Des centaines de personnes se sont réunies à Ouagadougou samedi pour dénoncer l'usage des OGM, très répandu dans le pays
Ils. veulent «virer Monsanto» comme ils ont «viré Blaise». Entre 1 000 et 1 500 personnes, selon les organisateurs, paysans, agronomes ou membres de la société civile, se sont rassemblées pour une marche samedi matin à Ouagadougou, dans le cadre de la journée mondiale de résistance aux OGM (organismes génétiquement modifiés), qui coordonnait plus de 400 marches dans le monde. Depuis 2008, le Burkina Faso est le seul pays de la région à cultiver du coton transgénique en plein champ.
Certes, la place de la Révolution, au cœur de Ouaga, en a vu d’autres. Notamment, les manifestations monstres des 30 et 31 octobre 2014, qui sont venues à bout des 27 ans de règne de l’ancien président Blaise Compaoré. Cette mobilisation-là est bien plus modeste, mais c’est «une réussite», se félicitent les organisateurs, réunis au sein du Collectif citoyen pour l’agro-écologie. «Ma santé oui, Monsanto non», lit-on sur les t-shirts rouges des manifestants, qui ont bravé un soleil de plomb et 42 degrés, pour défendre la souveraineté alimentaire du pays.
«C’est quoi OGM ?», s’enquiert un passant auprès d’un manifestant. «Il y a un vrai manque d’information : les OGM ont été introduits en douce, sans concertation», raconte Ousmane Tiendrébeogo, à la tête du Syndicat national des travailleurs de l’agropastoral (Syntap), seul syndicat paysan anti-OGM, et aujourd’hui député du Conseil national de transition du pays. Aujourd’hui, la grande majorité (73%) du coton produit au Burkina Faso, premier producteur de cet or blanc en Afrique (710 000 tonnes lors de la dernière campagne), est OGM. Et des expérimentations sont en cours sur le maïs.
DES PROMESSES DE RENDEMENT EN HAUSSE
D’abord testé en 2003, mis au point grâce à des financements de l’agrosemencier américain Monsanto, le coton Bt (pour Bacillus thuringiensis) a été accueilli à bras ouverts par le régime de Compaoré, qui libéralisait alors la filière. La semence, qui appartient à l’Etat et au géant américain, a ensuite été commercialisée à l’échelle du pays dès 2008, en pleine crise des cours mondiaux. «Monsanto nous a dit qu’on n’avait pas le choix, compte tenu du changement climatique, raconte Issouf Sanou, économiste et coordonnateur des programmes de la Fédération nationale des organisations paysannes. Au début, on y a cru.»
Pour la première campagne, les semences sont distribuées gratuitement aux paysans, avec des promesses de rendement en hausse de 30%, et une diminution de six à seulement deux traitements insecticides : le coton Bt contient en effet un gène résistant à certains ravageurs. Une aubaine pour les paysans burkinabés, qui y voient une nette amélioration de leurs conditions de travail. «La première année on était très contents, raconte un manifestant, cotonculteur dans la région de Bobo-Dioulasso. Mais peu à peu, on a réalisé que le sol perdait en fertilité.» «Moi j’ai cultivé le coton Bt pendant trois ans, lui emboîte le pas Samuel Congo, un paysan de 33 ans qui en paraît dix de plus. J’ai abandonné parce que je perdais de l’argent, les rendements étaient très irréguliers d’une année à l’autre. Nos anciens nous ont conseillé de revenir à des cultures conventionnelles».
Inabordables pour les cultivateurs, les intrants (semences, engrais, insecticides) sont achetés à crédit. En plus, les semences Bt, beaucoup plus chères que les conventionnelles (27 000 francs CFA à l’hectare contre moins de 1 000) ne repoussent pas d’une année sur l’autre : l’agriculteur doit en racheter tous les ans, et payer une redevance à Monsanto. «C’est cette dépendance qui nous fait peur, témoigne Issouf Sanou. C’est une prison ce système : il faut tout le temps produire du coton pour payer tes dettes.»
L'EMPRISE DE MONSANTO SUR LE GOUVERNEMENT PRÉCÉDENT
Autre motif de mécontentement, le coton burkinabé a perdu en qualité, la fibre Bt étant plus courte que celle du conventionnel. La production nationale a d’ailleurs été déclassée en 2012 sur le marché mondial, passant de moyen ou haut de gamme au bas de gamme. Dernier grief en date : le coton Bt doit désormais faire face à un nouveau ravageur, qui nécessite l’introduction d’un autre insecticide. «Les inconvénients sont immenses, on ne sait pas encore comment les contrer», s’inquiète Jean-Didier Zongo, généticien à l’université de Ouagadougou, présent dans le cortège.
«Monsanto avait une très forte emprise sur le gouvernement précédent, explique Hervé le Gal, un Breton très impliqué sur le sujet avec son association Ingalañ, membre du collectif qui organise la marche. Nous voulons profiter du réveil de la société civile pour appuyer sur ce problème, et le mettre à l’ordre du jour de la transition.» Sur l’estrade, un grand type au micro ne dit pas mieux : «Il y a la révolution politique, mais il faut maintenant une révolution économique», scande-t-il. Les membres du Balai Citoyen, mouvement de la société civile qui a joué un grand rôle dans l’insurrection d’octobre, acquiescent. Des gros amplis diffusent un enregistrement de Thomas Sankara, icône panafricaine et président du Conseil national révolutionnaire assassiné en 1987, qui, en quatre ans au pouvoir, avait mis en place un programme d’autosuffisance alimentaire. La manifestation a fait sienne son slogan : «Produisons ce que nous consommons, consommons ce que nous produisons.» Sa sœur Blandine est d’ailleurs l’une des porte-parole du collectif. «Nous demandons un moratoire de dix ans sur les OGM, le temps de faire des études indépendantes approfondies. Et beaucoup plus d’informations : la plupart des paysans qui le cultivent ne savent pas ce qu’est le coton Bt.» Le ministère de l’Agriculture du gouvernement de transition, qui a reçu un mémorandum des manifestants à l’issue de la marche, va «examiner le sujet», a seulement promis un représentant.
De leur côté, les trois sociétés cotonnières du pays ont reconnu début mai des «difficultés techniques», et annoncent devoir «réduire la production de coton transgénique» en 2015, de 73% à 55% de la production totale. Elles affirment cependant que la technologie n’est «pas remise en cause». Les sociétés mettent plutôt en avant un problème de formation des paysans, qui ne respectent pas les procédures, et pour certains détournent les engrais pour leurs autres cultures. Le représentant burkinabé de Monsanto, lui, renvoie la balle aux paysans et à l’Etat : «On leur laisse faire leur marche, nous n’avons rien à dire. Les utilisateurs de la technologie parleront s’ils le veulent.» La firme américaine ne manque tout de même pas d’imagination. La veille de la marche, en plus d’un programme social pour financer des «projets innovants pour la femme et l’enfant» au Burkina Faso, Monsanto annonçait la création de Mobicot, une «plateforme d’appui-conseil» diffusant des messages sur la préparation des sols, le semis, ou le désherbage, en dioula ou en moré, sur les mobiles des agriculteurs.
Isabelle HANNE envoyée spéciale à Ouagadougou (Burkina Faso)
SOURCE : Libération