AN - PROJET DE LOI DE FINANCES 2012 : INTERVENTION DU DÉPUTÉ ALFRED MARIE-JEANNE

amj3.jpgAlfred Marie-Jeanne : "On nous remet les clés de notre développement au moment où l'exogène a déjà mis KO l'endogène."

PARIS - Assemblée Nationale. 9 novembre 2012. Discussion et vote du projet de Loi de Finances 2012. Ci-joint, discours prononcé à la tribune de l'Assemblée Nationale par le Député Alfred Marie-Jeanne.

Discours du député Alfred MARIE-JEANNE lors débat relatif au projet de loi de finances pour 2012

 

Monsieur le Président,

Madame la Ministre,

Collègues de l'Assemblée

 

 

Quelles que soient nos convictions politiques respectives, on ne peut nier que ce sont les marchés financiers et les agences de notation, qui de concert, tiennent en haleine les politiques, et ligotent les Etats pourtant dépositaires et gardiens de la souveraineté de leur peuple.

 

De renoncement en démission, de soumission en reddition, la réalité a dépassé la fiction au point qu'actuellement nous surnageons dans un univers à l'envers.

 

Et nous ne sommes pas au bout de nos peines au regard des nouvelles mesures de rigueur prises par le gouvernement mis à genoux et obligé de boire le calice jusqu'à la lie pour conserver la fameuse note triple A.

 

Je ne suis ni hors sujet, ni dans l'outrance, ni dans la démesure.

Je suis au centre d'un constat et au coeur d'un drame pathétique qui ne peut laisser personne indifférent.

 

Il a suffi d'une simple annonce d'un référendum hypothétique en Grèce pour déclencher, panique, courroux, et injonctions menaçantes de toutes sortes.

 

Solidarité oblige nous dit-on.

 

Mais solidarité avec qui lorsque l'on constate que la charge de l'effort est très inégalement répartie.

 

Elle bossue injustement les plus humbles, exempte impunément les responsables du désastre et  ménage les plus nantis.

 

Comme le disait de façon provocatrice Bertold BRECHT : '' le peuple a perdu la confiance du gouvernement, il faut dissoudre le peuple''.

 

Dans ces cas d'espèce le peuple est le premier concerné puisque c'est lui qui porte et supporte l'austérité qui lui est massivement imposée.

 

Et pourtant il est le seul à ne pas être consulté sur un sujet aussi brûlant qui rogne ses revenus de façon grandissante, précarisant d'autant sa vie au quotidien.

 

C'est certain qu'il y a des questions d'urgence à régler. Mais il y a surtout des questions de fond à ne pas escamoter; car au train où ça va, il n'y a pas de garantie de solution viable dans un proche ou lointain avenir. C'est la nébuleuse la plus totale. En effet, peut-on se permettre de faire l'impasse sur les dysfonctionnements mortifères de ce monde d'aujourd'hui ?

 

La démocratie serait-elle devenue à ce point un danger public pour les spéculateurs invétérés ?

Pour éviter la tentation totalitaire et remédier aux défauts de la démocratie, il faut au contraire davantage de démocratie.

 

Solidarité oblige nous dit-on.

En 15 ans, les plus grosses fortunes françaises ont bondi six fois plus vite que les richesses du pays. Ce sont les Usain BOLT de cette course effrénée.

 

Malgré la crise impitoyable et inhumaine et les appels pressants à la modération, les PDG des banques françaises ont passé outre. Leurs rémunérations ont été augmentées de 45 % en un an.

Et on va de révélation en révélation.

 

C'est ainsi que le journal bien nommé les ''échos'', nous apprend que 400 sociétés européennes cotées ont retrouvé le niveau de leur marges de profits d'avant la crise.

Elles possèdent ''un coussin de sécurité'' de 3000 milliards d'euros. Et ce matelas financier est placé en grande partie dans les paradis fiscaux pour échapper à l'impôt. Ce montant représente pratiquement 10 fois le budget de la France.

Pour ces super-gagnants, l'argent coule à jet continu.

 

En face, qui paie concrètement les conséquences de cette situation krabik ? Hélas, comme en tout temps, ce sont les petits qui ont pâti.

 

Et avec l'amenuisement des dépenses publiques, bouée de secours et de recours, c'est la paupérisation qui s'étale, c'est la clochardisation qui s'installe, c'est la drogue qui met en perdition, c'est la violence qui gangrène.

 

Solidarité oblige nous dit-on

 

Paraît-il que citer des chiffres horripile, agace et indispose. 

Entendons-nous bien. Les chiffres que j'avancerai, ne sont pas traficotés. Ils peuvent offusquer mais ne cherchent nullement à offenser. 

Ils sont tirés des institutions officielles : l'IEDOM, l'INSEE, les rapports des inspections générales, les revues spécialisées dont c'est le métier.

Ces différentes instances d'information sont réputées indépendantes, neutres et objectives.

 

Voici quelques données chiffrées :

 

La France compte au bas mot entre 8 et 9 millions de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté, seuil fixé à 954 € par mois.

La moitié d'entre elles n'atteint même pas ce seuil minimum de référence.

