« A 20 ans, j’ai eu le sentiment d’être devenu vieux »
Raphaël Confiant a été distingué par le prix 2010 de l’AFD (sur la photo, Michel Jacquier directeur général délégué de l'AFD) pour son roman L’hôtel du bon plaisir chez Mercure de France. Il était à Paris, mercredi dernier pour recevoir son prix. Rencontre avec un des pères de la créolité.
Le héros de votre dernier roman est un bâtiment des Terres Sainville. Comment est venue cette idée ?
J’ai lu Immeuble Yacoubian, le premier roman de l'écrivain égyptien Alaa al-Aswani qui raconte l’histoire de ce lieu et des ses gens. Je me suis dit que ça pourrait se passer aussi bien aux Antilles. Avec un bâtiment comme personnage principal, les choses vivent leur vie propre. Sur trente ans, les murs vivent, parlent… ils ont abrité les souffrances, les rêves et les espoirs. Les gens changent mais leurs histoires se répercutent sur les nouveaux arrivants. Un bâtiment, c’est vivant. Ce n’est pas qu’un bloc de béton.
Que racontez-vous ?
Je décris trente ans de l’histoire de ce bâtiment d’un quartier populaire de Foyal qui abrite des gens de couches sociales et ethniques différentes. De 1922 à la fin des années 1950, chacun arrive dans cet immeuble avec sa vie, sa profondeur de vie. Le quartier des Terres Sainville est un quartier que j’aime beaucoup. C’est le repaire des malandrins et des femmes de mauvaise vie, du petit peuple. On me reproche d’ailleurs de faire une littérature populacière mais mles héros sont des gens du petit peuple.
Vos personnages sont-ils totalement imaginaires ou inspirés ?
Quand je crée mes personnages, j’essaie de ne pas me limiter à l’image d’une personne, mais aux traits de plusieurs. Je fais en sorte que mes inspirateurs ne se reconnaissent pas. J’ai eu le malheur une fois de mettre en scène dans un roman le maire de Fort-de-France que l’amiral Robert avait nommé pendant la guerre et je lui ai donné son vrai nom : Jean de la Garrigue de Survilliers. Un huissier a débarqué avec un libelle me sommant d’enlever le nom du grand-père dont j’avais fait un collaborateur, alors qu’en 1944, il avait rallié la France Libre… Mon éditeur Grasset a paniqué et malgré mon refus, il a cédé. Je passais rue Valmeunière et j’ai choisi ce nom en remplacement. Ca m’a fait une pub ! Les gens voulaient absolument le livre où il était question de l’ancien maire de Fort-de-France ! Peu après, j’ai lu aux archives qu’il avait existé une famille blanche créole de la Valmeunière… Heureusement cette famille était éteinte ! Oui, on crée des personnages inspirés mais il y a forcément des personnages inventés et des personnages historiques et là, ça devient ennuyeux… Jean Barnabé s’est lui-même reconnu dans un de mes romans, Le nègre et l’amiral, alors que je n’avais pas pensé à lui. Mais inconsciemment oui.
Pourquoi cette période ?
Je suis incapable d’écrire sur une période moderne. J’appartiens à la dernière génération de la société de plantation qui s’est construite sur trois siècles et qui s’est effondrée vers la fin des années 1960. A 20 ans, j’ai eu le sentiment d’être devenu vieux, quand mon monde a cessé d’exister. La distillerie de mon grand-père a fermé et la banane a remplacé la canne, l’immigration vers l’Hexagone a commencé… 99 % de mes textes se passent à des époques que je n’ai pas connues mais qui ont été largement commentées dans ma famille. Mon imaginaire est passéiste selon certains, mais aujourd’hui la Martinique n’a pas réussi à s’affranchir de ce choc civilisationnel et à se recréer.
Pourquoi avoir choisi de mettre en scène toutes les ethnies présentes en Martinique ?
Ma génération de la créolité a ce souci de donner toute sa place à toutes les composantes de la société. Notre société est violente et fondée sur deux des trois crimes contre l’humanité : le génocide des Amérindiens et la traite et l’esclavage des Noirs. Il faut dépasser cette violence et rendre à chacun sa place. Dans l’Eloge de la créolité, nous avons créé cette idée de l’identité multiple et non unique comme elle l’est dans l’ancien monde, l’Europe, l’Afrique et l’Asie. Aux Antilles, on peut aller à la messe le dimanche matin, à une cérémonie hindoue l’après-midi et aller le soir voir un quimboiseur. Faire allégeance à plusieurs Dieux ne gêne personne même si ce n’est pas facile à vivre. Dans mes livres, je m’emploie à faire vivre les différentes facettes de la société.
Comment choisissez-vous d’employer tantôt le créole, tantôt le français ?
Je ne décide pas. Il y a une réalité sociologique. Il y a des moments où l’on parle créole, d’autres où l’on parle français. C’est la diglossie. Dans mes livres, je respecte la réalité diglossique. Ce n’est pas une décision de ma propre fantaisie ! Quand j’écris, je pense d’abord à mes lecteurs antillais et quand je corrige, j’essaie de le désambiguiser pour que ça touche un public francophone.
Et votre langue avec ses créolismes ?
J’essaie de bouturer l’oralité créole sur la littéralité française. La langue créole a des racines profondes dans les dialectes d’oil, notamment le normand. De la cacophonie linguistique des premiers temps va naître la langue des noirs et des blancs, le créole Quand j’introduis un terme créole, je fais référence à une ancienne source du français comme avec le mot « hallier » qui veut dire en normand buisson. Ca a donné « razié » en créole. C’est pour écriore un français qui nous ressemble. Mais il n’y a pas que les mots, il y a un jeu sur la poétique de langue, ce que j’appelle le bouturage d’une langue sur une autre ou une façon d’autochtoniser le français.
Propos recueillis par FXG (agence de presse GHM)