PALIMA N°22 - LES NOUVEAUX GUICHETS DE LETCHIMY

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Les nouveaux guichets de Letchimy.


 
La plénière du mardi 13 décembre 2011, à travers le vote de la majorité en faveur d'un "partenariat avec les Centres Communaux d'Action sociale, pour la gestion de dispositifs d'aide sociale de la collectivité régionale", a donc poursuivi l'inauguration de la saison des guichets de proximité. Le "plan de relance" en avait constitué une première version destinée à forcer l'allégeance des maires.


Dans le cas présent, il s'agit, en substance, d'une dotation globale de 2 000 000 d'euros, à répartir entre les différentes communes et portant sur trois types de prestations : Les besoins de première nécessité (accès à l'eau et à l'électricité...), l'installation d'équipements ménagers de première nécessité et des frais de garde pour les personnes âgées et en situation de handicap.

Une analyse un tant soit peu attentive de ce "partenariat"-puisque c'est ainsi qu'on l'appelle- révèle les dessous électoralistes d'une opération de petite politique qui ne met pas en perspective les difficultés de nos compatriotes et ne traduit pas une vision crédible de l'action sociale. Par sa nature même, ce stratagème contribue à accentuer les incohérences et à alimenter les inégalités de traitement des citoyens martiniquais.

La politisation de l'aide aux personnes

Le transfert d'une partie de l'aide sociale régionale aux CCAS aura pour conséquence majeure d'entretenir un clientélisme de proximité à des fins essentiellement partisanes. En effet, les Centres Communaux d'Action Sociale sont directement placés sous l'autorité des maires. En dernier recours, ce seront donc les majorités municipales au pouvoir qui décideront de la répartition des dotations accordées par la région, sans réelle possibilité de contrôle de celle-ci. 

Contrairement à ce que cherchent à insinuer certains, avec parfois de désespérants gémissements d'indignation, ce ne sont pas les maires que nous mettons en cause dans cette affaire. Ce qui se voit contesté, c'est le dispositif lui-même. Il faudrait habiter les plus hauts sommets de la naïveté ou les grottes les plus profondes de la mauvaise foi pour ne pas comprendre que, tel que conçu, le partenariat Letchimy aiguisera les tentations d'instrumentalisation politicienne de la misère des familles martiniquaises. Et puis, trêve de tartufferies ! A qui voudrait-on faire croire qu'une certaine classe politique coloniale, portée à toutes les compromissions et amante de toutes les démissions éthiques, se serait métamorphosée en autant d'anges protecteurs de la dignité des plus démunis ? La vérité simple-et dérangeante, nous en convenons -c'est qu'une partie non négligeable de cette classe politique coloniale a bâti son maintien au pouvoir et la reproduction de ce pouvoir sur la pratique quasi-institutionnalisée des "petites faveurs" distribuées en échange de l'allégeance au maire en place.

Cette dérive sera facilitée par le caractère monocolore des communes de moins de 3 500 habitants (et donc de leurs CCAS) qui échappent à la règle de la proportionnelle. En outre, même dans les communes de taille démographique plus importante, certains CCAS ne disposent pas d'assistantes sociales, dont dépendent la qualité des enquêtes de terrain et le professionnalisme des choix d'aide. La commune de Sainte-Luce en constitue un exemple.

Le danger dans ces conditions, et compte tenu des interférences politiques, encore plus pressantes-et oppressantes- en situation de proximité, c'est de voir triompher le fait du prince et la primauté du diktat politicien dans l'attribution des aides, avec pour effet le développement des inégalités et des injustices.

Or, dans notre pays, où les inégalités constituent un fait majeur de société, nous considérons que le principe d'égalité des droits et des chances doit constituer le  fondement même de l'action sociale. Ce principe suppose la mise en place de dispositifs transparents, avec des critères d'éligibilité identifiés et des procédures rigoureuses. Trop de Martiniquais souffrent, en effet, de disparités dans la prise en compte de leurs demandes et d'inégalités de fait.

