LES RECHERCHES OBSCURES DE L'UNIVERSITÉ DES ANTILLES ET DE LA GUYANE

uag.ceregmia.jpg

Les recherches obscures de l'U.A.G.
par Freeparole.com 
 
Un vent de scandale souffle sur l’Université Antilles Guyane depuis que le rapport 2012 de la Cour des Comptes, consacré à la gestion de l’UAG sur la période 2005-2010, a été connu. Ce sont les vingt pages consacrées au CEREGMIA (Centre d’Etude et de Recherche en Economie, Gestion, Modélisation et Informatique Appliquée) qui allument le brasier dans lequel se consume lentement l’UAG. De nombreuses irrégularités ont été signalées par les magistrats, suscitant un sentiment de révolte chez certains universitaires et étudiants. Depuis quelques jours, au SRPJ, des protagonistes et témoins de cette affaire se succèdent pour être entendus sous le régime de la garde à vue.

C’est la présidente actuelle, Corinne Mencé-Caster, (élue en janvier 2013) qui a porté plainte devant la justice. Il faut dire que depuis son arrivée à la tête de l’UAG, certains ont eu des sueurs froides. Et comme par magie, des pièces comptables ont disparus. Ces étranges disparitions ajoutées au rapport incendiaire de la Cour des Comptes n’étaient pas très connues du grand public mais elles soulevaient des vagues dans le monde politique.

A l’ordre du jour de la plénière du Conseil Régional, le 3 décembre 2013, le nom CEREGMIA, fait sursauter l’opposition. Il est demandé aux élus de se prononcer sur la proposition de la majorité PPM d’accorder une subvention à ce centre de recherche pour « développer le Etravail en Martinique : Première phase (2013-2015) expérimentale de mise en place du télétravail dans dix entreprises. »

 

Le projet d’un montant de 2 millions d’euros présenté aux élus régionaux est alléchant, il consistera à « Expérimenter le télétravail dans une dizaine d’entreprises (ce projet se concentrera dans sa phase expérimentale dans la zone CACEM, et une liste des entreprises ainsi qu’une cartographie des localisations géographiques seront fournies) et permettre à une vingtaine de salariés de bénéficier de cette nouvelle méthode d’organisation du travail. 

Cette démarche innovante devrait améliorer l’efficacité et le développement des entreprises, instaurer un dialogue social de qualité et participer au développement durable de la région de la Martinique »

 

Les compétences du CEREGMIA sont mises en valeur, et la Commission Formation Professionnelle, présidée par Daniel Robin, a déjà émis un avis favorable dès le 7 novembre 2013. Mais un courrier daté du 3 décembre adressé au Président de Région, par la Présidente de l’Université, circule sur les bancs de l’assemblée régionale. Un élu du groupe des patriotes martiniquais, affirme d’entrée « Il semblerait que la Présidente de l’Université ne connaît même pas ce dossier ! »

La Présidente de l’UAG, dans son courrier, informe que :

pour un montant de plus d’un million d’euros, le conseil d’administration n’a pas été saisi, alors qu’il aurait dû l’être. En effet, malgré mes multiples relances, l’ex-DGS ne m’a pas fourni la liste des actes signés dans le cadre de sa délégation de signature, prétextant une panne de son ordinateur portable. Cette rupture de confiance m’a donc conduite à mettre fin à cette délégation et à interrompre le détachement du DGS à l’UAG, d’autant que les deux points de vigilance essentiels étaient constitués par les signatures de conventions et contrats de travail, sur lesquels il continuait d’affirmer ne rien avoir signé. Malheureusement, j’apprends ce jour qu’il a signé cette convention sur le développement du e-travail, alors que je n’en étais nullement informée.

L’élu de l’opposition insiste pour que l’argent du contribuable ne soit pas attribué dans de telles conditions. Il rappelle le contexte de polémiques au sein de l’UAG depuis que le rapport la Cour des Comptes met gravement en cause la gestion du CEREGMIA, allant « jusqu’à s’interroger sur la légitimité de ce laboratoire à porter certains dossiers qui ont bénéficié de fonds européens en 2009. » Le groupe des Patriotes interroge

Au nom de quoi les salariés des entreprises, situées en dehors des limites du territoire de la CACEM, ne seraient pas concernés par cette possibilité de formation au télétravail organisée par l’Université ?

