Les uns devant, les autres derrière portant leur serviette… Après les journées du patrimoine, les journées de la frustration. Je vois bien que la France refuse obstinément d’assumer les conséquences de trois siècles d’aventures coloniales. Car on ne le répètera jamais assez : la seule difficulté est d’admettre que les descendants français d’esclaves et d’indigènes sont des Français à part entière. Tout le reste n’est que bavardage.
L’esclavage aboli, les colonies indépendantes, on pensait que c’était fini, qu’on resterait entre soi. Eh bien pas du tout. Il restait l’outre-mer et tous ces enfants d’indigènes qui rendaient la politesse aux colons en venant s’installer, eux aussi, dans ce pays qui avait envoyé tant de ressortissants s’installer chez eux. Jusqu’ici tout a très bien fonctionné. On n’avait pas laissé les descendants d’esclaves et d’indigènes faire beaucoup d’études. Ils ne se posaient pas trop de questions.
Et pour oublier la triste réalité de leur sort, le mépris dont on les accablait, ils se consolaient dans la vie associative. On laissait jadis aux esclaves un petit lopin pour s’occuper le dimanche à faire pousser de quoi améliorer le dégueulis ordinaire qui leur servait de pitance.
Par les subventions, ont tenait les associations. En saupoudrant les moins scrupuleux de récompenses symboliques, en prenant deux ou trois imbéciles au hasard et en se servant d’eux comme alibi pour masquer la misère des autres, on s’assurait à bon compte de la servilité des béni-oui-oui et des tirailleurs Banania. Il faut voir avec quelle vanité puérile les rares descendants d’esclaves ou d’indigènes, pas toujours les plus méritants ni les plus honorables, qu’on décore de la Légion d’honneur ou de l’ordre national du Mérite, arborent, pour paraître distingués, leur petit ruban rouge ou bleu dans des circonstances où, pourtant, ce n’est guère de mise.
C’est assez distrayant de les voir se bousculer aux réceptions officielles et s’élever sur la pointe des pieds pour être aperçus du ministre qui s’en fout éperdument. C’est comme ça que le système fonctionne depuis quelques décennies. Y compris dans les banlieues où des satrapes corruptibles arrivent, grâce à deux tiers d’abstentions, à se faire élire triomphalement par des malheureux qui seraient prêts à subir l’esclavage pourvu que le maître leur dise qu’il est de gauche.
Mais que se passerait-il si, demain, descendants d’esclaves et d’indigènes, héritiers de la mauvaise part de la France coloniale, victimes du racisme insidieux, ceux qu’ils appellent entre eux bamboulas, bougnoules ou gnakoués, ceux dont les partis ne veulent pas, formaient leur parti bien à eux et si ce parti-là atteignait le seuil des 5 % qui permet d’avoir une représentation aux Européennes ?
J’ai fait l’expérience sur le terrain. Sans aucuns moyens, sans parti, sans investiture, sans avoir le temps de faire campagne, avec une pléthore de concurrents, malgré les trahisons, malgré les manœuvres de ceux qui croyaient que je ne survivrais pas à l’expérience, j’ai allègrement franchi la barre fatidique des 1% en deçà de laquelle un parti n’a pas d’existence légale. Il me semble donc qu’avec des moyens, le soutien d’un parti indépendant, un peu de persévérance, il ne serait vraiment pas difficile de faire quatre fois mieux.
En faisant quatre fois mieux dans cinquante circonscriptions de France, les descendants des esclaves et des indigènes seraient enfin des citoyens à part entière. C’est une question de dignité. Et qu'avons nous à perdre ? Que ceux qui sont prêts lèvent le doigt !
Claude RIBBE - jeudi 13 novembre 2008