« Paraquat » ?
Oui, nos charmants cieux tropicaux, car le Paraquat, tout comme ses alter ego le Chlordécone et la Dieldrine , autres pesticides abondamment utilisés chez nous, n’a jamais été ni autorisé ni utilisé sur le sol français. Le sol de l’Hexagone, ou de, comment dit-on déjà ?, « la France métropolitaine ». Cette France métropolitaine qui, par le biais de ses ministres de l’agriculture depuis un demi-siècle ainsi que ses préfets et autres chefs des services déconcentrés de l’Etat, a instauré une sorte de régime d’exceptionnalité pour les Antilles en matière d’utilisation des pesticides. Car ce sont bien ces ministres qui ont signé les différentes A. M. M. (Autorisation de Mise sur le Marché) de ces produits et ce sont les préfets et autres chefs des services déconcentrés de l’Etat qui se sont chargés de les faire appliquer, et qui, même quand certains de ces produits furent interdits, aux USA ou en Europe, se sont chargés, sous la pression des Békés, d’obtenir des dérogations.
Ainsi, les USA, « inventeurs » du Chlordécone, et divers pays européens l’interdisent en 1979. Cela n’empêche pas la France de le ré-autoriser aux Antilles entre 1981 et 1993, date de son interdiction définitive (mais pas de son utilisation, puisque 4 tonnes de ce poison seront encore découverts sur une plantation martiniquaise en…2002). Il en va de même pour le Paraquat que la France va ré-autoriser en 2003. Dans notre ouvrage « Chronique d’un empoisonnement annoncé », Louis Boutrin et moi-même avons ciblé le Chlordécone parce qu’il est le plus redoutable de tous (il est responsable de l’augmentation exponentielle du taux de cancers, de la maladie d’Alzheimer et de Parkinson, des malformations congénitales, de l’infertilité féminine et masculine etc.), mais nous n’avons pas pour autant ignoré les autres poisons massivement utilisés chez nous depuis cinquante ans. Aux pages 33, 34, 35 et 36 de notre ouvrage, nous avons listé, outre le Chlordécone et le Paraquat :
- le DDT (Dichlorodiohényltrichloroéthane) utilisé jusqu’en 1972 et responsables de graves malformations de l’embryon humain.
- le PERCHLORDECONE (substance active du Mirex)
- le HCH (Hexachlorocyclohexane) dont les effets ostrogéniques et sur le système reproducteur des mâles a été mis en évidence
- la Dieldrine , pesticide qui n’a jamais été autorisé en France et qu’on a pourtant retrouvé dans des analyses de l’eau de la Basse-Terre (Guadeloupe) en 1999-2000.
Suite à la publication de notre livre, nous avons été traité de « fossoyeurs de l’économie martiniquaise » par le président de la Chambre d’agriculture de la Martinique , de « criminels » (dans le magazine « Antilla ») par un ancien préfet de la Martinique aux pieds duquel s’est jetée l’intelligentsia locale parce que ce monsieur était un amateur de courses de yoles, de « voyous » par un représentant des groupement bananiers békés qui porte un nom à particule et de « personnes qui cherchent à vendre leur livre » par des marchandes de Fort-de-France manipulées par les services de l’Etat et hâtivement rassemblées dans une association-bidon, « Machann Foyal ». Nous avons subi, en autres pressions et menaces diverses, un harcèlement fiscal sans précédent.
Aujourd’hui, dès que l’interdiction de la Cour Européenne de Justice est tombée, les groupements bananiers békés se sont empressés de pondre un communiqué demandant « la suspension de la commercialisation du Paraquat ». Farceurs, va ! Hypocrites ! Oui, hypocrites, car si cette cour européenne n’avait prononcé cet arrêt, jamais, vous n’auriez bougé. Vous auriez tranquillement continué à utiliser ce poison dont le taux de rémanence (persistance dans le sol et l’eau) est évalué à 70 ans. Pour ceux qui n’auraient pas compris, le Paraquat continue à agir 70 ans après son utilisation. Et le Chlordécone 150 ans ! Attitude criminelle - là, le terme se justifie ! - envers les générations futures puisque les études scientifiques montrent que ce sont les deuxièmes et surtout troisièmes générations qui sont les plus fortement atteintes. Ainsi, c’est aujourd’hui, quarante ans après les bombardements au napalm et à l’agent orange par l’armée américaine, que l’on voit apparaître, au Vietnam, des bébés dépourvus de bras, aveugles ou sans système immunitaire.
Car il faut bien que chacun comprenne que le scandale ne s’est jamais limité aux seules plantations. N’importe qui pouvait se procurer du Chlordécone, du Perchlordécone ou du Paraquat chez les importateurs békés. C’est dire que, sans en connaître la vraie nature et donc la toxicité, nos compatriotes les ont utilisés dans leurs petits jardins créoles ou dans leurs maisons (pour tuer les rats par exemple). Pourquoi l’utilisation de produits que l’Etat, les Békés et la Chambre d’Agriculture savaient nocifs n’a-t-elle pas été contrôlée et encadrée ? La réponse ne fait pas l’ombre d’un doute : aux colonies, on peut se permettre n’importe quoi. Le « nègre » a sans doute la peau plus dure que les autres et les organes plus résistants puisqu’il peut boire, par exemple, l’eau de la source « Bod Lanmè », à Basse-Pointe, où les services de l’Etat eux-mêmes ont relevé un taux de Chlordécone…44 fois supérieur à la norme autorisée.
