RAPHAËL CONSTANT : "POST-SCRIPTUM A MA LETTRE A MARCEL MANVILLE"

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POST-SCRIPTUM A MA LETTRE A MARCEL MANVILLE

par Raphaël CONSTANT

Suite à la lettre envoyée à Marcel Manville, les deux chefs de juridictions de la Cour d’Appel (Premier Président et Procureur Général) ont cru bon se lancer dans une violente réaction à mon encontre. Leurs propos ne peuvent que rappeler cet adage, « tout ce qui est excessif devient insignifiant ».

Je n’entends pas me lancer dans une polémique avec ces hauts magistrats et fonctionnaires français. Nos objectifs sont différents et nos démarches sont contradictoires. Les chefs de Cour vivent dans une bulle dont l’humain est absent et où ne règnent que des chiffres et des statistiques à respecter ou à réaliser, tenant compte de critères définis à 7000 kilomètres d’ici. Je vise, moi, à ce que la justice rendue dans ce pays Martinique atteigne cet idéal d’humanité.

Je l’ai dit et écrit souvent. En 1848, les anciens esclaves ont misé sur deux choses pour sortir de la « noirceur » de leur statut : l’école et la justice. Sur le premier point, l’histoire a montré qu’avant même Jules Ferry en France les politiciens martiniquais (mulâtres pour la plupart mais ayant un grand sens de la dignité) menés par Marius Hurard allaient instituer l’école publique dans ce pays Martinique. Même si l’école n’a pas permis d’instaurer l’égalité, elle a quand même permis, de moins en moins il est vrai, aux anciennes classes serviles de s’élever socialement. En revanche, l’investissement dans la justice n’a été qu’illusion. La justice n’a pas protégé le faible face au fort. Elle a protégé le système inégalitaire et systématiquement pourchassé le dominé qui osait se révolter.

Tout le reste est littérature.

La trahison de l’illusion ne date pas d’aujourd’hui. En 1883 (donc en République), Victor Schoelcher écrivait :

« Quand nous signalons des jugements où trop de magistrats, encore imbus du préjugé de couleur, montrent tant de partialité en faveur des blancs et contre les nègres ou les mulâtres, on s’est avisé de dire que nous cherchons toujours à réveiller les passions de caste. Cela équivaut à nous reprocher de faire le mauvais temps quand nous disons qu’il pleut »

Quelle clairvoyance et actualité pour notre quotidien !

Sur la réaction des chefs de Cour, trois uniques commentaires.

Le premier est de constater qu’en dépit de leur ire, ils n’ont pu dire ou soutenir que les exemples évoqués dans mon article étaient faux. Ils peuvent dénoncer mon interprétation mais les faits sont et restent têtus. Je suis prêt à tout débat public avec quiconque sur la réalité des exemples donnés et j’indique d’ores et déjà que mes dossiers fourmillent d’autres cas démontrant l’existence d’une justice discriminatoire en Martinique. Je rappelle qu’en 2000 j’avais déjà écrit un livre (qui a eu trois éditions) où j’évoquais la même problématique avec de nombreuses illustrations sans que là aussi, je n’ai eu à subir aucun démenti ou aucune poursuite.

Le second commentaire vise à constater que la réplique des chefs de cour tend à créer un réflexe corporatiste des magistrats officiant en Martinique. Or, la lecture de ma lettre à Manville permet de voir que je n’attaque aucun magistrat à titre personnel. Plus précisément, j’ai dénoncé, et là je persiste et je signe, une politique pénale répressive et discriminatoire, politique se situant dans une continuité historique depuis des décennies sinon trois siècles.

Je pense que les magistrats venant en Martinique sont animés des mêmes sentiments de bien faire et (aussi) de défendre la société qu’en France. Je peux même témoigner du courage de certains à s’opposer aux pressions et des difficultés dans lesquels ils travaillent. J’indique que les deux exemples que j’évoquais de poursuites du Parquet en défense de valeurs rétrogrades ont fait l’objet après plusieurs années de procédure de décisions de relaxe de magistrats du siège après plusieurs années de procédure. Mais quelques tourterelles ne font pas un carême !

Ce que je mets en cause, c’est une institution et une politique pénale fondamentalement injustes, menées par le Parquet. 

Troisièmement, je pense utile d’indiquer au public non averti qu’il est faux de dire que les décisions du Procureur peuvent faire l’objet de recours. Si le procureur et les membres du Parquet sont des fonctionnaires ayant rang de magistrats, ils ne sont pas considérés (entre autres par la Cour Européenne des Droits de l’Homme) comme étant indépendant et équitables. Leurs décisions ne sont pas des jugements mais des décisions unilatérales, prises la plupart du temps sans débat et de manière arbitraire. Elles n’offrent aucun recours, sauf à saisir le Procureur Général qui, lui non plus, n’est pas un magistrat indépendant au sens du droit international. Pour les combattre ou les contester, la seule solution est de saisir un juge du siège. Mais dans ce cas, il faut payer une consignation, ce qui constitue aussi une discrimination par l’argent !

Pour en terminer, je pense utile de rajouter un Post-Scriptum à mon dernier courrier :

Mon Cher Marcel,

Anba fey, je n’ose te dire qu’en moins de trois semaines il y a eu à la Prison de Ducos trois suicides et une tentative. Nul doute qu’on me qualifierait de « partial, partiel, caricatural et outrancier ». En fait, on nous l’assure, on « se trompe de diagnostic ». RAS, tout va bien dans notre République tropicale ! Obidjoul.


R. CONSTANT

Avocat et Militant