 

En Martinique :

 

Ce seuil est de 616 € par mois avec en sus le coût de la vie beaucoup plus chère. 

Le taux de chômage ne cesse d'augmenter. Il est de 25,4% 

Celui des jeunes de 18 à 25 ans culmine au pic de 62 %.

Les offres d'emplois durables, je ne parle pas de jobs occasionnels, ont chuté, écoutez bien ! de 33% en un an.

Le nombre de dossiers de surendettement a grimpé de 32% en un an.

La météo du climat des affaires qui prend le pouls des chefs d'entreprises indique un degré de pessimisme et de déception en hausse de 2,5 % sur le dernier trimestre étudié.

 

Dans ces conditions, faire encore des ponctions sur la Martinique ne peut qu'amplifier les déconvenues et les aléas.

 

Dans ce contexte, le budget 2012 de la mission Outre-mer ne peut faire de miracle. C'est le contraire qui se produira avec un ralentissement prévisible accru de l'activité.

 

Malgré tout, on aurait pu quand-même mieux faire en regardant au plus près les mesures d'austérité qui ont été retenues pour réduire le fardeau de la dette de la France qui s'élève à environ 1700 milliards d'euros soit plus de 

86 % de sa richesse. Et dans ce montant figurent les dettes des régions, des départements et des communes pour environ 170 milliards d'euros.

Il existe une exception, c'est celle de la région Martinique que j'ai eu l'honneur de présider et dont la gestion a supprimé l'endettement énorme qui l'accablait. S'il y a perte du triple A, ce n'est pas dû à l'ancienne Région.

 

En 2012 le premier poste budgétaire  de l'Etat est le remboursement d'une partie des intérêts de cette dette anesthésiante pour un montant de 50 milliards d'euros. 

 

Solidarité oblige nous dit-on

 

Taxer inopportunément les complémentaires santé constitue-t-il pour la Martinique une mesure de justice sociale réparatrice et solidaire?

 

Est-ce que trop de taxes disséminées ici et là n'engendrent pas plus de casses supplémentaires ? 

 

L'an dernier, la Martinique a contribué au redressement dans des proportions non négligeables me semble t-il . L'effort par habitant serait relativement plus significatif qu'en France. S'il en était ainsi, il n'y aurait ni égalité et encore moins d'équité.

 

Solidarité oblige nous dit-on

 

Le dispositif d'abattement d'un tiers sur le résultat des exploitations situées dans les DOM est-il bien ciblé ? J'en doute un peu. Car un rapport récent de l'inspection générale des finances affirme que 46 % du coût de cette mesure bénéficiait à des entreprises de moins de 9 salariés. N'y a t-il pas là un vrai hic qui mérite un peu plus d'éclaircissement ?

 

Solidarité oblige nous dit-on

Comme par enchantement, le gouvernement nous exhorte fortement à nous ancrer de plus en plus dans notre sphère naturelle, le Continent Caraïbe. Enfin !

 

Mais qui jusqu'à ce jour nous l'avait interdit ? Pas celui qui vous parle en tout cas.

Il l'a toujours revendiqué car c'était un non sens de ne pas y être intégré.

 

A cet égard vous avez déclaré, Madame la Ministre, le 26 octobre dernier devant la commission des affaires économiques que votre budget n'a qu'un but et je vous cite:

''Il s'agit de redonner aux ultramarins les clés de leur développement et de les accompagner dans les projets qui sont les leurs''.

 

On nous remet les clés de notre développement au moment où l'exogène a déjà mis KO l'endogène.

C'est la preuve qu'a posteriori, notre développement ne nous a jamais réellement appartenu et qu'il a toujours été orienté et réorienté selon les choix décidés par Paris et de Paris.

 

J'espère qu'il n'en sera pas encore ainsi et que la Martinique y trouvera son compte.

 

Car il n'est jamais trop tard pour mieux assumer, à condition de mettre à bas les très nombreux carcans existants.

Parmi eux, citons pêle-mêle, le problème des visas, l'insertion à part entière dans des organismes régionaux et internationaux, l'aide au fret ou l'aide à l'export, les zones de pêche...etc...

 

Sachez par exemple que l'aide au fret ne peut être attribuée que sur des trajets Union Européenne/ DOM ce qui est restrictif et dommageable à souhait

 

A l'époque, j'avais demandé la possibilité de l'extension de cette mesure aux frets régionaux ce qui fut refusé.

 

Si les choses restaient en l'état, développement endogène et ancrage dans la caraïbe resteraient un leurre de plus.

 

Il faut libérer totalement la coopération de toute entrave préjudiciable à sa réalisation.

 

En conclusion.

 

Un nouveau monde est en train d'émerger.

Dans la Caraïbe, notre berceau géographique, cette émergence ne peut se concevoir sans nous ni contre nous comme cela a été le cas dans le passé.

Nous ne pouvons plus nous satisfaire du rôle mineur de paravent et de pare-chocs.

Nous devons être acteurs et non observateurs.

Nous devons être partenaires. Il y va de l'intérêt réciproque bien compris de chacun et de tous.

                                                                         

 

                                                                          Alfred MARIE-JEANNE

  Député de la Martinique

 

                                                                         Paris le 08 novembre 2011