C’est dire que nous ne pouvons nous contenter des communiqués hypocrites des Békés et de leurs affidés. Cela d’autant plus que la France n’a toujours pas officiellement réagi à la décision de la Cour Européenne de Justice et qu’elle peut parfaitement faire appel. Les coupables de ces empoisonnements massifs et concomitants doivent être identifiés et jugés comme dans les affaires du sang contaminé, de l’amiante, du Régent ou de la vache folle. Quand nous disons « empoisonnements concomitants », il faut que l’on comprenne que tous ces produits ont été utilisés en même temps et pendant les mêmes périodes. C’est-à-dire que la Martinique et la Guadeloupe ont subi un véritable bombardement chimique pendant près d’un demi-siècle : Chlordécone contre le charançon, Dieldrine contre la fourmi-manioc, Paraquat pour tuer les mauvaises herbes etc…Ce qui veut dire que nos sols, nos rivières, nos nappes phréatiques et nos rivages ont accumulé des tonnes et des tonnes de poisons de toutes sortes et que l’eau que nous avons bu à notre robinet pendant tout ce temps, par exemple, comportait un cocktail explosif de DDT, chlordécone, perchlordécone, Dieldrine et autre Paraquat. Il s’agit donc non pas d’un empoisonnement, mais d’un multi-empoisonnement.
Or, que fait l’Etat français ? Loin de prendre le problème à bras le corps, il s’est employé, avec la complicité active des Békés et des Chambres d’Agriculture de Martinique et de Guadeloupe, à discréditer tous ceux qui ont voulu dénoncer ce scandale. Ils ne s’en sont pas seulement pris à Louis Boutrin et Raphaël Confiant, mais aussi à l’ASSAUPAMAR et à ses dirigeants, au PUMA, à l’ASSE, l’association guadeloupéenne qui a porté plainte contre l’Etat pour empoisonnement. A Me Durimel, avocat et écologiste guadeloupéen, auquel on a voulu chercher des poux dans la tête pour une soi-disant affaire de « violation du secret de l’instruction » dans une affaire datant de…2003. Face à ces agressions, force est de reconnaître que nos populations, désinformées par de puissants médias, « métropolitains » ou locaux, déshabituées à se mobiliser et à protester depuis un certain Moratoire, bombardées journellement par la télévision de dérivatifs débiles tels que les feuilletons (telenovelas), la coupe du monde de football ou la « Star Académie », est restée relativement passive. Certes, partout où L. Boutrin et moi-même, mais c’est aussi le cas des autres militants ou associations écologiques, sommes passés pour faire des conférences (à l’Atrium, au Carbet, au Lorrain, à Trinité etc.), nous avons reçu un accueil attentif et souvent chaleureux, mais en dépit de la création de l’ANC (Association Non au Chlordécone), présidée par Georges-Emmanuel Germany, aucune mobilisation de grande envergure n’a été possible pour obliger les responsables de ce multi-empoisonnement à prendre leurs responsabilités.
Nous avons exigé la mise sur pied d’une commission d’enquête parlementaire comme pour les affaires du sang contaminé ou de la vache folle : l’Etat n’a pas bougé.
Nous avons exigé une enquête épidémiologique à grande échelle : l’Etat n’a pas bougé.
Nous avons exigé l’indemnisation de tous les moyens et petits agriculteurs dont les terres ont été polluées : l’Etat n’a pas bougé.
Nous avons exigé la mise en route d’un processus de dépollution des sols contaminés en utilisant, notamment, les procédés dits de « phytoremédiation », en usage au Canada : l’Etat n’a pas bougé.
Nous avons exigé une enquête judiciaire pour identifier les responsables : l’Etat n’a pas bougé.
On nous dira : « Oui, mais il y a les élus ! La population a voté pour mettre en place des maires, des conseillers généraux et régionaux, des députés et sénateurs. C’est à eux de monter au créneau. »
Dans notre livre, nous n’avons pratiquement pas parlé de la responsabilité des élus antillais en la matière, sauf pour déplorer qu’ils n’aient pas réussi à obtenir une commission d’enquête parlementaire sur le chlordécone (mais une simple mission d’information), d’une part et de l’autre, le fait qu’un député du Nord de la Martinique , se soit fait l’avocat des gros planteurs békés pour obtenir la réintroduction de ce poison aux Antilles. Nous avons été gentils, très gentils, envers nos chers élus. Or, force est aussi de reconnaître qu’eux non plus ne se bougent guère, hormis une « plainte contre X » déposée, il y a deux mois, par le Conseil Général de la Martinique.
Une plainte contre X !!! On croit rêver…