La guerre en Ukraine s’est invitée dans notre actualité et vient s’immiscer insidieusement dans le quotidien des Martiniquais sans que l’on puisse y mesurer ni les véritables enjeux géopolitiques ni les impacts réels sur nos économies respectives. Chacun, dans un élan de psittacisme, se contente de ressasser les informations propagandistes diffusées en boucle sur les chaînes TV de l’Hexagone ou sur les réseaux sociaux oubliant au passage que « La première victime d’une guerre c’est la vérité ».
Dans ce contexte de propagande exacerbée mais surtout d’incertitude, d’angoisse et de détresse des populations bombardées, les autorités étatiques viennent nous annoncer de nouvelles augmentations des prix du carburant et du gaz, celles-là mêmes qui avaient déclenché la crise sociale de 2009 en Guyane puis aux Antilles.
Sans entrer à notre tour dans un combat sans bâton, nous sommes tout de même interpellés aux Antilles par les conséquences de ce conflit qui trouve son théâtre sur le sol ukrainien, au beau mitan de l’Europe et dont on nous annonce déjà la flambée immédiate des prix de l’énergie justifiée, à tort ou à raison, par ledit conflit.
Car, tout de même, sauf à accepter de se faire pigeonner une fois de plus, nous ne pouvons pas tolérer une énième hausse des prix du carburant et du gaz sans regarder de plus près l’impact du côté des marchés énergétiques mais surtout les tenants et aboutissants de la composition de ces prix déterminés par arrêté préfectoral depuis le décret Lurel de 2013.
En Martinique, les prix du carburant et du gaz domestique ont augmenté de 30 % ces douze derniers mois. Un record qui ne peut s’expliquer par la seule augmentation du prix du baril de pétrole et du dollar puisqu’on observe depuis plusieurs années une spirale inflationniste des prix de l’énergie et une forte disparité entre les trois territoires français d’Amérique notamment au niveau du prix du gaz domestique qui demeure plus élevé en Martinique qu’en Guadeloupe Guyane alors même que la raffinerie est installée sur notre territoire avec son lot de risques et de nuisances.
En pareilles circonstances, la transparence et la réflexion pour tenter d’atténuer l’impact de ce conflit sur notre quotidien prévalent. Car, faut-il le rappeler, la SARA importe environ 850.000 tonnes de pétrole chaque année et s’approvisionne principalement en Norvège (Mer du Nord) et plus récemment, en faible quantité, en Algérie et Afrique de l’Ouest. La logique économique mais aussi écologique (forte empreinte carbone des supertankers) devrait nous conduire à reconsidérer nos sources d’approvisionnement étant situés non loin des principaux pays producteurs de pétrole (USA, Venezuela, Mexique, Colombie et Brésil) et, en cas de conflit en Europe, nous pourrions nous y approvisionner à moindre coût. C’est d’ailleurs, l’option prise par les états insulaires de la Caraïbe où le prix de l’essence demeure nettement moins élevé : entre 0.81 € à 1.04 € / litre d’essence à la Dominique et 1.01 € /litre à Sainte-Lucie nos deux voisines immédiates contre 1.77 € / litre en Martinique.
Plus que jamais, l’heure est donc aux économies d’énergie en réduisant notre consommation d’essence (34,6% de nos importations de pétrole) par le développement des transports publics et une plus forte pénétration des véhicules hybrides et électriques dans le parc automobile. De 2014 à 2020, le parc de véhicules hybrides et électriques est passé de 217 à 2.403 véhicules soit une augmentation de +163%. La mise en oeuvre des bornes solaires publiques sur l’ensemble du territoire devrait nous permettre d’être au rendez-vous de 2030, année où les grandes firmes automobiles envisagent du 100 % électrique.
