problématique de l’aménagement du territoire et les politiques de développement économique et social, les politiques de protection et de mise en valeur de notre patrimoine naturel, les politiques de transports publics et la prise en compte des risques naturels et technologiques. Nous travaillons en effet, par des forums organisés sur l'ensemble du territoire, à repérer les outils jugés nécessaires pour mettre en œuvre cet ambitieux programme.

Mais l'élaboration puis la mise en œuvre d'un tel projet suppose des ruptures avec les pratiques politiciennes actuelles fondées sur le clientélisme, où l’intérêt général est sacrifié sur l’autel des intérêts particuliers et de l’appétit du pouvoir.


Un tel projet exige une remise en cause du soi-disant « confort » que nous offre le système actuel. Il nous faudra accepter une mutation dans notre comportement quotidien, de notre rapport avec nous-mêmes, de notre rapport avec notre Société.

Plus que jamais l’écologie politique, parce que transversale, apparaît alors comme cette voie indispensable de rupture, pour envisager l’avenir sous de meilleurs auspices.


  • Il nous faudra en effet accepter une rupture avec le modèle économique qui repose  sur un triptyque :

- la profitation, confortée aujourd'hui par la priorité faite aux grands groupes et aux multinationales au mépris des intérêts de la majorité des entreprises martiniquaises

 

- la course au profit à tout prix, au tout économique au mépris de la préservation de notre patrimoine naturel et de notre patrimoine culturel

 

- le fondement de la croissance sur le seul moteur de la consommation, consommation quasi-exclusive de produits importés, au mépris de nos intérêts de développement auto-centré

 

  •   Il nous sera fait également obligation de rompre avec ce système porteur  de poisons sociétaux :

- Ce système  a en effet laissé au bord du chemin près de 20 % de la population qui vit en deçà du seuil de pauvreté (1 Martiniquais/5),

- Ce système interdit l'entrée sur la marché du travail de près de 26% de la population active et 62% des jeunes, livrés à eux-mêmes, avec toutes ces dérives qui font la une de nos médias.

- Ce système n'apporte pas de solutions pour nos aînés, au moment où la traditionnelle solidarité familiale est battue en brèche


De la même manière, il nous sera imposé de prendre distance avec ce système fondé sur des  pratiques environnementales néfastes.

          Rupture avec des  pratiques peu respectueuses de l’environnement et qui menacent la  santé des Martiniquais 


Conclusion 

Chers (es) amis (es), c’est cette exigence de rupture-là qui donne du sens à notre revendication pour plus de responsabilité dans ce pays-nôtre. En effet, plus que jamais, en cette période et de grande incertitude, il devient de plus en plus urgent pour nous d’avoir cette boussole pour garder le cap.

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Car, à Martinique-Ecologie, nous ne croyons ni à la fatalité ni à la résignation. Nous estimons qu’il existe une autre logique, une autre voie car ce pays possède suffisamment de matière grise pour ne pas craindre d’envisager l’avenir sous de meilleurs auspices.

A Martinique-Écologie, nous disons qu’au fil des générations, des souffrances, des héroïsmes et des espoirs, il s’est forgé un peuple martiniquais qui aspire à prendre en main ses propres affaires. Les meilleurs spécialistes de la Martinique ne sont-ils pas les martiniquais eux-mêmes ? (Pierre Aliker)

Et, c’est parce que nous disposons enfin d’une conscience collective de nous-mêmes et de suffisamment de consistance culturelle que nous aspirons à être les acteurs de notre propre destin. Cette conscience de nous-mêmes constitue ce que j’appellerais notre « sentiment national », c’est à dire notre conviction d’appartenir à une Terre qu'il nous est fait obligation de protéger, pour mieux la promouvoir.

De protéger et de valoriser notre patrimoine Humain, les Hommes et les Femmes, et leur offrir les conditions non plus de subir leur développement mais d'être les acteurs de leur développement. 

De protéger et de valoriser notre seul bien commun, notre patrimoine naturel,  notre richesse foncière, nos richesses terrestres et maritimes, nos richesses sous-marines et de notre sous-sol.

De protéger et de valoriser notre patrimoine culturel, riche de joyaux architecturaux, culturels, gastronomiques pour en faire un outil de lisibilité à l'international.

Bref, participer à l’édification de notre Société, pour que nous soyons en capacité, non pas de regarder passivement et d’être « ces jouets sombres au Carnaval des autres »  mais de participer, à la restructuration en cours de l'échiquier mondial.

 

La politique c’est aussi cela : avoir une autre vision et agir pour qu’elle se réalise

C’est cette autre vision que nous vous invitons à partager avec nous. Rejoignez-nous.

 

Tjenbé raid, nou pé ké moli !

Martinique, Tivoli, le 20 octobre 2011

Louis BOUTRIN

Président de MARTINIQUE-ÉCOLOGIE

 

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