A QUOI SERT LE CONSEIL ECONOMIQUE SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL ?

Certains réclament sa suppression !

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Cible de nombreuses critiques, cette institution peu connue des Français a récemment fait l'objet d'une réforme de modernisation. Sa nouvelle assemblée va élire son président le 16 novembre dans un climat tendu et alors qu'un député a publiquement réclamé sa suppression 

 

La présence de plusieurs proches de Nicolas Sarkozy et de nombreux élus UMP parmi les quarante «personnalités qualifiées» nommées par le gouvernement et qui siègeront pour cinq ans au Conseil économique, social et environnemental (CESE) mercredi 27 octobre a fait l’objet d’interrogations dans les médias: les observateurs y ont vu tantôt un signe de politisation de l’institution, tantôt une nouvelle preuve que celle-ci ne servait qu’à récompenser les proches du président pour services rendus. Le député UMP Hervé Mariton a même souhaité dans les colonnes du Figaro la suppression de cette institution qui «ne sert à rien». A quoi sert vraiment le CESE, comment fonctionne-t-il et pourquoi l’institution est-elle si souvent critiquée?

Troisième assemblée du pays derrière les deux assemblées parlementaires que sont l’Assemblée nationale et le Sénat, le CESE diffère de ces deux dernières parce que ses membres ne sont pas élus. Les textes de loi en vigueur définissent cette institution consultative ainsi:

«Représentant les principales activités du pays, le Conseil favorise leur collaboration et assure leur participation à la politique économique, sociale et environnementale de la Nation. Il examine les évolutions en matière économique, sociale ou environnementale et suggère les adaptations qui lui paraissent nécessaires.»

Composition

Le CESE est composé de 233 membres nommés pour un mandat de cinq ans selon deux modes de désignation. La plupart sont nommés par les organisations qu’ils représentent. Les salariés sont ainsi représentés par 69 membres, choisis par les syndicats eux-mêmes, tandis que le patronat choisit 27 représentants, les artisans 10, etc. Il compte aussi des membres représentant les professions libérales, les agriculteurs, le monde associatif...

La composition du Conseil n’avait pas été modifiée depuis 1958, rendant l’institution peu représentative et inadaptée aux réalités sociales du pays. Certaines catégories comme les agriculteurs bénéficiaient d’un nombre de sièges trop important par rapport à leur poids réel dans l’économie, tandis que d’autres étaient sous-représentées.

La récente réforme de l’institution (2010) a voulu remédier à cet état de fait, en intégrant les acteurs du secteur environnemental (évolution qui se traduit aussi par le changement de nom de l’institution, anciennement le Conseil économique et social). 33 sièges sont désormais réservés «au titre de la protection de la nature et de l'environnement» (dont 15 membres qualifiés nommés par l’exécutif), au détriment des agriculteurs par exemple qui perdent 10 sièges pour ne plus en compter que 23. La «jeunesse» a également fait son entrée, avec quatre représentants des «jeunes et des étudiants».

Membres qualifiés

Mais les nominations qui font l’objet de toutes les critiques sont celles des fameux membres qualifiés: ces 40 personnalités sont nommées librement par l’exécutif en raison de leur expérience et de leurs compétences dans divers domaines. Le politologue Jean Petaux résume ainsi dans les colonnes de Sud-Ouest la tradition en ce qui concerne la nomination de ces membres qualifiés:

«On se situe dans une tradition prétorienne, royale et napoléonienne. La désignation des 40 personnalités qualifiées résulte du fait du prince. Il s'agit de s'en remettre “au roi en son conseil”, comme l'on disait autrefois. C'est un mécanisme de rétribution pour services rendus.»

