JEAN BERNABÉ : 37 ANS AU SERVICE DU CRÉOLE
Par Henri Pied, Antilla 27 mai 2010
Pourquoi 75 ans après et pas 35 ans après, puisque c'est en 1975 que Frankétienne publia son «Dézafi»? Parce que c'est en 1935 que paru «Fab Compè Zicaque» de Gilbert Gratiant pourquoi Gilbert Gratiant? Parce que, c'est grâce à lui que j'entrai dans l'univers de la beauté du créole.
Et pourquoi cette irruption? Parce que tout petit garçon, il y a déjà bien longtemps, au sortir de la 2e guerre mondiale, ma mère, Anita, une femme humble et intelligente des entours de Foyal, se fit accompagner au Ciné-Théâtre - le plus beau monument de notre capitale, dont les auteurs et créateurs eurent la délicatesse et la discrétion de demeurer jusqu'à ce jour anonymes - par ma sœur Jeannie et moi, où Gilbert Gratiant prononçait une conférence sur le créole.
Et pourquoi cette référence? Parce que c'est là que j'entendis pour la première fois «Joseph Lévé» et «Man Pè», lus par la voix du poète devant une assemblée fascinée, qui au sortir des périodes dures et troubles de l'Après 1945, buvait cette parole de cette belle voix chantante et envoûtante, comme consciente de partager un nectar…
Cette filiation, non demandée, non imposée par la génitrice, ne fut même pas une torche de résine, mais plutôt une petite bougie, dont la flamme vacillante qui exprimait mal la vaillance, aurait dû s'éteindre face aux grands vents dévastateurs de «l’Assimilation» et de la «Départementalisation» venant d’être mises en chantier surtout à la suite - en grande partie - de la volonté et de la précipitation de Jacques Soustelle, lequel cherchait la parade décisive, étant cerné par les prétentions des Américains qui menaçaient d’appliquer la Doctrine de Monroe à notre zone qu’ils estimaient alors leur «chasse gardée» ensuite, c'est tout naturellement qu’avec Alfred Fortuné, au titre des Parents du Lamentin, nous eûmes à organiser, au Cinéma «El Paraiso», vers 1975, face à une salle comble, fournie gracieusement par Max Élisée, une formidable rencontre en faveur du Créole, en présence notamment de l’écrivain Édouard Glissant, d'Alfred Sinosa, et du maire de la commune qui n’était autre que… Gratiant Georges.
C’est peu de temps après que nous avons rencontré avec notre cher Antilla, Raphaël Confiant, et que nous avons alors publié avec ce dernier et sous son impulsion, plusieurs «Antilla-Kréyol», notre journal participant alors, avec des moyens dérisoires, mais avec une volonté sans égale aux polémiques fondatrices du renforcement de notre langue…
Je ne sais si cela établi la filiation entre la salle comble du Ciné-Théâtre de la Mairie de Fort-de-France, et celle encore plus comble du Ciné «El Paraiso», hélas disparu, mais il me plaît à croire, mon cher Jean Bernabé, que j’ai respecté une transmission, moi et pour ma part, qui aura été de porter au-delà des confinements des années cinquante, la petite flamme d’une petite bougie qu’une femme intelligente m’avait insufflé avec douceur et sans prétentions d’hérédité.
Pour dire, que de ce point de vue, les progrès sont immenses et que l’action déterminée et fine que tu as menée depuis 37 ans en aura été un couronnement et que je l’ai suivie avec délectation.
Pour terminer ce voyage, je souligne deux poèmes de Gilbert Gratiant: l’inoubliable «Josef lévé», référence récursive de l’espoir intangible (voir Pg intérieure ) et aussi «Tout lajol ni an finèt» qu’il avait écrit en mai 1 963 et tu sais pourquoi? C’était en l’honneur des emprisonnés de l’OJAM…
Henri Pied