Roissy, Eldorado ou cauchemar ?
Inaugurée en grande pompe par les autorités en charge du tourisme, la nouvelle desserte Roissy-Antilles a été présentée par la Ministre Marie-Luce comme "un levier majeur pour le développement économique et touristique des Antilles".
A peine une semaine plus tard, c'est l'Hebdomaire "Le Point" qui nous révèle que Roissy est un aéroport est tout à fait détestable et qu'il vient d'être classé par un site américain au rang d'aéroport le plus "haï" du monde. Inquiétant non ?
Peut-on sauver Roissy.
CDG accueille chaque année 58 millions de passagers. Il vient d'être classé par un site américain au rang d'aéroport le plus "haï" du monde.
Scène de la vie ordinaire à Roissy-Charles-de-Gaulle : une petite mamie chinoise est à la peine, agrippée d'un côté à la main courante, de l'autre à son fils dans le long tube translucide qui mène au satellite d'embarquement. Le tapis roulant est en panne, une fois de plus. Derrière elle, les autres passagers piétinent... La grande nef circulaire a été naguère la vitrine architecturale de la France. Aujourd'hui, c'est un vaisseau vieillot et prisonnier de sa structure. Aéroports de Paris n'a pu y mener que des travaux cosmétiques, améliorer la signalétique, placer quelques touches de couleur. Le cas CDG 1 est désespéré.
En 2012, c'est donc au tour du gros morceau : le terminal 2. Il était temps. Car la première impression que les étrangers retirent de la France, première destination touristique au monde, est bien souvent calamiteuse. Énième preuve à découvrir sur le site Slate.fr, ce classement établi par CNNGo, site d'information de la chaîne CNN consacré aux voyages, il est l'aéroport "le plus haï au monde". Déjà en 2009, Jacques Attali avait mis le feu aux poudres en évoquant, sur le même site, un Roissy "ahurissant", après qu'un site Internet canadien indépendant, Sleepinginairports.net, l'avait consacré "pire aéroport du monde". Las, CDG a de nouveau obtenu le triste titre en 2010. Et cette année, rebelote...
"Le personnel le plus désagréable du monde"
Commentaires choisis : "une saleté cauchemardesque, les toilettes étaient pires qu'en Afrique", "le charme d'un bunker de la Seconde Guerre mondiale et le personnel le plus désagréable du monde"... Même son de cloche chez les professionnels du secteur : "La gestion des files d'attente est insupportable. Avant un vol en business pour Le Caire, j'ai attendu 22 minutes dans l'escalier à la sortie de la salle d'embarquement, puis 10 minutes dans le bus !" fulmine Jean-François Rial, P-DG du tour-opérateur Voyageurs du monde.
ADP réagit enfin. D'abord en rappelant sa longue histoire : il n'y a pas un, mais "des" Roissy, en amélioration continue. Il est vrai que les terminaux plus récents, 2E ou 2F, laissent des souvenirs moins amers aux voyageurs. Mais, revers de cette médaille, l'aéroport est un patchwork qui désoriente les passagers. "On a varié les architectures, il n'y a aucune cohérence !" tempête Jean-Louis Baroux d'APG, prestataire de services pour des compagnies aériennes. Car, de 1974, ouverture du terminal 1, à 2008, inauguration du 2G, les contraintes ont changé. "En 1974, il n'y avait pas de menace terroriste, rappelle François Rubichon, directeur général délégué d'ADP. Et la notion de hub n'existait pas : 80 % du trafic était du point-à-point (des vols sans correspondance, NDLR). Aujourd'hui, 31 % des passagers sont à Roissy en correspondance."
