MARTINIQUE 17 avril 2008 - 17 avril 2010 : HOMMAGE A AIME CESAIRE

aimecesaire.jpgAnniversaire du décès d'un Homme, le 17 avril 2008
par Thierry Caille,

Adieu! 
Quand la terre acagnardée scalpera le soleil 
dans la mer violette vous trouverez mon œil fuman
t comme un tison. 
Fournaise, rude tendresse salut!

Disait-il ….


                                        Martiniquaises, martiniquais vous êtes souvenus de cet homme : 1 an, 8 mois et 23 jours.

                                        Martiniquaises, martiniquais vous l'avez effacé de  votre mémoire,  après 1 an, 10 mois et 11 jours.

 

                                                         Cet homme écrivait:

 

                                                                               Le rebelle

 

Dieux d'en bas, dieux bons
j'emporte dans ma gueule délabrée
le bourdonnement d'une chair vivante
me voici

Ah ! Vous ne partirez pas que vous n'ayez sentis la morsure de mes mots
 sur vos âmes imbéciles
 car sachez-le je vous épie
 et je vous dévêts au milieu de vos mensonges et de vos lâchetés
 larbins fiers, petits hypocrites esclaves et fils d'esclaves
  et vous n'avez plus la force de protester, de vous indigner, de gémir, condamnés à vivre en tête-à-tête avec la stupidité empuantie,
 sans autre chose qui vous tienne chaud au sang que de regarder cillier jusqu'à mi-verre votre rhum antillais.
 Âmes de morue

 

Le rebelle

Mon fils, mon fils, une balle pourrit entre tes sourires blancs
 … aïe, je marche sur des piquants d'étoiles. Je marche.... J'assume … Je marche
Accoudé à la rampe de feu
les cris des nuages ne me suffisaient pas
Aboyez tams-tams
Aboyez chiens du haut portail
chiens du néant
aboyez de guerre lasse
aboyez scandale d'étuve et de gris-gris
aboyez furie des lymphes
concile des peurs vieilles
aboyez
épaves démâtées
jusqu'à la démission des siècles et des étoiles

 

(le rebelle s'affaisse, les bras étendus la face contre terre, à ce moment des tams-tams éclatent, frénétiques, couvrant les voix)

Le récitant

Mais il est mort

La récitante

Mort en pleine poussée de sisal
Mort en plein vol de torches, en pleine fécondation de vanilliers ...

La récitante

Dans la forêt les meurtrières coulent de fontaine et les fleuves sans signaux trament l'aventure charnue des voyages virulents sang nomade en coquetterie de mort et de la nuit des âges
le rire mortel des momies caverneuses !

Le récitant

Orgie, orgie, eau divine, astre de chairs luxueuses, vertige
îles anneaux frais aux oreilles des sirènes plongées
îles pièces tombées de la bourse aux étoiles

Le chœur

grouillement de larves, talismans sans valeur
îles
terres silencieuses
îles tronquées

 

Le récitant

Je viens à vous

 

La récitante

Je suis une de vous, Îles!

(Vision de la Caraïbe bleue semée d'îles d'or et d'argent dans la scintillation de l'aube)

 

                                         Acte  III
Et les chiens se taisaient
Tragédie en trois actes, Présence africaine 1956

                                        Vous étiez par milliers à vous presser sur le passage de son cercueil. Vous étiez par milliers, à célébrer ses obsèques, tout vêtus de blanc, agitant des fleurs vives, de chatoyances. Vous l'avez pleuré. Vous étiez fiers ce jour-là qu'il fut des vôtres et qu'il incarnât votre pays.

                                        On aurait pu y voir une ébauche de sentiment national, relayé par les propos de son vieil ami, cinglants, jetés comme un gant, au visage de la France, présente, ce jour-là, chez vous, à son plus haut niveau.