Un million d’euros de l’argent des contribuables voté malgré les conclusions accablantes de la Cour des Comptes sur la gestion du Ceregmia.

Ni la lettre de la Présidente de l’UAG, ni les arguments de l’opposition n’empêchent les élus de la majorité régionale de voter une subvention d’UN MILLION d’euros pour ce laboratoire de recherche dont la gestion est gravement mise en cause par la Cour des Comptes. Etonnant quand on voit la quantité d’articles qui dévoilent dès le mois de novembre, les extraits du rapport de la Cour des comptes, notamment sur des sites d’information en ligne, Montray Kréyol ou Guya Web .

L’affaire prend une autre ampleur quand le 3 décembre 2013, un vice président de pôle, Jean-Emile Symphor, sous l’œil des caméras de télévision et devant les étudiants réunis dans un amphithéâtre de l’Université de Schloelcher, annonce sa démission du Ceregmia. Il tire les conséquence des graves accusations de la Cour des Comptes. Il a déjà adressé sa lettre de démission au directeur du CEREGMIA, Fred Celimène, pour ne pas être associé aux irrégularités.

J’ai pu avoir connaissance, autrement que par toi-même, d’éléments tangibles me permettant d’exercer mon esprit critique et de mettre en oeuvre mon libre jugement de façon plus éclairée (…) Avec de plus cette surenchère d’intimidations, de menaces et de mépris à l’endroit de collègues, en toute liberté et en toute responsabilité, je t’annonce, M. le directeur du CEREGMIA, ma démission du CEREGMIA. "

Dans un courrier publié dans France-Antilles (3 décembre 2013), le directeur répond.. Des mots qui traduisent un climat peu propice au respect , à la confiance nécessaire entre étudiants et formateurs :

Le style du courrier m’indique qu’il n’est pas rédigé par toi-même. Cela dit, que le clan écrive à ta place ne m’interdit pas de te répondre

, souligne Fred Célimène.

J’observe que pour adhérer au Ceregmia tu n’avais pas informé la communauté universitaire, alors que tu l’informes maintenant que tu quittes le Ceregmia : toujours la fameuse transparence de la gouvernance de l’UAG dont tu fais partie ?

Le directeur du Ceregmia ajoute :

Tu me fais comprendre que tu as reçu le rapport de la Cour des comptes le 30 avril 2013 : et pourquoi c’est seulement aujourd’hui le 26 novembre 2013 que ce rapport te pousse à démissionner du Ceregmia ? Toujours la même stratégie de diversion orchestrée par la gouvernance à laquelle tu appartiens, avec la présidente en tête, pour masquer votre incapacité à résoudre la crise de l’université comme le soulignent nos collègues de la Guadeloupe ?

Et de poursuivre :

(...) Vous pouvez gesticuler, faire de la diversion, vous démener comme des diables, écrire anonymement aux radios, télévisons, journaux, sites internet, il faut qu’on arrive à aborder la question clé que vous refusez d’aborder jusqu’à présent : pourquoi et comment a émergé la crise de l’UAG et pourquoi la gouvernance, avec en tête la présidente, a été incapable de la résoudre ?

Le directeur du laboratoire de recherches conclut :

Revenant à ta demande, c’est avec une grande satisfaction que j’accueille ta démission pour les raisons suivantes : ton départ augmentera mécaniquement le taux de produisants du laboratoire

Recherche pêche en eau trouble

La partie du rapport de la Cour des Comptes consacré à ce centre de recherche porte sur « les suites données par l’UAG à la communication du Procureur Général du 20 mars 2007 relative au Ceregmia et à la situation personnelle de son directeur. » Celui qui dirige le centre depuis sa création en 1986, est tout de suite visé puisque la communication en question « constatait qu’à fin 2000, le CEREGMIA avait accumulé un déficit de 140 813,86 € provenant d’une part d’une insuffisance de recettes réalisées et d’autre part d’un non respect des procédures de dépenses. »

