MARTINIQUE : QUEL SENS DONNER AUX COMMEMORATIONS DES EVENEMENTS DE DECEMBRE 1959 ?

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PALIMA N°7 - SEMAINE DU LUNDI 20 DECEMBRE AU VENDREDI 26 DECEMBRE 2010 

QUEL SENS DONNER

AUX COMMEMORATIONS DES EVENEMENTS DE DECEMBRE 1959 ?

 

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Les émeutes populaires de Fort-de-France de décembre 1959 font l'objet depuis plus d'une décennie de manifestations commémoratives à l'initiative d’un comité large constitué d’organisations politiques, écologistes et syndicales. Celles de Décembre 2009 marquant le cinquantenaire de ces événements, ont connu un éclat particulier.

 

Louis-Georges Placide publiait alors chez l'Harmattan, son ouvrage « Les émeutes de décembre 1959 en Martinique – un repère historique ». Le livre reprend en la mettant à jour, la première étude historique universitaire réalisée il y a plus de trente ans, sur le sujet. Parallèlement, les Cahiers du Patrimoine – publication du Musée Régional d'Histoire et d'Ethnographie, marquait le coup avec un numéro 27 consacré aux Révoltes et luttes sociales en Martinique. 15 pages co-écrites par Richard Chateau-Degat et L.G. Placide font le point sur ces émeutes, tournant historique. De nombreuses villes ont  activement participé à la mobilisation en organisant conférences et expositions (Morne-Rouge, François, Robert, Rivière-Pilote...). Le Conseil Général eut une intervention retentissante à l'époque avec l'adoption de la fameuse motion du 24 décembre 1959 réclamant le retrait immédiat de tous les CRS et des éléments racistes indésirables ainsi qu'une modification du statut de la Martinique en vue d'obtenir une plus grande participation à la gestion des affaires martiniquaises. Son implication dans la commémoration du cinquantième anniversaire fut essentielle pour la venue d'Alain Plénel, vice-recteur radié pour avoir exprimé sa sympathie aux victimes de la répression et au peuple en désespérance et pour le succès de deux conférences-débats à Fort-de-France. La première se déroula dans la salle même des débats de l'Assemblée. La seconde, point d'orgue des manifestations fit salle comble à l'Atrium.

A tout considérer, il est incontestable qu'un niveau exceptionnel de mobilisation a été atteint à l'occasion de ce cinquantenaire. Niveau quantitatif certes, mais également qualitatif à différents points de vue. Les initiatives, les actions ont été multiples, sur plus d'un mois, mais toujours avec  le souci de la convergence, de la concertation, de la collaboration à travers notamment le partage des ressources (équipe de conférenciers, matériel d'exposition, coordination des calendriers). La Martinique a fait peuple (pour l'essentiel) autour d'un moment mémorable de notre trajectoire collective. Très rares et esseulés ont été ceux qui ont choisi de bouder la dynamique nationale au profit de postures politiciennes et  nombrilistes.

Il s'agissait bien de rassembler au-delà des chapelles, des clivages de toutes natures, parce que nous devons savoir faire corps et faire vibrer ensemble nos cordes martiniquaises autour d'événements remarquables en ce que nous les reconnaissons collectivement comme étant aux fondements de ce que nous sommes.

Tout collectif, tout groupe et à fortiori, tout peuple a besoin d'un socle commun, patrimonial, qui unit et face auquel les différences deviennent secondaires. A notre avis, décembre 1959, pour ce qui concerne le passé récent, est ou peut-être un de ces moments fondateurs.

Décembre 1959 peut constituer un repère historique collectif, participant de ce socle. Il le peut dans la mesure où nous parvenons à mettre de l'ordre dans les récits multiples et à établir des faits. C'est en cela que le travail d'histoire – au-delà de la mémoire des individus ou des groupes, sans rejeter celle-ci d'emblée – est essentiel. Nous avons incontestablement progressé à ce niveau.

Il est établi que les émeutes de décembre 1959 sont urbaines et circonscrites au territoire foyalais, même si elles peuvent être évoquées ailleurs dans telle ou telle commune à l'occasion de tel ou tel incident à caractère individuel (Morne-Rouge) ou collectif (échauffourée avec les gendarmes de Sainte-Marie).