 Il apparaît donc clairement que le "partenariat" Letchimy repose sur une opacité voulue et aboutit à la politisation, au sens le plus pervers du terme, de l'aide sociale aux Martiniquais. Cette politisation s'exacerbera à l'approche de l'élection à l'Assemblée Unique.

Le choix de l'incohérence

A l’opacité, on ajoute l'incohérence... Alors que le débat politique des dix dernières années a été centré sur la recherche de cohérence des politiques locales, la décision prise en plénière par le néo-ppm et ses alliés nous ramène à des stratégies d'émiettement et de doublons.

L'ambition de la cohérence, de l'efficacité et l'intérêt général commanderaient, en toute logique, d'établir ce partenariat avec le Conseil Général, d'autant que  les trois dispositifs transférés aux CCAS existent déjà, peu ou prou, dans cette collectivité qui dispose, par ailleurs, à travers tout le pays, d'un réseau dense  de travailleurs sociaux. La mise en place, dans moins de trois ans, de la collectivité unique, qui héritera des compétences sociales du Département, renforce la pertinence de ce choix. 

La déclaration de l'actuel président de région, en plénière, sur la nécessité pour la Région de se "concentrer sur son corps de métier, le développement", à seulement trois ans de la fusion des deux collectivités, surprend par son caractère désuet et son inadaptation au mouvement en cours aujourd'hui : "Le corps de métier" de cette assemblée unique englobera les compétences du Conseil Régional et toutes les compétences du Conseil Général. Et il faudra bien commencer à "se concentrer"  sur cette réalité ! A moins que monsieur Letchimy n'envisage de transférer toutes ces compétences sociales aux communes ! Mais, alors, il convient de l'annoncer clairement et au plus tôt ! En tout cas, ce propos du chef de file de Ensemble pour une Martinique "Nouvelle" (!), révèle une vision restrictive, simpliste et rigide du développement, tant il demeure évident que l'on ne saurait imaginer une politique de développement coupée d'une ambition de cohésion sociale.

Le choix d'un partenariat avec le Conseil Général s'impose avec d'autant plus de force et d'urgence que la Martinique s'enfonce dans la crise et que les perspectives d'avenir s'avèrent sombres.  

Ainsi, contrairement à des allégations fantaisistes, il n'y a pas "d'embellie économique". Certes, une augmentation du PIB a été enregistrée en 2010, mais il s'agit d'un effet de rattrapage de la consommation des ménages après le reflux de 2009. Le niveau du PIB de 2010 reste encore inférieur à celui de 2007. La situation de l'emploi ne s'améliore pas : en 2010, 1 250 emplois ont été perdus. Dans sa communication sur l'évolution du marché du travail à fin octobre 2011, Pôle emploi montrait que le nombre de demandeurs d'emploi avait, à cette date, atteint son plus haut niveau sur les dix dernières années... Point n'est besoin d'avoir des talents de "gadézafè" pour prévoir que la demande sociale explosera dans un tel contexte et mettra à rude épreuve les collectivités. Il n'est pas question d'en pleurer d'angoisse, ni d'ignorer que la réponse à la crise est aussi politique et pose la question de notre volonté de sortir de la "ratière" économique actuelle.

Néanmoins, des réponses sociales s'avèrent indispensables pour traiter le cours terme. C'est dans cet esprit que nous avons proposé d'élaborer avec le Conseil Général une "convention de développement social" qui renforcerait la mutualisation des moyens des deux collectivités et leur capacité à prendre en charge les besoins de la population, dans la cohérence et l’efficacité. La réunion, au plus tôt, des deux commissions sectorielles, aurait permis de procéder à un état des lieux et de définir des politiques à la hauteur des enjeux auxquels nous sommes confrontés. Au-delà, cette démarche aurait contribué à mieux appréhender le moyen et le long terme, avec, en point de mire,  la mise en place de la collectivité unique. Serge Letchimy et ses alliés ont, une fois de plus, choisi la manœuvre politicienne, la satisfaction des intérêts de clan, la petite besogne à courte vue... Le plus étroit contre le plus large.

Francis CAROLE Clément CHARPENTIER-TITY