Vers un nouveau mouvement politique ?
L’esprit de Malcolm X comme ceux de Frantz Fanon et de Steve Biko ne sont pas morts. Les enfants de ces illustres leaders noirs ont pu le mesurer lors d’une tournée d’un jour dans la banlieue lyonnaise. Dans leurs traces, un nouveau mouvement politique issu des quartiers populaires pourrait être lancé.
PHOTO : A Vaulx-en-Velin, le 9 mai, la fille de Malcolm X entouré, à gauche, du fils de Steve Biko et à droite, de la fille de Frantz Fanon
Le symbole se voulait fort : mettre au cœur de la banlieue lyonnaise la fille de Malcolm X (Malaak Shabaaz), le défenseur des droits afro-américains ; la fille de Frantz Fanon (Mireille Mendès-France), le penseur des luttes anticoloniales, et le fils de Steve Biko (Nkosinathi Biko), l’un des principaux artisans de la résistance contre l’apartheid en Afrique du Sud.
Cette semaine, ces trois héritiers des luttes anti-coloniales et des combats pour les droits civiques ont mené des conférences en France, à Paris, Lille et ce vendredi à Marseille. A la rencontre des associations de quartier. Avec pour objectif : montrer la filiation entre les combats des noirs et des colonisés d’hier et les mobilisations d’aujourd’hui contre le racisme.
Malcolm X : « une pointure » ; Biko et Fanon : « connais pas »
La petite délégation d’une quinzaine de personnes a donc d’abord fait un saut au Mas du Taureau, à Vaulx-en-Velin, premier quartier à s’embraser, en 1990, à la suite de la mort de Thomas Claudio renversé par une voiture de police.
Dans le sillage de la délégation, les habitants du quartier, habitués aux visiteurs de marque (le dernier en date était François Hollande), se demandaient bien qui étaient ces nouveaux venus.
Un habitant nous a expliqué qu’ici, « tout le monde connaît Malcolm X ». Surtout les trentenaires, grâce au film éponyme de Spike Lee.
Morad Aggoun a pris rapidement la parole pour parler du quartier. Lui qui avait 18 ans lors des émeutes de 1990 est aujourd’hui élu au conseil municipal (divers gauche) de Vaulx-en-Velin. Et il a ainsi évoqué les « combats des habitants » et la « lutte contre la double peine » :
« Dans les quartiers, on se bat pour être des citoyens à part entière. Pour nous, Malcolm X ou Nelson Mandela sont des vrais symboles de ceux qui se sont levés pour avoir des droits. Ce sont nos références. La culture de toutes les révoltes. »
Une demi-heure de voiture plus tard, au pied des tours des Minguettes, à Vénissieux, a pu avoir lieu une non-moins rapide rencontre avec des habitants dans une épicerie sociale. Parmi eux, Patrick. Il était l’un des instigateurs, en 1983, de la Marche pour l’égalité, plus connue sous le nom de la marche des Beurs », imaginée à la suite de la multiplication des bavures policières aux Minguettes. La marche s’était davantage inspirée de Gandhi ou Martin Luther King. Mais « Malcolm X reste une référence », estime-t-il.
Hommage aux « luttes de nos parents »
Toujours aussi prestement, le pèlerinage a pris la direction d’une autre ville de banlieue, Saint-Fons. La particularité de cette commune : avoir érigé il y a un an et demi, un monument (voir photo) à la mémoire des victimes « des luttes de libération des peuples ». Une plaque également rend hommage aux victimes du 17 octobre 1961, jour d’une manifestation à Paris contre le couvre-feu imposé aux « Français musulmans » d’Algérie.
Après une nouvelle séance photo et une minute de silence, les stars invitées on démarré leur conférence. Devant environ 200 personnes, ces « filles de et fils de » ont rappelé les luttes de leur père et la nécessité de continuer le combat contre le racisme. Un racisme « libéré en France », pour la fille de Frantz Fanon, « institutionnalisé aux Etats-Unis », selon la progéniture de Malcolm X ou « présent en Afrique du Sud malgré la constitution et l’identité arc-en-ciel de la nation », pour le fils de Steve Biko.
Les « filles de et fils de » veulent diffuser aujourd’hui un « message universaliste » et ne souhaiteraient donc pas lancer un appel à la constitution d’une force regroupant seulement les populations des anciennes colonies.
Les militants associatifs, à l’origine de leur venue à Lyon, partagent la même position. Pierre-Didier Tchétché-Apéa plaide pour la constitution d’un mouvement politique des quartiers populaires, fondé sur une communauté de vie, celle des quartiers populaires et non sur une appartenance ethnique :
« Marcher dans les pas de ces trois aînés, c’est être fiers de nos origines et de nos luttes passées. Il s’agit de constituer une force autonome, en dehors des partis politiques. Mais sur une base spatiale. »
« Pas que des noirs et des arabes »
Comme pour le mouvement des droits civiques aux Etats-Unis ou les mouvements féministes, les habitants des quartiers doivent s’« auto-organiser et s’unir à la base » :
« Le but est d’organiser l’expression des quartiers populaires pour enfin sortir d’une lutte fragmentée où les musulmans, les noirs ou les arabes s’organisent entre eux ».
Un projet de « force politique » serait même en gestation, regroupant des militants du Forum Social des Quartiers Populaires, des Motivé-e-s (à Toulouse) et du Mouvement de l’Immigration et des Banlieues (MIB, à Paris).
Ils marquent bien leur différence avec un autre groupe politique, les Indigènes de la République, qui, comme eux, revendiquent la filiation avec Fanon, Biko ou Malcolm X. Boualam Azahoum, l’un des organisateurs de la tournée lyonnaise, explique :
« Nous ne sommes pas comme les Indigènes de la République. Dans ce mouvement que nous voudrions lancer, il n’y aura pas que des noirs ou des arabes. Ce sera le rassemblement de tous ceux qui vivent dans les quartiers. Ce seront ceux qui votent aujourd’hui ou qui voteront demain après l’adoption de la loi sur le droit de vote des étrangers ».
Marquées à gauche, ces personnalités des quartiers lyonnais expliquent ne plus croire aux partis politiques classiques. Pierre-Didier Tchétché-Apéa de Vaulx-en-Velin :
« Aucun parti politique ne met à l’agenda les quartiers populaires et ne traite de manière prioritaire des questions de discrimination. Pour nous, c’est dans ces quartiers que se cristallisent de nombreuses questions : l’emploi, l’éducation, le logement ou le rapport à la police ».
SOURCE : Laurent Burlet | Rue89Lyon