Cette critique, qui n’est pas nouvelle, a redoublé depuis l’annonce du prochain collège. Certains des nommés, comme l’escrimeuse Laura Flessel, la navigatrice Maud Fontennoy ou la chef d’orchestre Claire Gibault, prêtent simplement à sourire tant il est difficile de voir en quoi leur parcours professionnel leur garantit une hauteur de vue qui leur permettra de donner un avis éclairé sur les grandes questions économiques et sociales. Mais le nombre de proches de Nicolas Sarkozy et d’élus UMP ou apparentés (plus d’une douzaine) dans ce nouveau collège semble marquer une politisation du CESE. Le conseiller social du président de la République et un des architectes de la réforme des retraites, Raymond Soubie, le médiateur de la République Jean-Paul Delevoye, l’adjoint d’Alain Juppé à la mairie de Bordeaux Hugues Martin, le maire de Calvi Ange Santini sont autant de membres influents de l’UMP.

Pour le sénateur PS Jean-Claude Frécon, rapporteur de la commission des finances sur le CESE, «les nominations politiques des membres qualifiés ont toujours existé, mais elles se faisaient plus discrètement. Celles qui viennent d’être faites ont franchi un nouveau palier.» Parmi ces élus UMP nommés «au titre de la vie économique et du dialogue social», certains ont même rendu des services directs à l’Elysée: Hervé Marseille, maire de Meudon, avait ainsi laissé sa place au conseil d’administration de l’Epad à Jean Sarkozy quand celui-ci en briguait la présidence, tandis qu’Yves Urieta s’était allié à l’UMP pour empêcher François Bayrou d’être élu maire de Pau en 2008. Thomas Legrand revenait également sur le maintien de Pierre Charon dans les colonnes de Slate:

«Pierre Charon est conseiller en “tout et rien” du président, c’est surtout son ami et il travaille à l’Elysée. Il était déjà, en même temps, au conseil économique et social (il n’y mettait d’ailleurs quasiment jamais les pieds)! Toujours est-il que Pierre Charon est nommé, à nouveau, au CESE.»

L’éditorialiste évoque le paradoxe des dernières nominations:

«C’est Nicolas Sarkozy qui est à l’origine de la modernisation du Conseil économique et social, devenu le Conseil économique social ET environnemental en 2008. Le président a, fort justement, et compte tenu de l’importance des questions écologiques prises en charge par le monde associatif fait ajouter ce volet environnemental. Mais l’effet de cette modernisation est annulé par la pratique, à l’ancienne, du président.»

Une institution inutile?

Une autre critique récurrente, qui vient d’être formulée de manière virulente par Hervé Mariton dans les colonnes du Figaro: le CESE ne sert à rien, il faut donc le supprimer. Le constat dressé par le député UMP de la Drôme n’est pas flatteur:

«Le CESE est un rite, qui ne rebondit sur rien et qui ne transmet rien de ce qu'il entend. Oui, nous avons besoin de démocratie participative, pour parler en bon français, mais non, ce n'est pas au CESE que cela fonctionne.»

A première vue, l’idée de rassembler des représentants de la société pour réfléchir aux réformes et autres projets de loi et de faire participer des acteurs économiques et sociaux au débat démocratique est difficilement critiquable. Mais, selon Hervé Mariton, cette mission n’est pas remplie. Le problème ne serait donc pas la mission du Conseil, mais son utilité réelle.

En tant qu’assemblée consultative, il est difficile de mesurer l’efficacité ou même l’utilité du CESE. Ce que l’on sait, c’est que le Conseil s’est réuni en 2009 à 18 reprises en séance plénière, et que 356 réunions de section se sont tenu. Au cours de cette même année, le Conseil a rendu 26 avis, dont la grande majorité à la suite d’auto-saisines et non après sollicitation du gouvernement (seulement 2). Ces avis sont-ils lus? Pas toujours, comme le reconnaît Jean-Claude Frécon:

«Le Conseil est formé de personnes compétentes qui représentent l’ensemble de la société civile et dont les avis sont souvent très pertinents. C’est la troisième assemblée du pays, et il reflète l’avis de la population. En tant que rapporteur de la commission du budget sur le CESE, je m’intéresse à ses travaux, mais on ne peut pas dire que tous les parlementaires lisent les rapports du Conseil. C’est dommage. Certains rapports sont très demandés, d’autres pas du tout. Avant de remettre en cause l'utilité du CESE, il faudrait d'abord que les parlementaires lisent ses travaux.»