L'Asie en tête
Reste qu'ADP mène ses propres enquêtes et doit reconnaître qu'elles ne sont pas fameuses. Un récent sondage BVA place CDG huitième sur 16 aéroports européens. Parmi les faiblesses, la difficulté à attraper sa correspondance (67 % de satisfaits), les toilettes (79 %, seul Rome-Fiumicino fait pire avec 77 %), les boutiques (76 %) et, enfin, les bars et restaurants (69 %, derrière Zurich, Amsterdam et Munich, qui ne sont pourtant pas des capitales gastronomiques !) Résultat, le contrat de régulation économique (CRE) avec l'État de 2009-2015 se penche enfin sur la qualité du service. Au programme, de nouveaux blocs sanitaires, la création d'une "université du service aéroportuaire" censée donner le sourire au personnel, 50 restaurants aux enseignes connues, la réorganisation des files d'attente...
Cela suffira-t-il pour remonter Roissy au niveau mondial ? Avec ses 58 millions de passagers, l'aéroport se place au 7e rang pour la fréquentation, dans la cour des grands. L'Asie y grignote du trafic. Or, c'est là où se trouvent les aéroports les mieux notés, ceux auxquels CDG ne peut plus se comparer. Sur Skytrax, site Internet qui évalue compagnies aériennes et terminaux, Hong Kong (meilleur aéroport du monde en 2011, 11 millions de participants au sondage), Séoul-Incheon et Singapour-Changi (2e en 2011, 1er en 2010) squattent les premières places depuis 3 ans. CDG se classe... 87e sur 245. Mais que trouve-t-on à Singapour ? En plus d'une signalétique limpide, des salles de repos, un hôtel sous douane, des restaurants ouverts 24 heures sur 24 (les autres boutiques ferment de 1 heure à 5 heures) et une kyrielle de services allant du salon de coiffure à la réflexologie plantaire. Pas mal pour un aéroport qui n'est plus de la première jeunesse, puisqu'il a fêté ses 30 ans le 1er juillet...
Travaux
Sauver Roissy, porte d'entrée de la première destination touristique du monde : c'est tout l'enjeu des travaux en cours. Premier chantier, la "liaison A-C", un nouveau bâtiment qui reliera les terminaux 2A et 2C : 16 600 m2 supplémentaires, dont 2300 m2 de bars et de boutiques. On y trouvera du luxe, toujours plus de luxe. Cible prioritaire : ces clients, à 80 % chinois, selon ADP, qui dépensent plus de 5 000 euros en claquant des doigts avant d'embarquer.
Second chantier, le tout nouveau satellite 4 (S4), rattaché au terminal 2E, accueillera 7 Airbus A380 d'un côté, 9 Boeing 777 de l'autre, et 3 300 m2 de boutiques. Les maquettes et les photos de synthèse montrent des salles d'embarquement éclairées en lumière naturelle, décorées de bois et de verre, bref, quelque chose qui ressemble enfin aux beaux aéroports modernes. Dans les deux cas, l'accent est mis sur la fluidité des contrôles, avec 13 postes de police dans la liaison A-C et 18 dans le S4. "Encore faut-il qu'il y ait quelqu'un dedans ! Le 1er juillet, lendemain du bac, départ en vacances, les avions étaient en retard parce qu'il y avait 5 postes de police ouverts sur 25 !" s'exaspère Gilbert Gauthier, directeur des partenariats et tourisme chez Air France et délégué Air France chez Atout France.
"Bienvenue à Paris"
Retour à Paris, le 21 juillet, de Singapour justement. Dans une minute, atterrissage à CDG 1. Froufrous de tailleurs bleu marine, voix suave. "Mesdames et messieurs, il est 7 heures, la température est de 14 °C." Frisson dans l'avion. Puis l'inévitable : "Suite à une grève des passerelistes et des bagagistes, nous allons devoir attendre pour débarquer et sortir les bagages." Pause. "Bienvenue à Paris." Plus tard, devant le tapis à bagages, une grappe de touristes venus de Washington poireaute et suppute : "I think they're on strike again." On se remémore ce commentaire résigné sur Sleepinginairports.net : "J'ai fini par comprendre que CDG est l'aéroport que les Parisiens méritent." ADP a encore du boulot...
SOURCE : LEPOINT.FR