S’agissant de la production d’électricité qui représente 47,6 % de nos importations de pétrole, elle nous a obligé à mettre en place des politiques publiques énergétiques plus audacieuses. De 6,3 % en 2015, nous avons atteint 25 % de taux de pénétration des énergies renouvelables dans le réseau électrique en 2021. Oui, désormais, grâce à la nouvelle gouvernance énergétique que nous avons mis en place à la CTM, aux incitations à l’investissement privé et aux efforts des entreprises martiniquaises, un quart de l’énergie électrique produite relève des énergies renouvelables. Parallèlement, notre politique de maîtrise de la consommation énergétique en partenariat avec les acteurs de l’énergie (EDF, ADEME, SMEM, État) a contribué à économiser 37 millions de Kilowatt-heure soit 8 jours de consommation énergétique. Ces efforts remarquables méritent donc d’être poursuivis et soutenus.
Prix du Gaz : de la transparence et des actes concrets !
Reste maintenant à régler la brûlante question du prix du gaz domestique qui ne cesse de flamber en Martinique. C’est à ce niveau que l’on observe les plus fortes disparités. Au 1er décembre 2021 : 26,80 € / bouteille en Guadeloupe, 27,59€ en Guyane contre 30,61 € en Martinique où est produite la bouteille de butane. Pour couronner le tout, le prix de la bouteille de gaz est passé de 18,34 euros en septembre 2019 à 30,61€ en décembre 2021, soit 12,27 € de plus en 28 mois.
Force est de constater, alors même que l’augmentation du coût de la matière première n’était que de 2,84 €, du 1er Juillet 2021 au 1er décembre 2021 le prix de la bouteille de gaz est passé de 27,29 € à 30,61 € soit plus de 3,32 € en à peine 5 mois. Or, le coût de la matière première ne représente que 31,91% du prix de la bouteille de gaz de 12,5 kg. C’est bien la SARA + la Distribution qui prennent 63,93 % sur le consommateur soit 19,57 € par bouteille. Et pour être totalement transparent, il faut ajouter l’augmentation non justifiée de 0,29 € sur la taxe de 1,27 € encaissée par la CTM sur chaque bouteille.
Pour y remédier, nous proposons que l’on mette à plat toutes les questions relatives au prix des carburants, du gaz et de l’électricité à travers des séances publiques où, en toute transparence, dossiers et études à l’appui, nous pourrions expliquer nos choix en faveur d’une autonomie énergétique de la Martinique. L’organisation d’un Congrès des élus sur la question énergétique, à l’instar de l’initiative du Président de la Collectivité territoriale de Guyane, Gabriel Serville, qui a pris une délibération pour valider une baisse de 3 centimes d’euros /litre de carburant (300.000 € d’impact sur les recettes de la CTG), nous semble tout à fait pertinente.
Car, en cette période de crises économiques et sociales durables où les Martiniquais n’arrivent pas à joindre les deux bouts et à régler leurs factures, il est temps de dire stop à cette fâcheuse habitude qui consiste à répercuter inévitablement les augmentations sur les consommateurs qui supportent déjà, en période de paix, la charge de la cherté des prix de l’énergie. Le modèle actuel de régulation de ces prix qui a motivé en janvier dernier une mission de l’inspection générale des finances mérite une sérieuse réforme. Et, le rôle des Conseillers de l’Assemblée est aussi de faire des propositions en ce sens. C’est la moindre des choses que les citoyens sont en droit d’attendre des élus qu’ils ont mandaté pour mener à bien les politiques publiques qui concernent leur vie quotidienne.
Le COVID 19 a déjà fortement impacté l’économie martiniquaise qui peine à récupérer son rythme d’avant pandémie. En l’absence de mesures urgentes volontaristes nous risquons de replonger dans une crise sociale fatale.
En cette période de grande incertitude sur l’avenir, l’heure d’un changement de culture démocratique a donc sonné. À défaut d’unité politique, tâchons de faire preuve d’audace pour répondre aux exigences du pays Martinique et des Martiniquais. Les crises multiformes qui viennent se superposer et s’amplifier en moins de deux ans nous l’imposent.
Martinique, le 7 mars 2022
Louis Boutrin
Conseiller Territorial de Martinique
Président de Martinique-Écologie