Le directeur du Ceregmia est aussi un homme de la pêche, une activité qui ne passe pas inaperçue pour les magistrats : Il « était depuis 1999 gérant d’une société privée, la « Compagnie de Pêche Antillaise » (CPA), propriétaire de trois bateaux de pêche. Le Procureur Général relevait que l’exercice prolongé d’une fonction de gérant d’une société commerciale contrevenait aux dispositions de l’article 25 de la loi N° 83-634 du 13 juillet 1983 obligeant les fonctionnaires à consacrer l’intégralité de leur activité professionnelle aux tâches qui leur sont confiées. »

La section disciplinaire de l’UAG compétente pour les enseignants chercheurs a sanctionné d’un an d’interdiction d’activité de son corps de recherche, sans vérifier qu’il avait bien mis fin à sa responsabilité de gérant d’une société privée. La Cour des Comptes de son coté vérifie et constate qu’ « il ressort des actes déposés au tribunal de commerce et notamment du procès verbal de l’assemblée générale extraordinaire de la CPA en date du 30 mars 2009 », que le gérant de cette société est toujours le même. Le mis en cause se justifie par « une négligence personnelle dans le suivi de la mise à jour des statuts de la CPA ». Il affirme à la Cour que cette double activité professionnelle « n’avait pas porté atteinte au fonctionnement normal, à l’indépendance ou à la neutralité du service public. ».

Dans cette affaire, le fonctionnaire de l’UAG s’en sort bien, tellement bien qu’il continue à pêcher. La Cour peut constater que deux ans après la sanction disciplinaire, « la situation de l’intéressé est restée illégale. » D’autres auraient aimé bénéficier d’une telle indulgence. La Cour constate aussi que « des errements perdurent en matière de procédures de dépenses. » Certaines dépenses font l’objet de bons de commande en régularisation comme c’est le cas pour deux mandats de … 10 850 €. « Une pratique de régularisation postérieure à la prestation a été également relevée pour des frais de mission du directeur de laboratoire ».

L’Europe expliquée aux élus

Responsable du Ceregmia, Fred Célimène s’étonnait en 2010 (FA 22.04.2010) du non emploi en Martinique des subventions européennes. Il interpellait

La crise internationale de 2008, la crise sociale de 2009, les débats sur l’avenir statutaire de l’île, les élections régionales etc. ont peut-être masqué une information importante pour la Martinique. Elle ne parvient pas à employer les fonds mis à sa disposition par l’Union européenne et risque pour la première fois depuis le début des années 2000 de perdre les crédits non employés. A partir des documents accessibles au grand public, le Centre d’Etude et de Recherche en Economie, Gestion, Modélisation et Informatique Appliquée (CEREGMIA) de l’Université des Antilles et de la Guyane a conduit une étude qui conduit à un nouveau regard sur un des aspects du paradoxe martiniquais : malgré les besoins criants (économie, emploi, éducation, environnement, protection contre les risques naturels, etc....), les fonds européens, en particulier le Fonds européen de développement régional (FEDER) qui a lui seul représente 417 millions d’Euros sur 7 ans et 67% du montant des crédits européens prévus pour la Martinique de 2007 à 2013, ne sont pas employés.

En conclusion il s’interroge

On est loin des 85% prévus par les textes.... européens. A qui profitent ces blocages récurrents ? Aux services de l’Etat qui ont de moins en moins de moyens venant de Paris pour leur propre fonctionnement ou au Conseil Régional ? Peut-être aux deux.

Si le Ceregmia croit être plus compétent que le Conseil Régional et l’Etat, dans les mécanismes d’utilisation des subventions européennes, il oublie que le diable se cache dans les détails. La Cour note une forte évolution des recettes et des dépenses entre 2007 et 2010. Une forte croissance du budget liée à l’obtention de subventions européennes, FEDER (Fonds Européen de Développement Régional), FSE (Fonds Social Européen). Plusieurs pages sont consacrées au flou qui entoure ces importantes subventions destinées à améliorer la formation des étudiants. La Cour note que « l’examen des opérations subventionnées a révélé de graves insuffisances dans leur pilotage et leur gestion. »

