«Nous sommes en train d’assister à un grand moment de notre histoire», commentaient mardi soir les journalistes de la télévision d’Etat NTA, alors que les derniers décomptes de l’élection étaient annoncés. Cela ne fait plus de doute désormais, le général Buhari, candidat de l’opposition, a remporté le scrutin présidentiel.
Les rues de Kano, vides depuis samedi, jour du vote, se sont remplies peu à peu. Les commerçants rouvraient leurs échoppes, les marchés ont repris des couleurs. Dans la mégalopole du nord du pays, le parti de l’APC (All Progressive Congress) a remporté un score digne d’un dictateur : 89,8% contre 10,2% pour le parti de Goodluck Jonathan. Le soutien pour le général Buhari est passionnel dans cette capitale de l’islam nigérian où, en fin de journée, le soulagement a gagné les rues.
Revers. Muhammadu Buhari, 76 ans, est un fils de la région. Musulman, comme l’immense majorité des habitants de Kano, il a promis de venir à bout de l’insurrection de Boko Haram. Les terroristes hantent le quotidien de la mégalopole depuis six ans, perpétrant des attentats dans les lieux publics bondés. La dernière attaque dans la mosquée centrale, en novembre, a fait 200 morts, selon les autorités. «Goodluck Jonathan a laissé Boko Haram ravager le Nord, déclare le Dr Aliu Dauda, professeur des études d’islam à l’Université de Kano. Ça l’arrangeait bien que nous soyons tués. Il savait que l’on ne voterait jamais pour lui !»
C’est un revers terrible pour le président sortant. Après seize années de démocratie, c’est la première fois qu’un parti d’opposition fait basculer la présidence. Le général Buhari a fait campagne sur la lutte contre Boko Haram, mais aussi sur les nombreux scandales de corruption qui ont secoué le pays. Selon Transparency International, le Nigeria se place au 136e rang sur 174. Quelque 20 milliards de dollars manquaient au budget de l’Etat en 2013, sans qu’aucune sanction n’ait été prise au sein du gouvernement. Au Nigeria, premier producteur de pétrole du continent, l’or noir coule à flots, mais deux tiers des habitants vivent toujours sous le seuil d’extrême pauvreté.
Le général Buhari n’est pourtant pas un nouveau venu sur la scène politique nigériane. Il fut d’ailleurs à la tête du Nigeria entre 1983 et 1985, après avoir pris le pouvoir par un coup d’Etat. Sa fermeté et son passé militaire sont vécus comme un retour dans les heures les plus sombres du passé récent du pays. «Ils nous ramènent en arrière ! clame Jones, jeune chrétien de Kano, militant du PDP (People’s Democratic Party). Goodluck nous a ouverts sur le monde. Grâce à lui, on est devenu la première puissance économique d’Afrique, nous voulons un jeune président !»
Sourires. Alors que la victoire de leur candidat se faisait imminente, les musulmans de Kano sont sortis célébrer dans les rues. Qu’importe son passé de dictateur, Buhari a changé, selon eux. Il est arrivé au pouvoir par les urnes, après avoir déjà échoué à trois élections présidentielles. La quatrième fut la bonne. Les résultats officiels devraient être annoncés dans la nuit mais, à Kano, en fin d’après-midi, les sourires sont déjà sur toutes les lèvres et on remercie Allah d’avoir enfin apporté un président musulman à la tête du Nigeria. Dans le Sud chrétien, et notamment dans l’Etat de Rivers, les violences ont commencé à éclater. Pour ne pas accentuer les tensions religieuses et politiques, il faudra que Goodluck Jonathan accepte officiellement sa défaite. Ce sera alors le vrai test pour la démocratie nigériane.
SOURCE : Libération