Le Conseil «produit des travaux qui ne sont pas sans intérêt» confirme Dominique Reynié, professeur à Sciences Po et chercheur au Cevipof. Pour le sénateur Frécon, le rapport rendu en novembre 2007 sur la question du travail du dimanche est un bon exemple du travail de qualité que peut effectuer le CESE, et sur lequel se sont notamment basés les parlementaires pour la loi votée à l'été 2009. Mais de nombreux autres travaux n'ont pas connu le même sort.

Réforme

Il faut dire que jusqu’à récemment, le Conseil ne pouvait être saisi que par le gouvernement, ou se saisir lui-même de toute question relevant de sa compétence. Le Sénat a pointé du doigt dans le rapport sur réforme de l’institution qu’elle «a trop souvent été ignorée par ses autorités de saisine, qui n'ont que rarement fait appel à lui: ainsi, en 2007, le Conseil n'a produit que 4 avis sur saisine gouvernementale». Le rapport citait Jean-Claude Frécon: «Les auto-saisines ne sont, en réalité, qu'une variable d'ajustement que le Conseil utilise pour pallier le faible nombre de saisines gouvernementales.»

Le président de Pôle Emploi Dominique-Jean Chertier déplorait quant à lui dans une étude rendue à Nicolas Sarkozy en janvier 2009 le «manque de réactivité» et le fonctionnement «en vase-clos» du CESE, dont les productions étaient «trop souvent déconnectées des problèmes du moment», et préconisait une «profonde réforme» de l’institution.

Pour corriger ce défaut, la réforme du CESE adoptée en mai 2010 permet désormais aux présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat de le saisir pour avis. Les citoyens pourront en faire de même, à condition qu'ils aient réuni un certain nombre de signatures. Une consultation en urgence par l'exécutif –garantissant une réponse dans les dix jours– sur tout projet de réforme ou loi sera également possible. Ces changements ont pour objectif de rendre l’institution plus réactive et davantage en prise avec l'actualité, et que ses avis soient plus utilisés par le parlement.

Mais le problème de la mesure de l’efficacité demeure, et la LOLF, la réforme des lois de finances censée introduire la culture de la performance dans les administrations publiques, n’est pas appliquée au CESE. Le rapport 2010 de la commission des finances pour le CESE partage ce constat: «La fonction consultative du CESE se prête mal à la logique “lolfienne” de résultat. Aussi les objectifs mesurent-ils plus une activité qu'une stratégie de performance.»

Budget

Autre question qui fait régulièrement l’objet de critiques, et que la réforme n’a pas vraiment abordée en profondeur: le coût du CESE. Hervé Mariton rappelle qu’il est «tout de même de 40 millions d'euros par an au niveau national, auquel il faut ajouter le coût des 30 CESE régionaux. Si on pouvait économiser une centaine de millions d'euros, ce serait toujours ça!»

Jean-Claude Frécon, qui étudie chaque année en détail le budget du CESE, tempère:

«Cette somme n’est pas négligeable, mais il s’agit d’un budget infiniment petit par rapport à d’autres budgets de l’Etat. Il est discuté chaque année au sein de la mission ”conseil et contrôle de l’Etat”, avec deux autres institutions, la Cour des comptes et le Conseil d’Etat, mais ne représente que 6% du budget total de cette mission. Le budget du CESE n’a augmenté que de 1,6% entre 2009 et 2010, où il s’élève à 37,55 millions d’euros.»

L’équation est donc simple: l’Etat paye 37,55 millions d’euros pour une assemblée qui rend 26 avis par an, dont 24 pour des questions qu’elle se pose à elle-même, ce qui revient à un coût par avis de 1,44 millions d’euros. Et impossible de savoir si ces avis sont lus ou utilisés.

