"La double peine infligée à l'Outre-mer"
Dans une interview publiée dans le quotidien Le Monde de ce jour, Brigitte Girardin, ancienne ministre de l'Outre-mer sous Jacques Chirac, reproche au Gouvernement Fillon d'avoir diminué les dispositifs en faveur de l'emploi et de l'investissement au début de la crise économique.
Pour ceux qui en doutait encore, la crise actuelle était prévisible. C'est en partie la conséquence directe de choix politiques tant sur le plan fiscal, économique et social. Le vote du 7 décembre 2003, nous permettait de corriger le tir. Nous avions dit NON. L'erreur est humaine mais ne persistons pas dans l'erreur, prenons en mains nos propres intérêts.
Source : Le Monde
Brigitte Girardin : Bien sûr ! Lors de mon voyage aux Antilles en octobre, j'avais tiré la sonnette d'alarme sur le risque d'une double peine infligée à l'outre-mer : d'un côté, la crise, dont on savait qu'elle allait frapper beaucoup plus violemment ces économies, plus fragiles, et qui est d'abord une crise de confiance ; de l'autre, l'interruption brutale de la loi de 2003, alors qu'elle avait été prévue pour quinze ans, ce qui a eu pour effet de briser la confiance. Cette loi, qui n'était pas du tout une loi d'assistanat, favorisait le développement endogène, en soutenant l'investissement, l'emploi et la production locale. Or, le budget 2009 a plafonné les défiscalisations mises en place, pourtant ciblées et contrôlées. Alors que le président parle de relance par l'investissement face à la crise, j'ai le sentiment qu'on a fait vraiment l'inverse en outre-mer. Le budget a aussi réduit de 150 millions d'euros les exonérations de charges sociales pour les entreprises. Alors qu'on voit bien que celles-ci sont au cœur du blocage des négociations actuelles. Enfin, le projet de loi Jégo prévoyait de mettre fin à la défiscalisation sur le logement libre et intermédiaire, pour la limiter au logement social. Tous les programmes de BTP s'étaient alors arrêtés aux Antilles... On a donc envoyé les plus mauvais signaux au plus mauvais moment. J'avais prévenu que faire des économies sur l'outre-mer pouvait coûter très cher. Malheureusement, cela se confirme aujourd'hui. Le gouvernement a-t-il trop tardé à réagir ? Tout le monde s'accorde à dire que cette crise n'a pas été bien gérée. On voit bien qu'il y a un profond malaise identitaire. Nos compatriotes ont eu le sentiment que l'Etat était trop lointain et peu à l'écoute. C'est un besoin de davantage de France, de République, de respect, qui s'exprime. Et ce n'est pas quand le malaise est là qu'il faut commencer à discuter. Il faut anticiper. Mais je considère que Nicolas Sarkozy a eu raison de se saisir de ce dossier et de s'y investir personnellement. Nos compatriotes d'outre-mer ont été habitués à voir leur problèmes traités au plus haut niveau de l'Etat, il est important que le président renoue avec cela. Les moyens annoncés vous paraissent-ils en mesure d'améliorer la situation ? Le projet d'états-généraux dans chacun des départements d'outre-mer est une très bonne initiative. Mais je me permets une remarque, sur la méthode : un nouveau projet de loi, dont on nous dit qu'il n'est plus adapté car rédigé avant la crise, doit pourtant être examiné en mars au Sénat. Mais selon moi, il faut d'abord tirer les enseignements des états-généraux avant de légiférer. Sinon, à quoi bon discuter ? Enfin, je ne suis pas contre les efforts de solidarité nationale, et notamment la mise en place anticipée du RSA. Mais il faut surtout travailler sur la création de richesses localement, parce que c'est comme ça qu'on créera de l'emploi. J'ai entendu parler d'un gel des baisses des exonérations de charges sociales prévues dans le budget 2009 : c'est une bonne nouvelle. Je rappelle qu'au cours des cinq dernières années, les dispositifs mis en place en 2003 ont créé de l'emploi dans le secteur marchand : 13 % de hausse en Martinique, 14 % en Guadeloupe, 15 % en Guyane, 23 % à la Réunion. Le secrétaire d'Etat à l'outre-mer, Yves Jégo, très fragilisé par cette crise, dit désormais qu'il faut peut-être envisager un autre outil au niveau du gouvernement. Je crois que cela fait partie des mauvais signaux envoyés à l'outre-mer dès le début du mandat de Nicolas Sarkozy : la droite n'avait jamais, auparavant, remis en cause un ministère de l'outre-mer de plein exercice. Seule la gauche s'était contentée d'un secrétaire d'Etat rattaché au ministère de l'intérieur. Or, les dossiers de l'outre-mer sont interministériels : si l'on veut que tout le gouvernement soit mobilisé, il faut un ministère, quelqu'un qui a un poids politique, une véritable administration, et qui est soutenu par le chef de l'Etat. Je n'aurais jamais obtenu l'arbitrage en faveur de la loi de 2003 sans l'intervention de Jacques Chirac. Nos compatriotes d'outre-mer ont eu, là encore, l'impression qu'on se désintéressait d'eux. Autre signal : il n'y a pas un seul ministre originaire de l'outre-mer dans l'équipe actuelle, alors que ce fut toujours le cas dans les gouvernements de droite. Comment envisagez-vous la suite des événements ? Il est très difficile de rattraper les choses quand des maladresses ont été commises. Ceci dit, il faut sortir de cette crise au plus vite, car les économies locales sont d'ores et déjà sinistrées. Cela exige un effort de responsabilité de tous les partenaires. Il n'est pas question que l'Etat se substitue aux entreprises et finance des hausses de salaires, comme évoqué dans les négociations actuelles. Mais il faut soutenir ces entreprises fragiles, qui sont surtout des petites unités, en même temps que l'investissement, car tout est plus compliqué dans ces territoires, entourés de pays aux coûts salariaux très faibles.
La crise en Guadeloupe pouvait-elle être anticipée ?