Du départ, sur le pont Verrazano-Narrows, à l’arrivée dans Central Park, en passant par le Queens et la première avenue, ces candidats au plaisir et à la souffrance n’auront qu’un objectif pour la grande majorité d’entre eux: rallier l’arrivée d’une manière ou d’une autre et dans les meilleures conditions possibles. Quant à l’élite, dominée par les Kenyans, elle rêvera de battre les records de vitesse établis en 2001 et 2003 par l’Ethiopien Tesfaye Jifar en 2h07’43’’ et la Kenyane Margaret Okayo en 2h22’31’’.
Ancien champion de France du marathon et spécialiste des longues distances, consultant apprécié de France Télévisions lors des grands rendez-vous d’athlétisme, Bernard Faure revient pour Slate sur les spécificités de cette course mythique.
Les marathons à travers le temps
«Au fil des années, on a assisté à une standardisation des marathons. Au début de l’essor de ces épreuves à l’orée des années 70, c’était un peu la grande aventure pour chacun. Puis sont apparues des normes de sécurité et d’encadrement de plus en plus strictes avec un suivi médical et la mise en place de zones de ravitaillement. Puis est arrivée l’émergence des services, c’est-à-dire des petits cadeaux offerts pour attirer les coureurs: remise de tee-shirts ou de médailles dont les compétiteurs sont assez friands. Jusqu’à la mise en couleur, plus récente, de marathons avec l’installation de villages et de fêtes organisées parallèlement à la course et qui sont un peu la signature de ces épreuves. Les marathons dits de capitales, comme New York, Berlin, Paris ou Londres, ont creusé ce sillon-là, si bien que l’on ne vient pas seulement courir, mais vivre aussi une aventure collective sur plusieurs jours pour laquelle chacun est prêt à s’investir physiquement mais aussi financièrement. Ces grands marathons sont vendus comme des packages dans la mesure où traverser l’Atlantique a un coût comme celui de s’inscrire puisque un dossard à New York vaut aux alentours de 200 dollars.»
Un marathon, des marathons
«Les marathons les plus rapides sont ceux de Berlin et de Rotterdam car ils sont extrêmement plats. C’est là où il est possible de battre des records. D’autres tracés, comme celui de New York, sont plus ardus avec des déclivités qui brisent l’équilibre des coureurs. Or l’équilibre est la base de sa réussite pour un marathonien. A New York, vous n’aurez jamais de record du monde car la fin du parcours est extrêmement difficile avec une route qui monte parfois assez sèchement. Le record est de 2h07, mais il correspond à 2h04 ailleurs.»
Au départ
«Pour aborder un marathon de New York dans les meilleures conditions, il ne faut pas être fatigué par sa préparation. Si vous en avez trop fait pour tenter de vous rassurer avant l’échéance, vous risquez de vous planter. C’est une erreur commise très fréquemment en raison de la peur que génère cette épreuve ultime. Le corps, en fonction de la spécificité de chacun, doit pouvoir mémoriser des données qui ne lui sont pas étrangères. Il s’agit donc de moduler sa pratique en fonction de la carte d’identité de son organisme. Il faut donc partir d’une pratique de base à soi et l’orienter doucettement vers le marathon. C’est-à-dire que trois ou quatre mois avant le jour j, le coureur va faire des sorties plus longues, changer de rythme pour gagner en cylindrées. Il n’en demeure pas moins qu’il reste un chiffre clé, celui de trois qui correspond aux trois entraînements hebdomadaires nécessaires pour un marathon afin que le corps ait une mémoire de l’effort régulier. Lors de ces trois entraînements, il faut une sortie d’au moins 1h30 qui peut aller jusqu’à 2h ou 2h30 toutes les deux ou trois semaines. Attention! Si votre objectif est de boucler le marathon en 4h ou 4h30, vous ne devez surtout pas vous imposer un entraînement de 4h ou 4h30. L’entraînement doit allier de la course, bien sûr, avec d’autres activités d’endurance comme le vélo ou la natation, histoire de vous constituer un «coffre».»
Kilomètre 30
«Statistiquement, le 30e kilomètre est une sorte de tournant dans un marathon. On parle d’ailleurs du mur du 30e kilomètre. C’est généralement là que survient l’épuisement des glucides sachant que la fatigue musculaire peut, elle, surgir à tout moment. Quand on est bien entraîné, c’est davantage un muret qu’un mur. Cela se traduit par un petit coup de barre. En revanche, pour des novices, cela peut correspondre à un véritable écroulement. Pour ma part, il m’est arrivé de connaître ce que l’on appelle des détresses dans le jargon du marathonien pour m’être surentraîné avant un marathon. Une détresse, c’est une petite mort qui s’installe tout doucement et qui se termine en agonie. C’est atroce. Mais plus que ce mur et cette baisse de réserves en glucides, la déshydratation et le coup de chaleur sont les plus gros ennemis du coureur. Il faut s’en méfier en permanence. Tout le monde a encore en tête l’image de cette Suissesse qui avait terminé à pied, en vacillant, sur la piste des Jeux Olympiques de Los Angeles en 1984.»
Physique et mental
«Tout dépend de l’importance que chaque individu accorde au mental dans sa vie. Il n’existe aucune norme pour aller au bout d’un marathon. Selon moi cohabitent deux types de coureurs. Il y a des gens qui sont nés comme ça, pour s’ «arracher» la gueule, pour finir au sprint et violenter leur corps. Et il y a une autre catégorie capable de davantage composer. Moi, j’ai l’habitude de dire à ceux que j’entraîne que leur corps, c’est leur meilleur cheval. Parfois, il faut sortir le cheval avec douceur. D’autres fois, en revanche, il est essentiel de le cravacher un peu. Un juste milieu doit exister. Il est inutile de se mettre minable à chaque fois.»
Plaisir et souffrance
«L’histoire des endorphines sources de plaisir, est, selon moi, la pire connerie jamais inventée quand on parle de course de longue distance. Les endorphines n’apaisent pas la souffrance et ne provoquent pas une sorte d’extase. La preuve: il existe des produits qui bloquent la sécrétion d’endorphines et des études ont montré qu’à partir du moment où elles étaient bloquées, le plaisir ressenti par le coureur restait le même. Le plaisir vient d’ailleurs, c’est la découverte de ses limites. C’est apprendre à connaître le corps dans lequel on voyage ou on habite. A la fin d’un marathon, ce n’est pas une personne qui est à féliciter, c’est un corps. La «tronche», tout le monde l’a plus ou moins. Personne ne veut «mourir». Mais chacun a un corps avec ses spécificités, qui lâche ou ne lâche pas. Je le répète: chacun habite dans un cheval particulier. C’est que je dis à chacun de mes stagiaires marathoniens avec toujours le même message: «ton corps, aime-le».»
Yannick Cochennec