"L'ODEUR DE LA MORT SE REPAND" par Chantal Regnault

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Chantal Regnault, photographe qui vit à Port-au-Prince depuis une quinzaine d'années, a envoyé à Libération, par mail, un second témoignage sur le séisme qui a dévasté la ville et une partie de Haïti. (Lire ici son premier récit de la catastrophe)


«Hier, je suis sortie toute la journée avec ma collègue Rachèle Magloire et, de façon paradoxale, je me suis sentie mieux que de rester terrée dans notre campement à Pétionville.

Naturellement, c’est un mieux relatif, mais de voir ce qu’il en est vraiment permet de se détacher de ses propres peurs. Spectacle d’apocalypse de tous côtés. Sur tout le parcours de Nazon, de la route de l’aéroport jusqu’à Lalue, des douzaines de corps alignés sur les trottoirs, en attente d’être ramassés et amenés à des fosses communes, les gens marchent, marchent, portant des foulards ou des masques sur la bouche, car l’odeur de mort se répand.

Sur la place du Canapé Vert, des gens nous crient qu’il y a des vivants enterrés sous d’énormes masses de béton effondré,. Que pouvons-nous faire? Ils sont fâchés, se sentant impuissants et abandonnés… A Pétionville, la place Saint-Pierre et la place Boyer sont transformées en immenses campements, où vivants et blessés se mêlent, l’odeur d’urine est déjà insupportable…

Je suis finalement allée jusqu’à chez moi, mon quartier est un spectacle de désolation, la plupart des maisons applaties comme des galettes. En fait je n’ai plus de maison mais, miraculeusement, j’ai pu récupérer l’essentiel, équipement photo, passeport, carte verte, car mon petit gardien a passé la nuit ici, veillant à ce que les voleurs ne s’approchent pas, il s’occupe aussi de ma pauvre chienne presque aveugle qui était enfermée à l’intérieur au plus fort du tremblement de terre.

Sondévouement me bouleverse, lui-même n’a plus de maison et aucun côté où aller.Au moment où j’essayais de rassembler à la hâte quelques vêtements dans la chambre à coucher, une forte secousse fait trembler les murs qui restent et je me précipite dans la cour, je recommence à craquer, je m’assois par terre enpleurant, ne sachant plus si je dois essayer de nouveau ou juste m’en aller…

Jene peux même pas aller me réfugier dans ma petite maison près de la ville deJacmel qui elle-même ainsi que le sud du pays ont subi d’énormes dégâts, detoute facon la route est coupée à plusieurs endroits.

Et puis les nouvelles affreuses que l’on apprend de part et d’autre, des gens que l’on connaît très bien qui sont morts dans leurs bureaux, dans leur maisons, la liste s’allonge de quart d’heure en quart d’heure, on est presque anesthesié par les coups, mais l’horreur de la réalité revient vite, surtout la nuit, allongée sur la terre, incapable de dormir… et la terre qui tremble encore deux fois cette nuit…

Jedevais aller à New York demain, mais les vols commerciaux sont suspendus sinedie et l’espace aérien est saturé…

Je commence à penser à une demande d’évacuation auprès des Francais, mais en même temps, comment abandonner tous ceux qui restent derrière, abandonner ce pays quand il est en train de vivre le pire…»