REGION-MARTINIQUE : LES INCOHERENCES DU PLAN DE RELANCE DE LETCHIMY

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Louis BOUTRIN : "Plusieurs réserves limitent la portée de ce schéma alléchant ".

Martinique - Mardi 22 juin 2010 : Plén!ère du Conseil Régional. A l'ordre du jour, peu après le vote du Compte administratif 2009, celui du plan de relance régional.  Proposé par Serge Letchimy, ce plan de relance a été présenté comme une réponse à la situation dégradée de l'économie de la Martinique.Pourtant, l'analyse du document remis aux élus révèle des insuffisances et surtout des incohérences mises en exergue par Louis Boutrin. Ci-joint, l'intégralité de son intervention.

Pour mémoire, à l'issue d'un débat fructueux, le plan de relance a été adopté à 29 voix (26 voix PPM + 3 voix de Droite). Les 12 élus du groupe des "Patriotes Martiniquais et Sympathisants" se sont abstenus.

Les incohérences 

du Plan de Relance Régional 

Dans le préambule du document de 4 pages qui nous a été adressé – plan de relance régional (PRR), vous présentez ce plan de relance comme une réponse à la situation économique dégradée de la Martinique. Peu après, vous reconnaissez explicitement que cette situation dégradée est la conséquence de la récession économique, des effets de la crise mondiale et des  évènements de 2009 sur la conjoncture martiniquaise (nous sommes donc loin des accusations tonitruantes que vous portiez contre AMJ au mois de mars dernier !).

C’est dire que les réponses doivent s’aborder :

  • sous un angle transversal : Il s’agit en effet, bien plus que d’afficher des dotations financières nécessaires à la relance de l’activité, de bien identifier les voies et moyens de mobiliser ces dotations.

Que ce soient pour les Collectivités territoriales que pour les nombreuses petites entreprises qui structurent l’activité économique de notre pays, il est urgent de s’assurer de leur capacité technique, administrative, financière, à mobiliser ces sommes qui leur sont mises aujourd’hui à disposition.

  • avec le soutien garanti de l’ensemble des acteurs financiers 


C’est bien là le double challenge à relever !!!


Force est de constater malheureusement, à l’analyse détaillée de vos propositions, que ce préalable n’est pas requis. 

 

S’agissant du Volet 1,

relatif à la relance par la commande publique, 

et évaluée 234 M€

Le volume d’affaires global tel qu’il est présenté dans votre document, est estimé à 281 M€ (234 + 24 + 22) soit 140,5 M€ par an auxquels il convient d’ajouter les  travaux courants. Ainsi, la Collectivité Régionale avait déjà programmé près de 110 M€ dans le budget primitif 2010. 

C’est au total un minimum de 250 M€ que vous prétendez mobiliser par an dans la seule rubrique « relance de la commande publique ». 

Mais plusieurs réserves limitent la portée de ce schéma alléchant :

  • - Premièrement, le risque qu’un tel volume d’investissement ne sature le marché martiniquais et n’ouvre les contrats à des entreprises non martiniquaises. Ce risque, réel, signifie dans les faits que le PRR, et donc l’argent du contribuable martiniquais sera un ballon d’oxygène pour …l’extérieur.
  • - Deuxièmement, pourront répondre aux marchés de consultation, les entreprises en régularité fiscale et sociale, comme les grosses multinationales (telle COLAS, MOTER). Resteront sur le bord de la route toutes nos petites entreprises de BTP, en situation d’irrégularité sociale et fiscale, et qui seront les dindons de la farce : il suffit d’aller au tribunal de commerce pour mieux saisir mon propos. 

Mais au-delà de ces limites purement techniques ou administratives, je voudrais surtout attirer l’attention sur les limites financières de l’exercice.

Ce Plan s’annonce comme s’appuyant délibérément sur un fort partenariat public associant l’ensemble des co-financeurs possibles. Mais rien dans l’exposé des arguments, n’étaye de manière convaincante ce partenariat 

Premièrement, l’Etat, dont le financement reste hypothétique et mystérieusement secret : à quelle hauteur interviendra l’administration centrale, quand sa réponse à la crise financière et économique internationale que nous traversons depuis 2007-2008 est un plan d’austérité !  A l’instar des autres pays européens, la France a dévoilé son plan de rigueur qui repose sur une réduction des dépenses publiques de 45 Milliards d’€ et surtout, sur un gel des dotations aux Collectivités territoriales. Plan de rigueur annoncé par le 1er Ministre le 20 mai dernier et confirmé par le Ministre du Budget, il y a 10 jours ! Comment comprendre qu’au moment où l’Etat annonce un gel des dotations aux CT que vous allez obtenir de lui, un geste exceptionnel… rien que pour nous !

Sauf à fonctionner avec les dotations déjà mises en œuvre dans le cadre du Contrat de Plan Etat Région ou du Fonds Exceptionnel d’Investissement

Deuxièmement l’Europe : vous aviez annoncé lors de la campagne votre intention d’aller négocier avec Bruxelles. Or, vous le savez bien, la dotation européenne déjà négociée de 417 M€ n’évoluera pas d’un cent d’euro sur la période 2007-2013.