Il est établi que ces émeutes ne sont pas, comme cela a pu être écrit dans une certaine presse, « une chasse à l'homme blanc », même si les comportements racistes de nombreux CRS et fonctionnaires venant d'Afrique du nord constituent un des soubassements essentiels de cette explosion de colère. Elles expriment certainement un ressentiment anti-français (en particulier anti-CRS et anti-fonctionnaires métropolitains mais pas anti-blancs). Le béké – blanc pays- n'est pas mis à l'index. Ce n'est pas un mouvement de classe d'inspiration communiste mais davantage une réaction de la dignité martiniquaise face au mépris de l'autre et à l'exclusion.

Il est établi que la base sociale de ce mouvement est d'abord constituée par la jeunesse, une jeunesse hétérogène, jeune à l'image de la population martiniquaise d'ailleurs. Mais elle n'est pas dans la rue pour des revendications catégorielles, estudiantines, lycéennes ou ouvrières. Ce qui est sûr c'est que ceux qui vont au contact des forces de répression, ceux qui sont arrêtés, blessés ou tués viennent principalement des quartiers populaires. Les comportements sont probablement différenciés, les niveaux de conscience, les aspirations aussi.

La spontanéité, l'absence de tout contrôle d'une quelconque organisation politique, l'absence d'une vision politique unificatrice des émeutiers est également attestée. Les leaders apparaissent spontanément et ils viennent de la rue le plus souvent (Bèk annô etc.).

Mais, quelles qu'aient été les intentions des acteurs du mouvement, Décembre 1959 n'en marque pas moins un tournant dans l'histoire politique, économique et sociale de la Martinique et au-delà.  

De ce point de vue, l'impact des événements ne se circonscrit pas à ce que la conscience des acteurs a pu envisager et concevoir et cela n'a rien d'exceptionnel en soi.  

Les partis politiques ont tenté de se positionner en fonction de leurs capacités d'action. C’est le cas des communistes qui radicaliseront leur mot-d'ordre « arracher l'autonomie coûte que coûte » dit Georges Gratiant. Tous s'entendent sur la motion du 24 décembre quels que soient les sous-entendus.

L'impact des émeutes sur l'émigration antillaise est décuplée par l'effet de la distance. Elles nourrissent la foi révolutionnaire des militants en attente d'un signal du peuple.

Fantasmes, peut-être, il reste que par tous ces biais ces émeutes spontanées vont engendrer de nouvelles stratégies politiques et l'affirmation du mouvement national autonomiste puis indépendantiste.

Le gouvernement de son côté trouvera dans ces événements une justification tout-à-fait fantasmagorique certes, mais réellement et pratiquement très forte pour une politique « anti-séparatiste » radicale, passant notamment par un renforcement des moyens de contrôle militaire du territoire, d'encadrement et de déportation massive de la jeunesse (SMA, BUMIDOM), et l'exil forcé des opposants politiques supposés les plus dangereux (ordonnance d'octobre 1960). 

D'un côté comme de l'autre, les émeutes de décembre 1959 ont donné naissance sinon stimulé des choix, des orientations qui ont changé le cours de la vie politique, de l'histoire de la Martinique et des Anciennes colonies. Commémorer, étudier et comprendre ces événements, c'est donc non seulement participer à l'édification du socle culturel de la nation, mais aussi se donner des clés pour la compréhension du présent.

Le paysage politique actuel y trouve en grande partie ses origines et les fondements de ses discours; les structures démographiques économiques et sociales (émigration-déportation, transferts sociaux...) également. Le pays est cependant désormais vieillissant mais la jeunesse demeure largement sur le bord de la route, en marge de tout développement : un adulte sur deux en âge de travailler est au chômage! Le taux est encore plus alarmant si on considère les jeunes générations. La capacité explosive de cette jeunesse est-elle moindre qu'en 1959 ?

Pas sûr malgré les effets de la politique d'assistanat... La violence (des jeunes dit-on parfois abusivement) est au coeur des préoccupations de chacun. Nous savons tous qu'elle n'est pas une vue de l'esprit même s'il est également évident que le seuil de tolérance de notre société actuelle face à la violence est beaucoup plus bas.

Plus que jamais, il y a lieu de dépasser les analyses simplistes, les dogmes infertiles pour élever réellement notre capacité à être en prise avec le réel.

  Francis CAROLE                                                                                                         CHARPENTIER-TITY Clément                                                                                    (avec la contribution de R. Cha.Dégat)