                                        Mais comme un vidé endiablé qui finit dans l'hébétude, comme une liesse, un délire hystérique qui s'achèvent par une gueule-de-bois amère et maussade, vous avez oublié ces moments-là.

                                        Et vous l'avez oublié, cet homme, vous l'avez trahi, vous avez humilié sa mémoire, anéanti le combat de sa longue vie, honteusement.

                                        Car, peuple de bâtards, d'homoncules, avortons cupides, vils pourceaux ladres, basse engeance, tout préoccupés du travail de vos infâmes viscères,  diptères vibrionnant sur la charogne de votre histoire, seulement préoccupés de votre hédonisme et de vos perversions, panem et circense, de vos angoisses de mercantis, peuple aveuglé par les scintillements des verroteries dérisoires, esclaves épris de servitude, peuple lobotomisé, dégénéré, fin de races, sans mémoire, sans conscience, sans honneur et sans dignité, qu'allez-vous aujourd'hui, en ce second anniversaire de sa mort, déposer sur sa tombe, O profanateurs de sépulture, quels bouquets de pétales chatoyants, quelles vacillantes flammes de suif?

                                        Non, au cas où vous savez encore où il repose, déposez sur le marbre, un rameau de campêche ou d'acacia-arrête-bœuf, furtivement, de nuit, en espérant qu'elle soit sans lune, tressés en une couronne d'épines qui lui conviendrait tout-à-fait. Et quittez ce lieu à la hâte, rasant les façades lépreuses de votre cité.

                                        Souhaitez un ciel noir d'aniline cette nuit-là, car si vous perceviez une étoile, ce serait lui, astre mort qui cependant scintille, solitaire, pour des siècles et des siècles, et vous baisserez les yeux, ne soutenant pas cette lumière, au judas de cette nuit-là, insoutenable et terrible …

                                        Et vous aurez honte …

                                        Cet homme disait aussi empli de mauvais pressentiments et d'espoirs désespérés

                                        je me tourne à nouveau vers le vent inconnu sailli de poursuites.
                                        je m'en vais

                                        Les cannes à sucre nous balafraient le visage de ruisseaux de lames vertes...

                                        ... j'avais amené ce pays à la connaissance de lui-même,
                                        familiarisé cette terre avec ses démons secrets
                                        allumé aux cratères d'hélodermes et de cymbales
                                        les symphonies d'un enfer inconnu, splendide parasité de nostalgies hautaines...

 

                                        ô morts sans caveçon
                                        je bâtirai de ciel, d'oiseaux de perroquets, de cloches,
                                        de foulards, de tambour, de fumées légères, de tendresse furieuses,
                                        de ton de cuivre, de nacre, de dimanches, de bastringues,
                                        de mots d'enfants, de mots d'amour
                                        d'amour de mitaines d'enfants
                                        un monde notre monde
                                        mon monde aux épaules rondes
                                        de vent de soleil de lune de pluie de pleine lune
                                        un monde de petites cuillers
                                        de velours
                                        d'étoffes d'or
                                        de pitons de vallées de pétales de cris de faon effarouché
                                        un jour ...

                                        Un pays d'anses de palmes de pandanus... un pays de main ouverte ..

                                        J'ai choisi d'ouvrir sur un autre soleil les yeux de mon fils...

                                        Liberté, liberté,
                                        j'oserai soutenir seul la lumière de cette tête blessée.

                                        J'ai acclimaté un arbre de soufre et de laves chez un peuple de vaincus
                                        La race de terre la race par terre s'est connu des pieds
                                        Congo et Mississipi coulez d'or
                                        coulez du sang
                                        la race de terre, la race de cendre marche
                                        les pieds de la route explosent de chiques de salpêtre...

 

                                        Et déjà, apercevant une lumière noire ...

                                        Est ce toi Colomb ? Capitaine de négrier?
                                        Est-ce toi vieux pirate vieux corsaire?

 

Cet homme-là s'appelait Aimé Césaire ...

Thierry Caille