Là encore, il nous faudra faire avec l’existant !

Troisièmement, les opérateurs publics locaux. On s’interroge toujours sur la capacité de ces acteurs publics à mobiliser les sommes affichées : 198 M€ (133 M€ pour les Communes et 65 M€ pour les EPCI). Quelle sera la capacité des Collectivités Territoriales, fortement déficitaires pour la plupart, voire endettées pour certaines, à apporter leur quote-part, aussi minime soit-elle, pour décrocher le sésame annoncé ? J’ai bien dit déficitaires et, vous le savez pertinemment, puisque les chiffres viennent de tomber : 29 communes sur 34 sont en déficit. Les dotations Etat (DGF, DGE) sont annoncées par l’Etat comme en diminution, l’octroi de mer, du fait de la crise est en diminution constante. Et quant à  la taxe professionnelle, elle ne sera pas non compensée en totalité comme prévu par la Contribution Energie Carbone retoquée par le Conseil Constitutionnel.

Quelles seront donc les ressources  pour financer ces projets ? 

Si les ressources mobilisables sont soit déjà connues, soit en diminution, vous admettrez, que la seule valeur ajoutée du Plan de Relance devrait s’appuyer sur des nouveaux outils techniques et financiers pour aider les Collectivités à véritablement se mettre en capacité de mobiliser la ressource annoncée.

Or, rien dans le dossier n’éclaire sur ce point !

Vous avancez, 210 dossiers communaux qui ne figurent pas au dossier. Quelle transparence ! C’est certainement là, une des facettes cachées de votre nouvelle gouvernance !. 

Ceci étant dit, une question revient obstinément : Quid du niveau d’avancement de ces dossiers ? Idem sur la maîtrise foncière, sur le montage juridique de certaines opérations complexes, le bouclage du plan de financement. A l’évidence c’est un véritable soutien à l’assistance technique et au montage de projet qu’il faudrait mettre en place aux porteurs publics pour permettre de mobiliser des financements existants dans des très courts délais qu’impose la notion de Relance.

Au lieu de cela, l’Aide aux Communes que vous annoncez (au point 2.2.) s’articule autour de trois fonds (versement au SDIS, contribution à la restauration scolaire, Programme Politique de la Ville), sans que rien ne soit précisé sur ce dernier volet et sur le nécessaire soutien pour garantir le montage de ces dossiers. 

Faute de réponses préalables à ces interrogations, nous émettons des doutes sérieux sur la viabilité de ces dossiers.

Quatrièmement, s’agissant de projets régionaux, (point 1.2.) vous faites état de « projets non encore prévus en démarrage » pour un montant de 24, 8  M€.  Sur cette somme, 5,6 M€ sont fléchés pour les Lycées. 

Aussi, Mr Le Président, 

En l’absence de réponse en commission BTP, je me permets de vous interpeller en séance plénière : quelles sont vos intentions pour le lycée Schœlcher ? 

Avez-vous arrêté un projet précis ? Ce dernier sera-t-il compatible avec le PLU de la ville de FDF ? Quid des contraintes architecturales émanant du classement de l’édifice au « patrimoine des monuments historiques de France » ? Et surtout, Quid du lancement d’une opération chiffrée initialement à près de 60 M€, et dont les travaux lancés immédiatement, participeraient de manière irrémédiable à la relance de l’activité que vous appelez de vos vœux ?


Voila,  Mr Le Président les principales réserves, qui, vous devez l’admettre sont de nature à contrarier les objectifs optimistes que vous annoncez pour la commande publique.

Volet II : Le soutien conjoncturel

Permettez-moi maintenant de vous présenter les réserves sur le volet II que vous intitulez soutien conjoncturel.

A l’instar des mesures que vous proposez pour les Collectivités, les solutions que vous envisagez pour les entreprises, n’offrent pas de lisibilité en matière d’opérationnalité.  

  • - Dans quel délai seront-elles mises en œuvre, quand vous annoncez vous-même pour certaines le caractère inachevé : ainsi les conditions de mise en œuvre du prêt à taux zéro ou du fonds de garantie tourisme ne sont pas déterminés
  • - quelles sont les garanties offertes pour mobiliser les crédits affichés par les très petites entreprise en difficulté qui, bien avant la crise sociale de 2009, se trouvent en situation structurelle d’irrégularité fiscale et sociale, quand vous savez que pour la plupart des dispositifs annoncés, les entreprises en difficulté ne peuvent être éligibles
  • - quelle marge de manœuvre financière supplémentaire quand pour certaines autres, qui existent depuis l’ancienne mandature, il n’y a pas de dotation additionnelle par rapport au budget initial, comme par exemple l’aide à l’emploi, ou de modification substantielle comme pour l’aide aux entreprises touristiques.
  • - Quelle durée pour ces dispositifs quand les plus grands experts internationaux n’annoncent pas encore l’issue de la crise ?