Un exemple parmi tant d’autres soulignés dans le rapport : Une opération intitulée Formation et accompagnement en ligne et en présentiel des étudiants de la Martinique. « Une convention relative à l’opération a été signée entre l’Etat, représenté par le Préfet de la région Martinique, et l’UAG-Ceregmia, représenté par son président, le 30 juin 2009. Le projet vise « à mettre en exergue la formation et l’accompagnement des étudiants du pôle Martinique en ligne mais aussi un renforcement en présentiel », en optimisant leurs chances d’insertion professionnelle. Le coût total éligible de l’action a été fixé à 1 024 530,60 € TTC. Pour mener cette action, une subvention du fonds social européen a été attribuée à l’UAG pour un montant de 512 265,30 €. » On apprend que « la convention a été signée in extrémis le dernier jour d’éligibilité des dépenses pour l’intervention concernée. »

Les observations de la Cour des Comptes font l’effet d’une bombe à retardement.

On peut y lire « Les activités du CEREGMIA ont été examinées afin d’apprécier les suites données au précédent contrôle de la Cour. La gestion de ce laboratoire continue de poser problème. Les procédures d’engagement de la dépense ne sont toujours pas respectées. Surtout, les activités du laboratoire se sont récemment beaucoup développées grâce à l’obtention de financements sur fonds structurels européens. Or ces opérations appellent de nombreuses observations tant en ce qui concerne l’imputation des dépenses, souvent pour tout ou partie réalisées au moment de la demande de subvention ou parfois sans lien direct démontré avec l’opération. »

A quoi ont servi les subventions européennes ? Beaucoup de questions restent sans réponse. Peut-être que la justice qui a été saisie avec constitution de partie civile par une plainte de l’actuelle présidente de l’UAG saura trouver les voies empruntées par ces sommes aux destinées inconnues. La Cour des comptes qui s’interroge sur la régularité de multiples opérations qui « font courir des risques juridiques et financiers sérieux à l’université », a secoué le milieu universitaire mais aussi le monde politique. Et à lire le rapport, on comprend que les risques juridiques sont avérés avec des faux en écriture.

Les étudiants dont les bourses ne permettent souvent pas de payer tous leurs frais, qui doivent régulièrement connaître les coupures de leur mobile pour quelques 29 euros ont retenus entre autres utilisations irrégulières de l’argent public, le montant des appels téléphoniques d’un dirigeant du CEREGMIA : plus de 8000 euros. « 8.608,61€ au bénéfice d’Oranges Caraïbe, représentant le coût de six mois de communication téléphonique (novembre 2009 à avril 2010) pour un n° de mobile, soit une consommation moyenne mensuelle de 1 434,76€, sans que le lien avec l’opération soit justifié. »

Le 19 décembre 2013, le Conseil Régional remet le vote empoisonné au menu de la plénière. Les élus PPM et associés reviennent sur leur vote du 3 décembre qui attribuait une subvention du Un million d’euros au CEREGMIA. Entre temps, le Président Serge Letchimy avait adressé une réponse à la Présidente de l’Université, l’invitant à le rencontrer le 9 décembre. A cette occasion, il lui annonce sa décision de retirer ce dossier lors de la prochaine plénière. Dès le lendemain, en commission permanente le dossier était enterré pour « prendre en compte les nouveaux éléments reçus de la Présidente de l’UAG. » pourtant connus depuis le 3 décembre.

Le menu est déjà empoisonné, l’opposition en profite pour ajouter une pointe de piment. Ils dénoncent le fait que le dossier transmis à l’occasion de la séance plénière du 3 décembre, n’était pas celui portant la signature du demandeur. « Une fois de plus nous constatons que vous faites de la rétention d’informations à notre détriment au niveau des documents que vous nous remettez. »

Le signataire qui ne figure pas au dossier en question est le Directeur Général des Services à qui la Présidente a enlevé la délégation de signature.

La justice ne manquera pas de chercher quels liens existent entre certains responsables politiques et les dirigeants du Ceregmia. Lequel a été le responsable financier de la campagne électorale d’un élu ? Une affaire qui devrait rendre très « produisants » les inspecteurs du SRPJ et le juge d’instruction, chargés de ce dossier explosif.

La Rédaction