Retraites

Si le coût du CESE fait débat, l’utilisation de l’argent est encore une autre question sensible. Outre l’indemnité de 3.768 bruts mensuels que touchent ses membres, le régime spécial de retraite de l’institution a récemment fait l’objet d’un article agressif de Mediapart intitulé «Conseil économique et social: les retraites dorées d'amis du président», qui le qualifie d’«un des plus avantageux systèmes de retraite qui soit». Tous les anciens membres touchent en effet une pension d’environ 800 euros par mois (1.200 pour ceux qui ont fait deux mandats), «une pension additionnelle, bien sûr, puisque les ex-membres du CESE touchent déjà une retraite due à leur activité principale».

Au total, la dépense pour 550 anciens conseillers, 228 pensions de reversion (pour les veuf(ve)s des membres), et 11 pensions d'orphelin s'élève à près de 11 millions d'euros par an, une somme qui devrait augmenter significativement avec le renouvellement des membres du conseil: la nouvelle assemblée comportera 50% de nouveaux membres, et de nombreux membres sortants ont l’âge de toucher leur pension.

La Cour des comptes a dressé dans son rapport annuel pour 2010 paru en février un constat sans appel: le régime de retraites du CESE, qui génère «un déséquilibre financier croissant qui fait peser un risque budgétaire certain sur l’Etat», a besoin d’une «réforme de fond»:

«Dans la mesure où les membres du Conseil économique, social et environnemental (CESE) ont exercé ou exercent par ailleurs une activité professionnelle qui les rend éligibles à un régime de retraite obligatoire, ce dispositif peut être analysé pour la plupart de ses bénéficiaires comme un régime “complémentaire”. Mais outre des avantages significatifs, il a la particularité, contrairement aux autres régimes de ce type, d’être financé à moins de 15 % par les bénéficiaires et donc, pour l’essentiel, sur fonds publics. Par ailleurs, il est aujourd’hui confronté à une dégradation rapide de sa structure de financement qui fait peser sur l’Etat un risque budgétaire estimé tout récemment à 218 millions d’euros.»

Mediapart rappelle que le régime est financé à seulement 14,52% par les bénéficiaires, ce qui le rend «structurellement déficitaire». En 2008 par exemple, les dépenses de la Caisse se sont élevées à 10 millions d'euros. Mais les cotisations des bénéficiaires n'ont fourni que 1,3 million d'euros. Et le site d’ironiser sur les solutions proposées: «Dès 2008 le CESE avait proposé une “solution”: que l'Etat rajoute un million d'euros pendant quatre ans au fonds de réserve, histoire de préserver le régime jusqu'en 2020. Tout simplement.»

Présidence

La réforme devrait permettre au CESE d'être plus représentatif et plus en phase avec les travaux parlementaires, et donc plus utile. Mais elle ne repond pas à certains défauts structurels de l'institution, comme son coût qui reste élevé par rapport à sa production, son déficit d'image notamment à cause des nominations des membres qualifiés et de son régime de retraite, ou encore la difficulté de mesurer son efficacité réelle.

En attendant d'en voir les effets concrets, les nouveaux membres se réuniront pour leur première assemblée le 16 novembre, où ils éliront leur nouveau président en remplacement de Jacques Dermagne, qui occupe le poste depuis plus de 10 ans. Jean-Pierre Davant, président de la Mutualité française et candidat déclaré, dénonce déjà la volonté de l'Elysée de placer son candidat non déclaré, le médiateur de la République Jean-Paul Delevoye, à la tête de l'institution:

«On prédésigne à la tête de notre assemblée un homme qui est, certes, respectable, mais qui a été ministre, député, candidat à une présidence de région et à la présidence de son parti (le RPR, devenu depuis l'UMP).»

Grégoire Fleurot