En clair, quelle valeur ajoutée offerte aux entreprises pour sortir immédiatement de la situation de marasme économique ?

Vous semblez par ailleurs vouloir apporter une réponse à l’accompagnement technique des entreprises : dans le même temps que vous annoncez une plateforme itinérante et une Maison de l’Entreprise opérationnelle dès le second semestre (point 2.1.1.), vous envisagez parallèlement de signer un protocole d’Accord avec l’AFD (point 2.1.5.), sans qu’aucune information ne nous soit apportée sur la pertinence de ce protocole par rapport à ces deux dispositifs. N’est-ce pas nuire à la lisibilité de ces outils et les affaiblir  au profit de l’AFD ?

Volet III : Programme d’actions structurantes 

préparant l’avenir.

M. le Président, chers collègues, 

Venons-en maintenant, Monsieur le Président, à ce que vous appelez le Programme d’actions structurantes préparant l’avenir.


Ce 3ème volet est l’exemple type de l’incohérence du PRR. Il s’agit à travers ce 3ème volet de lancer des études sur des projets de développement de moyen et long terme pour la Martinique.  Si nous voulons rester dans la logique d’urgence annoncée pour ce PRR, il serait judicieux de s’appuyer sur les projets déjà identifiés dans le Schéma Martiniquais de Développement Economique (SMDE).

Pour rappel, l’élaboration du SMDE relève d’une démarche méthodologique participative des acteurs économiques et associatifs martiniquais. Projet prospectif, il est décliné en plan d’actions conjoncturel sur des périodes de 7 ans, calé volontairement sur le Programme Opérationnel et le Contrat de Plan pour la période 2007-2013.

Cette initiative qui nous a permis d’ores et déjà de mobiliser des crédits d’Etat et des crédits européens  ne doit pas être rayée d’un trait.

Mobilisons la ressource disponible pour nous projeter dans l’avenir. Pourquoi s’arcbouter sur des postures idéologiques et vouloir à tout prix faire table rase du passé et tout recommencer ? 

Ce SMDE que vous avez tant critiqué a le mérite de nous donner une meilleure lisibilité de la politique de développement économique à mettre en place. Certes il mérite quelques ajustements, comme tout plan d’ailleurs, mais en restant dans cette logique du SMDE, en renonçant à des affrontements partisans, la Martinique économisera du temps, de l’argent et aussi toute l’énergie collective qui a été nécessaire à son élaboration. 

En guise de conclusion

Monsieur le Président, vous aviez promis aux Martiniquais un plan de relance, vous le présentez aujourd’hui.

Vous avez compris à mes propos que je n’y adhère pas, non pas sur l’opportunité, mais sur les modalités qui devraient permettre à ce plan d’être efficient.

Aussi, après avoir suivi votre « marathon des communes », après avoir analysé les 4 pages de votre plan de relance régional, permettez-moi de vous  soumettre 2 propositions qui devraient garantir le succès que nous ne pouvons qu’espérer pour ce plan : il faut aujourd’hui redessiner les contours du partenariat avec les acteurs privés et publics. A défaut, votre Plan serait voué à l’échec.

Voila mes deux propositions : Renégocier avec l’Etat les dispositifs d’aide aux entreprises en difficulté et mettre en place un partenariat avec les Banques de la place. 

  1. 1. Renégocier avec l’Etat les dispositifs d’aide aux entreprises en difficulté :

L’Etat a aidé les Banques quand ces dernières étaient dans la tourmente. Face à la crise internationale que nous subissons de plein fouet, nous devons solliciter l’Etat pour mettre en place des dispositifs techniques, juridiques, transitoires et exceptionnels permettant aux entreprises martiniquaises de passer la période conjoncturelle difficile que nous connaissons. 

Le véritable marathon que nous devons entreprendre, ce n’est pas avec les Communes qui sont déjà en situation de précarité et qui sont obligées de gérer la pénurie, c’est bien avec l’Etat que nous devons l’entreprendre.

  1. 2. Mise en place d’un partenariat avec les Banques de la place. 

Proposons aux Banques de la place, un dispositif-cadre avec des modalités précises sur le tourisme notamment et certains secteurs de l’économie tels que le développement des énergies renouvelables. 

Voila Monsieur le Président, l’opposition que nous représentons aujourd’hui n’est pas celle que vous venez de décrire dans votre conférence de presse d’hier matin. Nous ne sommes pas des « dos d’ânes », des freins au développement sur lesquels vous passerez inéluctablement. Un peu d’humilité et moins de condescendance, ce d’autant vous avez trouvé à votre arrivée à la Région une « situation financière qui vous permet toutes les audaces ».  C’est une opposition responsable avec des propositions constructives que je voulais vous soumettre pour allier Relance et Urgence, et Conjoncturel et Prospective.

Louis BOUTRIN 

Conseiller Régional de Martinique

Groupe des Patriotes Martiniquais et Sympathisants