Sainte-Luce – Trois-Rivières - Samedi 25 nov. 2023. Moment d’évasion matinale à travers champs, entre parfum de canne à sucre en fleur et senteurs marines, nos randonneurs ont pu apprécier les paysages contrastés et époustouflants du littoral lucéen. Une oasis de tranquillité à quelques encablures du quartier Trois-Rivières, jadis, paisible village de marins-pêcheurs aux allures, aujourd’hui, de bouillonnante station balnéaire. Tels des aventuriers, la quarantaine de courageux a pu apprécier cette escapade pédestre ponctuée d’étonnants vestiges de notre douloureuse histoire. C’est un peu de cela, aussi, les randos-patrimoine organisées par Martinique-Écologie.
Le temps magnifique et le ciel bleu avaient séduit nos amoureux de randonnée. Cependant, il a bien fallu se rendre très vite à l’évidence. Les pluies diluviennes de ces dernières semaines ont laissé quelques traces dans les champs nécessitant un passage les pieds au beau mitan d’une énorme mare d’eau, peu après notre départ de la Distillerie. Phénomène cyclique certes, mais qui s'explique également par la présence sur nos mornes de nombreuses espèces invasives. À l’instar du bambou, elles viennent constituer des embâcles obstruant l’écoulement naturel de nos ravines et rivières. Après une vingtaine de minute de marche, l’escalade d’un petit raidillon, pentu mais ombragé, vient atténuer les effets des fortes chaleurs de ce début de matinée. Le ballet de libellules et la présence des multiples papillons qui s’envolent à notre passage témoignent du bon état écologique des lieux.
À mesure de cette ascension, le paysage se dégage tout au loin. Au sommet, un plateau végétal herbacé avec, en guise de récompense des efforts consentis, une magnifique vue panoramique de 360° à vous couper le souffle. Le paysage que l’on y découvre se lit comme un livre ouvert. Les artistes, eux, y verront un décor ou, mieux, une œuvre d’art.
Tout y est ! Là-bas au Nord, la somptueuse chaîne des Pitons du Carbet. Inscrite au Patrimoine de l’Humanité, elle s’étale majestueusement depuis le Piton Lacroix jusqu’au Morne Jacob avec, au milieu, l’aiguille du Piton Gelé qui se dissimule entre ces écrins de verdure. À l’Ouest, on aperçoit les verdoyants massifs volcaniques du Sud-Ouest, depuis le Morne la Plaine jusqu’au Morne Larcher et, tel un joyau immergé dans la mer des Caraïbes, le Rocher du Diamant. Quant au Morne Constant, il est reconnaissable à son ruban de villas qui serpente ses flancs et qui s’érige jusqu’au radar météorologique. Confrontés à l’attractivité touristique du Diamant, les quartiers de Morne Chalopin et Taupinière n’ont pas été épargnés par cette urbanisation galopante. Fort heureusement, les Mornes Clochette, Genty (Les Anses d’Arlet) Macabou et le Morne Pavillon font office de trésors inestimables ayant échappé miraculeusement à la bétonisation. Leur intégration dans l’inventaire ZNIEFF (zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique) n’est pas étranger à ce bon état de conservation. Plus près de nous, on observe l’immensité de la plantation de Trois-Rivières qui s’étend sur près de 700 hectares dont 120 dédiés à la culture de canne AOC (appellation d’origine contrôlée), enclavée entre l’Anse du Céron d’un côté et l’Anse des Trois Rivières de l’autre. Au loin, tout au Sud, l’île voisine de Sainte-Lucie à 40 km de nos côtes où émergent dans toute sa splendeur le Mont Génie et les deux Pitons de la Soufrière classés au Patrimoine mondial de l’UNESCO.
Après une halte-ravitaillement sur la magnifique plage de l’Anse carette, petite enclave de sable blanc nichée entre mangrove et littoral rocailleux, c’est déjà le retour sous la houlette avisée de Yannis Bouvil Brianto et de Christian Vielet, les régionaux de l’étape. La dernière pause sera l’occasion pour Michel Delblond, botaniste marinois, de présenter quelques espèces de plantes recueillies sur le parcours. De sa présentation, on retiendra le « Kaka béké » (senna bicapsularis) ainsi que le « Marie dèyè lopital » (lantana camara), plante cancérigène toxique pour le foie. L’arrivée n’est plus très loin. D’ailleurs, on aperçoit la cheminée de l’ancienne usine qui fut au XVII° siècle (1660) une des premières distilleries de la Martinique.
Reconnaissable à son moulin à vent depuis la RN5, la Distillerie Trois-Rivières mérite le détour. Nous y avons redécouvert les méthodes ancestrales d’élaboration des rhums agricoles. Notre accueil chaleureux et la visite des lieux ont été assurés en personne par Jérome Froget, le Directeur général du groupe italien Campari propriétaire également de La Mauny et de Duquesne. Pour beaucoup, Trois-Rivières ne sera plus seulement cette bouteille de rhum arborant une étiquette turquoise. Au-delà de la souffrance endurée par nos aïeux, c’est aussi une partie du patrimoine et du savoir-faire martiniquais qu’il convient de préserver.
LB